Avec une grève en pointillés, deux jours sur cinq pendant trois mois d'avril à juin, les syndicats de la SNCF ont choisi une "mobilisation innovante" pour faire pression sur le gouvernement et obtenir l'ouverture de "vraies négociations" sur son projet de réforme. "La grève n'est pas une fin en soi" mais une arme syndicale pour amener l'exécutif à négocier et atteindre un "résultat", ont souligné vendredi la CGT-Cheminots (1er syndicat de la SNCF) et l'Unsa-Ferroviaire (2e). Mais "évidemment, si le gouvernement persiste dans cette ligne-là, on sera obligés de rentrer en grève pour obtenir de réelles négociations. La balle est du côté du gouvernement", a déclaré Cyrille Reneaud, secrétaire fédéral de la CGT-Cheminots, après une rencontre avec la ministre des Transports Elisabeth Borne qui a aussi reçu les trois autres syndicats représentatifs de la SNCF. Selon le calendrier présenté jeudi, la grève débutera les 3 et 4 avril, suivis de trois jours normaux, avant de nouveau la grève les 8 et 9 avril, puis les 13 et 14, les 18 et 19, et ainsi de suite. Derniers jours programmés: les 27 et 28 juin. Les cheminots pourront atténuer l'impact sur leur salaire, en étant en grève "par roulement", selon la CFDT. Face à cette forme inédite de mobilisation, la direction de la SNCF va de plus faire face à un casse-tête pour organiser le service au jour le jour. Enfin, la grève va compliquer les vacances de printemps des trois zones, touchera des ponts du mois de mai et des épreuves du bac. S'il approuve la date du 3 avril et les revendications de l'intersyndicale, SUD-Rail (3e) souhaite néanmoins que les cheminots décident eux-mêmes dès le lendemain en assemblée générale s'ils transforment le mouvement en grève reconductible tous les jours. "C'est toujours les cheminots qui décident. Ils s'inscriront dans la grève ou pas", a relevé M. Reneaud, qualifiant d'"unitaire" la démarche de l'intersyndicale. "L'unité syndicale reste intacte", a renchéri Roger Dillenseger, secrétaire général de l'Unsa-Ferroviaire. Pour Sébastien Mariani, secrétaire général adjoint de la CFDT Cheminots (4e), la grève intermittente "minimisera un peu l'impact sur les usagers".
Des négociations "7 jours sur 7" Ce calendrier est "une réplique forte et adaptée au calendrier extrêmement contraint sur trois mois du gouvernement", estime M. Mariani. Il permettra "des aller-retour avec le gouvernement et auprès des cheminots". Mais dans l'immédiat, "clairement, on n'a pas d'assurances d'arriver au stade de la négociation". "Comme d'habitude", la réunion de vendredi n'a été qu'"un rendez-vous sans documents, sans détails", a déploré Eric Meyer (SUD-Rail), qui n'a vu au ministère "aucune volonté de négocier". Pour Mme Borne, "le gouvernement ne cherche pas l'affrontement". "Moi, je dis négociation sept jours sur sept" car il y a "beaucoup de sujets à négocier", a-t-elle ajouté sur Cnews. "Le contenu de la loi" - qui sera votée "d'ici l'été" - "est à rédiger ensemble", a-t-elle assuré. Après la CGT mardi, une délégation Unsa a été reçue à Matignon par le Premier ministre Edouard Philippe et Mme Borne. Il faut "changer la méthodologie, afin que lors des discussions, on sache ce qui est retenu ou pas pour la future loi", a déclaré Luc Bérille (Unsa), pour qui M. Philippe a "entendu le message". Entre-temps, l'intersyndicale avec le renfort de FO (5e syndicat) a donné rendez-vous aux cheminots jeudi à Paris pour une manifestation nationale de la gare de l'Est à Bastille, où ils rejoindront les fonctionnaires également mobilisés ce jour-là. Des préavis de grève permettront aux cheminots de venir défiler. "Plus de 25.000" cheminots sont attendus, selon la CGT. L'exécutif s'attend à une "forte, voire très forte" mobilisation, selon une source gouvernementale, mais ce sera "dur de mobiliser dans la longueur". Cette tactique syndicale sur trois mois "est incontestablement inédite" et "audacieuse, car la gymnastique rythmique convient mal aux grèves", a souligné l'historien Michel Pigenet, spécialiste des mouvements sociaux: "difficile de partir en grève, puis d'arrêter pour reprendre, et ainsi de suite".
Que veut le gouvernement? Le gouvernement veut réformer le secteur ferroviaire en profondeur avant l'été, synonyme d'une mutation importante de la SNCF et qui passe par un cocktail inédit de concertation, de débat parlementaire et de recours aux ordonnances.
La structure de la SNCF La SNCF est actuellement composée de trois établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic): SNCF (la direction), SNCF Mobilités (les trains) et SNCF Réseau (les rails). Le gouvernement a l'intention de la transformer en une "société nationale à capitaux publics" --dont les titres seraient incessibles--, plus intégrée. Le statut actuel assure en effet une garantie illimitée de l'Etat, ce qui est jugé incompatible avec l'ouverture à la concurrence pour SNCF Mobilités et déresponsabiliserait SNCF Réseau, dont la dette peut s'envoler sans contrôle. Le modèle mis en avant est celui de la Deutsche Bahn allemande, approuvé par les autorités européennes. Celle-ci est composée d'une holding chapeautant plusieurs filiales dédiées aux différentes activités. Le sort des gares au sein du futur ensemble fait débat: toujours avec les trains dans SNCF Mobilités (comme actuellement), rattachées à SNCF Réseau, ou autonomes?
Le problème de la dette La dette de SNCF Réseau atteignait 46,6 milliards d'euros fin 2017, et elle devrait dépasser les 62 milliards en 2026. Concernant une reprise de tout ou partie de ce fardeau largement hérité de la construction des lignes à grande vitesse, le Premier ministre Edouard Philippe est resté très vague: "L'Etat prendra sa part de responsabilités avant la fin du quinquennat pour assurer la viabilité économique du système ferroviaire", a-t-il dit en présentant sa réforme en février. La SNCF est priée de devenir plus performante en attendant.
Les dates de l'ouverture à la concurrence Le sujet fait partie des discussions en cours, mais la ministre des Transports Elisabeth Borne a indiqué mercredi vouloir ouvrir les TER à la concurrence dès 2019 pour les régions qui le souhaitent, si les conventions les liant à la SNCF le permettent. Elles pourront alors organiser des appels d'offres. Les autres régions auront encore la possibilité de conclure des contrats directement avec la SNCF jusqu'en 2023, selon Mme Borne, pour qui l'Ile-de-France est une exception où la concurrence arrivera plus tard. Quant aux trains à grande vitesse, la ministre a choisi l'"open access" (accès libre). A partir de décembre 2020, la SNCF devra partager les créneaux de circulation des TGV avec ses concurrents, s'ils se lancent sur ce marché.
Les modalités de l'ouverture à la concurrence La concertation devra définir sous quelles conditions les cheminots passeront d'une entreprise ferroviaire à l'autre, notamment en cas de perte de contrat par la SNCF, ce qu'on appelle le "sac-à-dos social". De nombreux sujets restent à étudier: le transfert des matériels et l'entretien des trains, l'harmonisation de la billettique, l'information des voyageurs, le niveau des péages, les prérogatives du régulateur, etc.
La fin du statut de cheminot Parmi les lourdeurs qui handicapent la SNCF selon le gouvernement figure le statut des cheminots. Particulièrement protecteur, mais rigide, il représenterait selon la direction le tiers des 30% de surcoût par rapport à ses concurrents. Il concerne actuellement 131.000 personnes, sur 147.000 employés de la SNCF. Le gouvernement veut éteindre progressivement ce statut. A partir d'une date qui reste à préciser, les nouvelles recrues seront embauchées dans un cadre contractuel qui reste également à négocier. Les cheminots qui sont actuellement au statut (et ceux qui seront embauchés avant cette date butoir) le resteront, même si la direction veut davantage de souplesse.
L'organisation interne de la SNCF Le gouvernement exige de la SNCF qu'elle soit plus efficace, et les dirigeants du groupe public devront lui présenter avant l'été un "projet stratégique", afin notamment d'"aligner ses coûts sur les standards européens". Le patron de la SNCF Guillaume Pepy a indiqué qu'il comptait négocier avec ses troupes un "pacte d'entreprise", à l'image de La Poste. Il compte investir dans la formation et le numérique, et veut des métiers moins cloisonnés, une organisation du travail plus souple --notamment au plan local--, une plus grande productivité industrielle, une décentralisation du dialogue social et, in fine, une réduction des coûts.