Emporté par un "parfait concours de circonstances" mêlant tensions géopolitiques, panne électrique et problèmes d'infrastructures, le prix du pétrole américain a bondi mercredi à son plus haut niveau depuis 2014 malgré les coups de boutoir de Donald Trump contre cette hausse. Le baril de WTI, la référence américaine, est monté mercredi jusqu'à 73,06 dollars (+3,6%) sur le New York Stock Exchange, soit son plus haut niveau en séance depuis novembre 2014. A Londres aussi les prix grimpaient, le baril de Brent montant jusqu'à 78,16 dollars (+2,4%). Au moment même où les Américains se préparent à remplir leur réservoir d'essence pour les vacances d'été, un rapport officiel a fait état d'une chute des stocks de brut aux Etats-Unis de 9,9 millions de barils au cours de la semaine se terminant le 22 juin. Les raffineries fonctionnent à une cadence extrêmement élevée (à 97,5% de leurs capacités), ce qui implique une très forte demande en or noir. Et le pays n'a jamais autant exporté de brut (3 millions de barils par jour). Dans le même temps, les investisseurs redoutent que l'offre d'or noir sur le marché mondial ne diminue en raison de perturbations sur divers points de la planète, constituant selon James Williams de WTRG Economics "un parfait concours de circonstances" pour la montée du prix des barils. Cette flambée intervient alors même que le président américain a plusieurs fois déploré au cours des derniers mois le niveau élevé des cours du pétrole et accusé dans des tweets l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) d'y participer. Pour redresser les cours, qui avaient dégringolé à moins de 30 dollars le baril début 2016, le cartel avait en effet décidé fin 2016 de limiter sa production.
Canada, Venezuela, Libye, Iran Pour les raffineries américaines, le problème le plus pressant vient du Canada, où une mine de sables bitumineux exploitée par Syncrude dans l'ouest du pays et pouvant produire jusqu'à 350.000 barils par jour a été interrompue la semaine dernière en raison d'une panne électrique. Aucune date de redémarrage n'a encore été fixée. Dans le même temps aux Etats-Unis, la production est déjà à un niveau record (10,9 millions de barils par jour) et "peut difficilement augmenter plus pour l'instant en raison des goulots d'étranglement dans le bassin permien", une zone à cheval entre le Texas et le Nouveau-Mexique, souligne John Kilduff du fonds Again Capital. Les producteurs américains ont multiplié les puits de forage ces dernières années dans cette région où le pétrole de schiste est abondant mais les infrastructures de transport n'ont pas suivi. "Les entreprises sont obligées de freiner leur activité car les barils y sont simplement coincés", note M. Kilduff. La production a aussi fortement décliné ces derniers mois au Venezuela, au fur et à mesure que le pays s'enfonçait dans une crise économique. Et en Libye, des autorités politiques rivales ont engagé un bras de fer autour du contrôle des terminaux pétroliers. L'administration Trump a jeté de l'huile sur le feu en demandant mardi à tous les pays important du pétrole iranien d'arrêter leurs achats auprès de Téhéran d'ici le 4 novembre s'ils voulaient éviter les sanctions américaines. De l'avis de plusieurs analystes, un arrêt total des exportations iraniennes est peu probable mais le ton plus agressif a surpris. "L'Europe était déjà vue comme politiquement trop timide pour protéger ses entreprises de sanctions américaines potentielles", remarque Olivier Jakob de Petromatrix. La Chine, premier importateur mondial, pourrait faire fi des menaces de M. Trump mais l'Inde, troisième importateur, est "la question principale pour le marché", remarque-t-il. L'Opep et dix autres pays se sont bien engagés samedi dernier à respecter les quotas de production qu'ils s'étaient fixés fin 2016, ce qui dans les faits correspondrait à une hausse d'un million de barils par jour. Et l'Arabie saoudite, chef de file du cartel, a fait savoir qu'elle augmenterait dès juillet sa production à 11 millions de barils par jour, un record. Mais la position "intransigeante" de Washington à l'encontre de Téhéran "va forcément conduire à une chute du pétrole iranien sur le marché mondial que les autres pays, malgré tous leurs efforts, peuvent difficilement compenser", souligne John Kilduff.
L'Opep ne convainc pas Moins d'une semaine après une réunion de l'Opep, les risques de perturbation de la production de pétrole se multiplient à travers le monde et les analystes craignent que le cartel ne puisse tenir sa promesse d'augmenter ses extractions. Signe de la méfiance des marchés, alors que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses dix partenaires ont assuré que leur production totale augmenterait, les prix du brut ont nettement augmenté depuis le début de la semaine, de près de 4% pour le Brent européen et de plus de 6% pour le WTI américain. Les 25 pays associés, qui représentent plus de 50% de la production mondiale de brut, ont décidé de ne plus compter leurs objectifs de production par pays, afin que les contrées pouvant augmenter leur débit compensent les pertes involontaires d'autres membres. Mais pour plusieurs acteurs du marchés, les quelques pays qui peuvent vraiment augmenter leurs extractions avant la fin de l'année ne pèsent pas assez pour contre-balancer les éventuelles perturbations de la production.
Barils libyens disparus "Seuls l'Arabie saoudite, le Koweït, les Emirats arabes unis, l'Irak et la Russie ont la capacité d'augmenter de façon significative, ce qui va probablement être compensé par les baisses de production du Venezuela et d'autres membres de l'Opep", ont ainsi estimé les analystes de Morgan Stanley, qui misent donc sur une stabilisation des prix. Plus pessimiste, les analystes de BNP Paribas jugent pour leur part que "malgré la décision de l'Opep et de ses partenaires, en comptant le nombre de barils qui seront probablement perdus en Libye, ainsi qu'en Iran avec les sanctions américaines, les prix devraient encore grimper sur les six prochains mois". Importante source de revenus de la Libye, la région productrice du nord-est est la cible de conflits armés entre le gouvernement d'union nationale reconnu par la communauté internationale et les autorités parallèles de l'Est, ce qui empêche une partie des exportations du pays. "Il faut commencer à accepter que les 400.000 barils de pétrole libyen qui ont disparu du marché mi-juin ne réapparaîtront pas de sitôt", a noté Bjarne Schieldrop, analyste chez SEB.
Epine iranienne Mais l'Iran, troisième producteur de l'Opep et rival politique de l'Arabie saoudite, est un problème particulièrement épineux pour l'Organisation. "Les Saoudiens ont cherché à mettre une limite à la hausse des prix à court terme, non seulement pour faire plaisir à M. Trump, mais également car ils pensent honnêtement que le marché va devoir se passer du brut iranien, ce qu'ils ne pourront jamais admettre publiquement", ont écrit les analystes de Energy Aspects. Mardi, moins de quatre jours après que ses alliés saoudiens aient affirmé que le géant pétrolier national Saudi Aramco allait reprendre de plus belle sa production en juillet, Washington a refroidi le marché du pétrole en menaçant de sanctions tout pays recevant du brut iranien à partir de novembre. "Les capacités saoudiennes ne sont pas sans limites et les pertes de l'offre iranienne se feront sentir au quatrième trimestre au plus tard, sauf si les productions libyennes ou nigériennes sont affectées d'ici là", ont prévenu les analystes de Energy Aspects.