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Mobilisation aux Etats-Unis pour tenter d'enrayer la vague de défiance Wall Street a vécu comme tétanisé l'annonce du rachat en catastrophe de Bear Stearns (BSC)
Wall Street a vécu, lundi 17 mars, comme tétanisé l'annonce du rachat en catastrophe de Bear Stearns (BSC), la cinquième banque d'affaires américaine, au coût dérisoire de 236 millions de dollars, par son homologue JP Morgan. Une opération de sauvetage entièrement "portée" par le Réserve fédérale (Fed ) - une première dans l'histoire américaine. Vendredi, alors que BSC faisait appel à la Fed pour éviter la faillite, le banquier Robert Rubin (Citigroup), ex-secrétaire au trésor de Bill Clinton, expliquait : "Nous entrons en terrain inconnu". De fait, lundi, la nouveauté de la situation s'accompagnait d'immenses incertitudes. Du coup, la Bourse américaine a été indécise tout au long de la journée. L'indice Dow Jones a terminé la séance sur une légère progression de 0,18 % et le SP 500 a lui perdu 0,90 %. Dans la foulée, hier, les places asiatiques étaient aussi incertaines. Tandis que Tokyo enregistrait une hausse de 1,50 % Shanghai perdait autant. Les bourses européennes commençaient la journée sur une hausse : + 1,62 % à Paris pour l'indice CAC 40 reprenant (après une baisse de 3,51% lundi ) et + 1,67 % à Londres pour l'indice vedette Footsie-100. Trois questions prédominent à Wall Street. Quelle est l'ampleur exacte du désastre généré par l'effondrement des titres adossés aux prêts hypothécaires "à risques " (subprimes) ? Des chiffres circulent : 400, voire 600 milliards de dollars. Ensuite, après avoir reçu lundi à la Maison Blanche Ben Bernanke, le président de la Fed, et Henry Paulson, le Secrétaire au Trésor, George Bush a affirmé : "Nous montrons au monde que les Etats-Unis maîtrisent la situation". Mais qui y croit encore? Jusqu'ici, les mesures prises par la Fed n'ont pas enrayé la crise. D'où la dernière question : si les mesures annoncées durant le week-end et la nouvelle baisse importante de taux attendue mardi s'avèrent inefficaces, le système financier américain est-il menacé d'effondrement ? Lundi, BSC devait présenter son bilan trimestriel. L'annonce a été reportée sine die après la reprise par JP Morgan. En revanche, quels comptes vont annoncer, mardi, Lehman Brothers et Goldman Sachs ? Même s'ils ne sont pas "trop durs" en termes de dépréciation d'actifs, le problème est que les investisseurs ont perdu confiance dans ces annonces. Quant à l'intervention de la Fed dans la reprise de BSC, elle suscite tout à la fois des réactions de stupéfaction, d'admiration et de vives inquiétudes. Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE, et Dominique Strauss-Kahn, président du FMI, ont félicité la Fed pour son audace et sa célérité. Reste un doute : au Royaume-Uni, pour sauver la banque Northern Rock de la faillite, le gouvernement la nationalise; aux Etats-Unis, pour éviter un sort identique à BSC, la Fed avance 30 milliards de dollars à un acheteur privé, JP Morgan, et prend à sa charge le risque encouru sur les titres spéculatifs de l'établissement en faillite. "Une superbe affaire" pour l'acquéreur, a jugé Charles Hintz, analyste vedette du gestionnaire de fonds Sanford Bernstein, qui valorise la valeur réelle de BCS à 7,7 milliards de dollars. "Quel choc !, dit Peter Kennen, professeur d'économie à l'université de Princeton. Il fallait empêcher la faillite de Bear Stearns, qui en aurait entraîné d'autres. Mais la méthode est un terrible précédent. La Fed devra-t-elle récidiver ? Je connais depuis longtemps Ben Bernanke . Mais là, il semble agir dans l'improvisation. Nous vivons une situation inédite où seul l'Etat peut sauver le secteur privé. Mais plus personne n'a de visibilité, car les pertes réelles des investisseurs sont inconnues." David Rosenberg, économiste en chef de Merrill Lynch, évoque "le passage de la prévention de crise à la gestion de crise" . Et cela, explique à l'agence AP Anil Kashyap, professeur de gestion des affaires à l'université de Chicago, dans une situation où "le secteur bancaire américain manque maintenant de capitaux". M. Kennen craint que la situation débouche sur "une défiance internationale vis-à-vis du dollar", plongeant l'Amérique dans une "chute du revenu" pour de longues années. "Le grand renflouement est devant nous", annonce le célèbre chroniqueur économique du New York Times et porte-voix de la gauche démocrate, Paul Krugman. Encore faut-il "renflouer le système financier, pas les gens qui nous ont plongé dans cette pagaille". A Wall Street, une dernière crainte commence à apparaître : des banquiers d'affaires et des gestionnaires de fonds spéculatifs finiront-ils en prison ? "Nous en parlions au déjeuner, dit M. Kennen. C'est désormais concevable". S'estimant lésé par les termes du rachat, un employé de Bear Stearns a déposé lundi une plainte en nom collectif. Un investisseur a fait de même, accusant BSC d'avoir maquillé ses comptes. Le milliardaire britannique Joseph Lewis, qui estime avoir perdu 1 milliard de dollars dans l'affaire, a jugé lundi que le rachat de BSC, dont il détient 10 %, ne se ferait pas - il doit être finalisé d'ici à fin juin. Première mesure annoncée par JP Morgan : son intention de se séparer de la moitié des 14 000 salariés de la banque rachetée. Bank of America, qui a acquis la grande caisse d'épargne Countrywide, au bord de la faillite elle aussi, prévoit, de son côté, une vague de "concentrations" bancaires aux Etats-Unis. Sylvain Cypel