Ces derniers temps ont été marqués par une série de déclarations américaines au sujet des différentes crises sociopolitiques au Cameroun. Des injonctions peu goûtées par Yaoundé et qui ont suscité de violentes réactions dans l'opinion. C'est dans ce contexte tendu que Tibor Nagy, le sous-secrétaire d'État américain, est arrivé au Cameroun. En prélude à sa tournée africaine entamée le 4 mars dernier, Tibor Nagy, le sous-secrétaire d'État américain aux affaires africaines, a donné le ton dans une interview accordée à Radio France internationale (RFI). Il demandait en effet la libération du président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, ainsi que celle de ses militants. L'émissaire de Donald Trump s'est également exprimé sur la crise séparatiste en cours dans les régions anglophones et a promis "d'inciter les autorités camerounaises à être plus sérieuses dans leur gestion de la crise anglophone". Les mesures "symboliques" à ses yeux, prises jusqu'à présent, ne suffisent pas pour résoudre une crise qu'il qualifie d'"extrêmement grave". En réponse aux propos de Tibor Nagy, le gouvernement de Yaoundé, par la voix de son porte-parole, avait condamné ce qu'il qualifiait "d'immixtion à peine voilée et inadmissible". Une remontrance qui n'a pas suffi à calmer les ardeurs du diplomate américain qui s'est encore exprimé le 12 mars dernier sur la crise sociopolitique au Cameroun et notamment dans les régions anglophones: "Nous sommes tous extrêmement préoccupés par la gravité de la crise; chaque jour, des gens meurent, chaque jour des gens souffrent. Vous savez, quand il y a une crise nationale comme celle-là, il n'est pas toujours positif d'arrêter des membres de l'opposition" a-t-il lâché lors d'une conférence de presse téléphonique. Plus grave encore, dans un rapport rendu public le 13 mars dernier, Washington met en doute la légitimité de Paul Biya. Le département d'État américain soutient que l'élection du 7 octobre dernier au Cameroun a été entachée "d'irrégularités". Après de nombreuses allusions faites sur la longévité de Paul Biya au pouvoir, les États-Unis y évoquent l'"intimidation des électeurs et des représentants des candidats sur les lieux de vote", l'"affichage tardif des lieux de vote et des listes électorales", le "bourrage des urnes", des "électeurs inscrits plusieurs fois" et une possible "manipulation des résultats de vote".Le pays de Donald Trump a ainsi précisé une position très critique vis-à-vis de la présidentielle camerounaise du 7 octobre 2018, laquelle a reconduit Paul Biya à la tête du pays après 35 ans de gouvernance. Autant de déclarations qui ont contribué à jeter un coup de froid dans les rapports entre les deux pays et à attiser une série d'analyses et d'invectives dans l'opinion et dans la presse locale. Au sujet du rapport du département d'État américain sur la présidentielle de 2018, Mathias Eric Owono Nguini, politologue camerounais y voit "une volonté de disqualifier le processus électoral camerounais qui est commandée par une démarche bien antérieure à l'élection, puisque l'ambassadeur des États-Unis conseillait déjà au président Paul Biya de ne pas se présenter. Donc en réalité, on peut discuter du niveau de partialité de cette position."
Avant de poursuivre: "Les États-Unis semblaient avoir des candidats qu'ils privilégiaient pour le Cameroun et leur défiance vis-à-vis du processus électoral est à la mesure de la défaite de ces candidats-là", a-t-il laissé entendre au micro de Sputnik France. Au sujet des positions américaines sur le conflit séparatiste en cours dans les régions anglophones du pays, les positions divergent dans l'opinion. Pour l'universitaire Wanah Immanuel Bumakor, expert camerounais en relations internationales, l'intervention américaine peut se justifier. "Nous avons vu comment le gouvernement n'a pas pu solutionner ce problème, pour un problème interne et maintenant ça concerne beaucoup d'autres pays. Beaucoup de personnes ont invité les États-Unis à intervenir dans le problème. Moi, je pense que c'est normal que la communauté internationale, surtout les États-Unis, soit concernée par les gens qui meurent chaque jour dans le Sud-ouest et au Nord-Ouest et par les arrestations illégales et arbitraires qui se passent au Cameroun vis-à-vis des fidèles de l'opposition, parce que c'est une violation des droits de l'Homme. Il ne faut pas oublier que le Cameroun a signé des accords sur les droits de l'Homme et bien d'autres accords internationaux." Sur la question, Mathias Owona Nguini souligne plutôt "un positionnement qui relève clairement du parti pris culturel; il s'agit de soutenir à tout prix les différentes expressions qui relèvent d'un autonomisme anglophone par solidarité culturelle en critiquant la gestion gouvernante du Cameroun, que l'on assimile à un autre modèle, qui est le modèle francophone." Au Cameroun, on s'interroge encore sur l'opportunité de ces différentes prises de position américaines relatives au contexte sociopolitique et sécuritaire du pays. Le socio-politologue Claude Abe estime qu'au-delà du contexte, il pourrait s'agir d'un positionnement géostratégique. "On peut relever le fait que les États-Unis ont un certain nombre d'intérêts dans le Golfe de Guinée et qui tient le Cameroun, tient l'entrée du Golfe de Guinée, eu égard à la position géostratégique qui est celle du Cameroun. Probablement, il s'agit de faire pression sur le régime de Yaoundé pour obtenir des choses qui n'ont peut-être rien à voir avec la gestion de la crise anglophone, encore moins avec la situation politique plus ou moins crispée au Cameroun et qui, en réalité, relèveraient d'un certain nombre d'intérêts géostratégiques et à caractère économique" déduit-il à notre micro. Toujours sous le prisme du positionnement géostratégique et des intérêts économiques, Mathias Owona Nguini prolonge l'analyse. "Il y a également le fait que les États-Unis peuvent être irrités par la présence de plus en plus consistante de la Chine au Cameroun, parce que la Chine est aujourd'hui évidemment leur principal concurrent au niveau de l'ordre mondial globalisé." Wanah Immanuel Bumakor, spécialiste en relations internationales, relativise et appelle même à plus d'interventionnisme américain. "Moi, je n'y vois pas un acharnement. Par rapport à ce qu'ils [les USA, ndlr] font contre le Venezuela, je les trouve un peu polis et diplomatiques. Parce que ce sont des faits, les opposants camerounais ont été frappés, ils ont été arrêtés d'une manière arbitraire; la société civile l'a confirmé. Il y a aussi la crise dans les régions à majorité anglophone. On a dénombré un peu plus de 400.000 personnes qui sont actuellement réfugiées au Nigéria; ça attire l'attention de tout le monde. Les Camerounais en parlent depuis. Je ne pense pas que les Américains soient en train de s'ingérer; ils se préoccupent de la situation", martèle-t-il. En tournée dans plusieurs pays africains, le diplomate américain est arrivé au Cameroun le 16 mars dernier. Tibor Nagy a été reçu lundi 18 mars par le Président Paul Biya. À l'issue de la rencontre entre les deux hommes, le "monsieur Afrique" de Donald Trump a déclaré au micro de la radio d'État: "Les conversations diplomatiques sont toujours confidentielles. Vous pouvez être assurés quenos discussions ont été franches, honnêtes et directes. Nous avons chacun exprimé nos points de vue. J'apprécie énormément les connaissances et la sagesse du Président". Cependant, quelques heures plus tard, le sous-Secrétaire d'État américain aux affaires africaines évoquait sur son compte Twitter sa rencontre avec Paul Biya en ces termes "Aujourd'hui, le Président Paul Biya et moi avons discuté de la voie à suivre dans nos relations bilatérales, l'aide à la sécurité et les préoccupations relatives aux droits de l'Homme au Cameroun. J'ai également encouragé la fin de la violence et le dialogue inclusif dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest." Les relations entre les deux pays ne sont pas au beau fixe ces dernières semaines. Les États-Unis ont décidé le mois dernier de réduire de plusieurs millions de dollars l'aide militaire accordée au Cameroun. Le gouvernement américain pointait déjà du doigt le manque de progrès vers une solution de sortie de crise dans la partie anglophone, ainsi que les violations présumées des droits de l'homme.