Quatre personnalités politiques françaises ont rencontré le président syrien Bachar el-Assad: trois députés européens du RN et Andréa Kotarac, ancien élu LFI. De retour de Damas, il évoque pour Sputnik ce voyage, sa vision des relations franco-syriennes, mais aussi son parcours politique depuis qu'il a appelé à voter RN aux Européennes. Un séjour controversé à plus d'un titre. Les Eurodéputés du Rassemblement national (RN) Thierry Mariani, Nicolas Bay et Viginie Joron sont revenus de Syrie le 2 septembre. L'ancien élu La France insoumise (LFI) Andréa Kotarac était aussi du voyage. Ils y ont notamment rencontré Bachar el-Assad, une entrevue avec le président syrien qui en a choqué plus d'un. Des photos du voyage ont aussi fait polémique. Sputnik a interrogé Andrea Kotarac, qui a lui-même défrayé la chronique en appelant à voter RN au printemps dernier, à l'occasion des élections européennes. Sputnik France: Andrea Kotarac, vous revenez de Syrie. Qu'êtes-vous allé chercher dans ce pays plongé dans une guerre civile meurtrière depuis 2011? Andréa Kotarac: "Quand on est militant, quand on a un point de vue sur quelque chose, mieux vaut se rendre sur place. La situation a évolué depuis 2011: on disait que Bachar el-Assad allait tomber, on a connu les attentats en France commis par des organisations qui combattent en Syrie: d'abord et avant tout Daech* et Al-Nosra* -Al-Qaïda* en Syrie. Rappelons au passage que l'attentat de Charlie Hebdo était le fait d'Al-Qaïda au Yémen. Ce n'était pas mon premier voyage au Proche-Orient, mais cette fois nous avons visité plusieurs villages chrétiens, dont Maaloula, où se trouve le plus vieux monastère du monde, construit en 313. Le passage d'Al-Nosra a conduit à la destruction d'un patrimoine commun." "Notre but, c'était d'écouter son point de vue, d'entendre la situation à laquelle la Syrie est actuellement confrontée."
Vous avez aussi rencontré Bachar el-Assad. Que lui avez-vous dit, et que vous a-t-il dit? A.K.: "Notre but, c'était d'écouter son point de vue, d'entendre la situation à laquelle la Syrie est actuellement confrontée. Nous lui avons dit qu'il était absurde d'avoir coupé les relations diplomatiques franco-syriennes, mais aussi celles du renseignement, par exemple: on sait qu'avec un flux de migrants syriens et, plus largement, du Moyen-Orient, des individus pourraient commettre des attentats, être membres des organisations dont je vous ai parlé. Les services syriens sont capables de contribuer à l'identification de ces menaces. On voit donc bien l'intérêt qu'il y a à renouer des relations entre la France et la Syrie. Et puis, plus généralement, la Syrie est francophone et francophile, beaucoup de dirigeants chérissent la France. Il est temps que la France le leur rende." "Il est intéressant d'observer le communautarisme grandissant, dû à des injections d'argent provenant notamment des pays du Golfe. Ça devrait faire réfléchir en France."
C'était votre première rencontre avec Bachar el-Assad. Quelle impression vous a-t-il faite, plus intimement? A.K.: "C'est quelqu'un d'assez posé, de diplomate. Il me fait penser à cette diplomatie ancestrale de l'Empire perse et du Moyen-Orient. Il est fondamentalement laïc, il souhaite la coexistence de toutes les communautés, mais en Syrie, on est d'abord Syrien. Il est intéressant d'observer le communautarisme grandissant, dû à des injections d'argent provenant notamment des pays du Golfe. Ça devrait faire réfléchir en France." Que répondez-vous à ceux qui trouvent cela honteux de rendre visite à un tyran? A.K.: "Il est bon d'aller sur le terrain et de discuter avec les plus hautes autorités. Je constate que les donneurs de leçons habituels, eux, n'ont aucune critique: Emmanuel Macron a rencontré Mohammed Ben Salmane, qui est en train de mener au Yémen la pire crise humanitaire au monde selon l'Onu -et en plus avec des armes françaises comme l'a révélé Mediapart: il y a un deux poids, deux mesures. Moi, j'estime au contraire que la France doit parler avec tout le monde. J'étais en Syrie, j'étais dans les Balkans, j'étais en Iran: les gens pensent que s'il y a une médiation, la France peut régler les choses. Malheureusement, les gouvernements français sont bien souvent derrière les États-Unis, c'est bien dommage."
Était-ce la rencontre la plus marquante de votre séjour? D'autres leçons? A.K.: "Ce voyage nous a permis de discuter avec les autorités, mais aussi, hors protocole, avec le peuple -des enfants, des commerçants, etc. D'autres rencontres m'ont marqué: le grand mufti de Damas, qui a vu son fils assassiné par des islamistes, mais qui pourtant ne transpire absolument pas la haine. Il veut simplement que la Syrie souveraine perdure, bien qu'elle soit multiconfessionnelle. Il y a d'autres problèmes auxquels on ne pense pas: la Syrie manque d'hommes, par exemple -du fait de la guerre bien sûr, mais aussi de la crise des réfugiés, puisque ceux-ci sont majoritairement des hommes. Il faudra plusieurs décennies pour qu'elle se relève." "La France doit parler avec tout le monde."
Un cliché a fait polémique, avec Thierry Mariani et Nicolas Bay "trinquant" dans un restaurant au pied de la forteresse de Seidnaya. Les médias accusent Bachar El-Assad d'y avoir fait exécuter plus de 10.000 prisonniers. A.K.: "Chacun avait sa petite histoire à raconter à Seidnaya. Thierry Mariani était élu du Vaucluse, il a fait remarquer une bouteille de Côtes-du-rhône. Pour ma part, c'est dans ce restaurant que Bachar el-Assad et Hugo Chavez se sont rencontrés, rencontre qui témoignait des relations d'États souverains qui souhaitaient promouvoir un autre monde que celui proposé par le FMI et les autres organisations mondialistes. Seidnaya, c'est aussi un monastère où Al-Nosra a tiré, détruisant le patrimoine commun des Syriens, en commençant par des icônes. Bon, ceux qui sont pour l'intervention américaine en Syrie disent que c'est catastrophique [de s'y rendre, ndlr]. On doit penser aux promesses des uns et des autres: un seul candidat voulait bombarder la Syrie, c'était Benoît Hamon. Mais Emmanuel Macron l'a fait une fois élu. Il y a une volonté d'indépendance du peuple français, une volonté de ne pas suivre les États-Unis. Mais une fois élu, chacun suit le point de vue des États-Unis. On voit bien de la même manière: la francophonie décline, le lycée français est fermé -le lycée Charles de Gaulle était le plus réputé dans la région, il fonctionne en autogestion!"
Votre présence à Damas dans cette délégation du RN peut étonner. Certes, le 14 mai dernier vous annonciez voter pour le RN aux élections européennes, alors que vous étiez Conseiller régional de La France Insoumise. Que s'est-il passé depuis? A.K.: "Je suis profondément républicain, pour une République une et indivisible. Malheureusement, La France insoumise est déchirée, elle n'est plus du tout fidèle à son programme "l'avenir en commun": elle nous propose maintenant "l'avenir séparé"! Sur le burqini, le député Adrien Quattenens est opposé, mais localement les forces insoumises de Grenoble font passer les femmes qui le portent pour des Rosa Parks! Je ne suis pas membre du RN, mais je suis persuadé que nous rentrons dans une nouvelle ère. Au moment où les frontières entre les États sont détruites, on érige de nouvelles frontières au sein des États."
Vous disiez le 14 mai dernier que vous risquiez "la mort sociale". Trois mois plus tard, est-elle arrivée? A.K.: "Étrangement, non. J'ai été assez soutenu. Il se trouve que je viens de signer un contrat d'assistant [au Parlement européen, ndlr] pour assister le député européen Hervé Juvin [du Rassemblement national, ndlr]. On va me dire que c'est une promotion, mais non: j'étais élu, maintenant je suis assistant d'élu! Mais ce sera du travail de fond, sur l'écologie, sur les conséquences de la mondialisation. Il n'y a donc pas de promotion, il n'y a que des convictions. J'ai toujours dit que je continuais le combat politique. J'ai démissionné de mon mandat, j'ai abandonné mes 2.000 euros par mois par honnêteté envers mes électeurs de 2015, qui ne voient pas forcément le nouveau clivage mondialistes/localistes arriver."
Même à la France insoumise? A.K.: "Je n'ai pas perdu énormément d'amis [à LFI, ndlr]. Certains se posent la question de voter pour Marine Le Pen. J'ai une large partie de mon entourage qui est d'accord avec moi. Ce qui montre que nous entrons dans une nouvelle ère: l'emprise des GAFA, l'UE qui panique, les réformes de l'individualisation des retraites: sur le constat, les membres de la France insoumise peuvent être d'accord sur la perte de commun à laquelle nous assistons."