Où est l'épicentre ? Depuis août dernier, la crise a semblé faire la navette entre les deux rives de l'Atlantique. Les difficultés se sont d'abord cristallisées dans des banques moyennes en Europe, IKB et Sachsen LB en Allemagne, Northern Rock au Royaume-Uni, puis les autres banques européennes ont semblé tenir le choc. A l'automne, les géants de Wall Street ont vacillé à leur tour: Citi, Merrill Lynch, et les activités américaines d'UBS notamment, mais l'irruption bienvenue des fonds souverains les a remis à flot pour un moment. Ensuite, la Société Générale a un moment recadré le projecteur sur les risques du Vieux Continent, mais, depuis la recapitalisation réussie, Jérôme Kerviel est déjà presque oublié hors de France. Enfin, le sauvetage public in extremis de Bear Stearns a fait monter d'un cran la tension aux Etats-Unis, l'Europe apparaissant presque immune en comparaison. Il y a de quoi être perplexe.Les risques et les dégâts sont importants des deux côtés, mais ils ne sont pas identiques. Aux Etats-Unis, le marché immobilier connaît un retournement sans précédent qui affecte l'ensemble du pays, l'économie est sans doute entrée en récession, et une vague de faillites d'entreprises est probable. En Europe, l'environnement économique s'est dégradé aussi, mais pas autant. De plus, les conditions et pratiques du crédit immobilier en Europe sont plus protectrices pour le système bancaire. Outre-Atlantique, si la valeur d'un logement passe en dessous du montant de l'emprunt immobilier correspondant, le propriétaire peut rendre les clés à la banque et en être quitte. Rien de tel chez nous. En revanche, l'Europe bancaire s'est découverte depuis huit mois des vulnérabilités insoupçonnées et préoccupantes. Des déficiences graves de la gestion du risque sont apparues à tous les niveaux. Au sein des banques elles-mêmes: les banques publiques allemandes ont exposé une grande part de leur bilan à des risques qu'elles semblent ne pas avoir bien compris, et la Société Générale a révélé des déficiences sérieuses de son contrôle interne. Au niveau des autorités publiques: le régulateur financier allemand n'a pas su ou pas voulu traiter à temps le risque porté hors bilan par IKB, Sachsen LB et WestLB; la Banque d'Angleterre a commis une lourde erreur en refusant de fournir de la liquidité aux banques britanniques, précipitant la chute de Northern Rock. Enfin, au niveau du marché tout entier: celui-ci a peu confiance dans les comptes publiés par les banques européennes, certainement moins qu'aux Etats-Unis. En dépit des débats théologiques sur la juste valeur, ce ne sont pas tant les normes comptables qui sont en cause mais plutôt la discipline et la cohérence dans leur mise en oeuvre qui, en Europe, laissent encore largement à désirer du fait de la fragmentation des autorités de contrôle. La polémique qui a suivi la comptabilisation par la Société Générale de la “perte Kerviel” en 2007 plutôt qu'en 2008, selon une interprétation des IFRS qui n'a pas fait consensus, illustre bien cet aspect de nos problèmes. Surtout, l'Europe pâtit d'un trou béant au centre de son système de supervision financière. Les grandes banques européennes sont sorties de leur pays d'origine au cours des dernières années, au fur et à mesure des fusions transfrontalières telles que Santander-Abbey, UniCredit-HVB, BNP Paribas-BNL ou le démantèlement d'ABN-Amro. Mais leur supervision est restée presque entièrement organisée sur une base nationale. De ce fait, les banques les plus importantes pour la stabilité du système sont aussi celles dont la surveillance publique est la plus hasardeuse. Les Etats-Unis se posent aussi des questions sur les compétences respectives de leurs autorités de régulation, mais eux disposent d'un régime bancaire unifié depuis 1864, et d'agences fédérales de supervision depuis 1933. En d'autres termes, l'environnement économique reste plutôt clément en Europe comparé aux Etats-Unis, mais notre système bancaire et financier paraît plus fragile. Du fait de la volatilité actuelle, cette fragilité pourrait se révéler dévastatrice. Les deux crises, de part et d'autre de l'Atlantique, sont liées et évoluent en parallèle, mais appellent des réponses différentes des pouvoirs publics. Les Etats-Unis font face à une crise immédiate et majeure qui exigera sans doute à court terme des interventions radicales. En Europe, les problèmes sont plus structurels, et impossibles à traiter dans l'instant. L'enjeu est de renforcer la discipline collective de gestion de nos risques financiers, avec une supervision crédible, une transparence fiable, et un réel contrôle des risques dans les banques. Ce sera long, mais il est urgent de commencer. Nicolas Véron, économiste au sein du centre de réflexion européen Bruegel