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L'économie de la connaissance selon Dr. Younes Bouacida : "Une aubaine pour la promotion de l'économie nationale"
Publié dans Le Maghreb le 11 - 03 - 2020

Avec son concept d'économie de la connaissance, le docteur Redha Younes Bouacida, analyse dans cet entretien accordé exclusivement au quotidien " Le Maghreb de L'Economie ", l'état de l'économie algérienne, tout en faisant le tour d'horizon sur le modèle de l'économie de la connaissance et l'innovation qui est utile pour le développement économique. Dans sa lecture, notre interlocuteur précise que la création d'un ministère de l'Economie de la connaissance devrait être renforcée par la création d'un environnement se caractérisant par un cadre économique, juridique, financier et fiscal favorable au développement d'entreprises innovantes
et de start-up.
Entretien recueilli par Mohamed Wali


Le Maghreb de L'Economie : Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs du quotidien
Le Maghreb ?

Dr. Redha Younes Bouacida : Je suis docteur en sciences économiques de l'université Aix Marseille III, France. Actuellement, je suis enseignant/ chercheur à l'université de Skikda, chercheur associé dans l'équipe Maghtech-DIM, Clersé UMR 8019 du CNRS Université de Lille 1 et adhérent au Réseau de Recherche sur l'Innovation (RRI/France). Mes travaux de recherche portent essentiellement sur l'économie du développement, l'économie de la connaissance, l'innovation et la compétitivité des entreprises ainsi que sur le développement durable.

La situation de l'économie algérienne est catastrophique, alors que le nouveau gouvernement se lance dans un défi de taille pour redresser cette situation. Quelle analyse faites-vous sur la situation ?
L'économie algérienne reste toujours basée sur la rente des hydrocarbures, c'est-à-dire qu'elle repose sur un revenu extérieur dépendant de facteurs exogènes à la nation. Dès lors, le tissu industriel est peu diversifié et demeure largement dominé par le secteur des hydrocarbures qui représente près de 97% des exportations et génère environ 50% des recettes de l'État. Dans son état actuel, on peut considérer que l'économie algérienne est caractérisée par une structure dualiste qui juxtapose les restes de la période d'industrialisation pilotée par l'État et un très grand nombre de petites, voire très petites entreprises issues de la période de libéralisation qui a commencé au début des années 1990. Au passage, ce dualisme pose aux autorités publiques un problème classique d'allocation des ressources en capital, trop importantes dans ce qui reste du secteur d'État où leur rendement est faible, et insuffisantes dans le secteur privé où leur rendement est plus élevé. Aussi, l'échec des politiques de recherche et d'innovation mises en place depuis plus de trois décennies par les pouvoirs publics a compromis la construction d'un modèle de croissance fondé sur l'économie de la connaissance et l'innovation dans le but de créer une nouvelle richesse pour le pays et assurer des conditions d'existence décentes à la population. Aujourd'hui encore, la balance commerciale du pays se retrouve avec un déficit de plus 6 milliards de dollars (2019). Ceci est dû principalement au volume dérisoire des exportations hors secteur des hydrocarbures et l'incapacité des exportations en hydrocarbure à couvrir les importations. Compte tenu de tous ces éléments, et dans un contexte de mondialisation, le défi est effectivement de taille afin de redresser la situation et construire ainsi un tissu industriel performant et promouvoir une économie compétitive dans le but de s'insérer dans l'économie internationale. Cela ne pourrait être réalisé que par une transition du modèle de croissance.

Dans vos recherches scientifiques vous proposez une politique adéquate pour la diversification du secteur industriel. Pouvez-vous nous donner des précisions ?

D'abord, pour donner une idée concrète à nos lecteurs, il faut savoir que la part de l'industrie hors secteur des hydrocarbures dans le PIB représente moins de 5% (alors qu'elle était de l'ordre de 18% dans les années 1980). Les entreprises produisent majoritairement des biens à faible valeur ajoutée destinés exclusivement au marché local (articles d'habillement, textiles, produits chimiques et dérivés, etc.). En termes de spécialisation, l'économie est peu présente sur les catégories de produits les plus dynamiques au niveau mondial (machines électroniques, ordinateurs, appareils informatiques, etc.). La part des produits de moyenne et haute technologie dans la valeur ajoutée industrielle est particulièrement faible (moins de 27%). Par rapport à cela, nous pensons que la diversification du secteur industriel algérien doit passer par la promotion d'un écosystème propice au développement des petites et moyennes entreprises et aux activités d'innovation. Ensuite, il faudrait se focaliser sur l'attractivité des investissements directs étrangers (IDE). La stratégie " avec IDE " devrait concerner des secteurs d'activités à fort contenu technologique et porteurs en sous-traitance (comme par exemple les équipements informatiques, les appareils électroniques, l'aéronautique, les énergies renouvelables, etc.). Cela va permettre aux entreprises algériennes de nouer des liens avec des firmes de pays développés (et émergents) tout en favorisant la création d'emplois et la croissance. Cette internationalisation offre des possibilités inédites de valorisation des capacités locales et d'acquisition de nouvelles connaissances, compétences et technologies étrangères par transfert avec des partenaires le plus souvent originaires des pays avancés. Toutefois, cette stratégie suppose d'être soutenue. En effet, les décideurs algériens doivent prêter attention à l'investissement portant sur l'éducation, la formation des compétences des ressources humaines (y compris la formation professionnelle). Aussi, encourager l'investissement dans les actifs intellectuels (recherche et développement, conception, etc.) afin de favoriser les activités d'innovation et de fait, l'insertion des entreprises dans des chaînes de production mondiales. Aujourd'hui, le développement de nouvelles productions manufacturières ne se fait plus de façon autonome. Ce qui veut dire qu'il n'est plus possible de se développer sur une base essentiellement nationale de type substitution aux importations. De ce fait, le développement industriel dont le caractère est stratégique, car il détermine la capacité de concurrence dans une économie mondialisée, passe par le positionnement et l'évolution dans les réseaux mondiaux de production. Cela va permette d'instaurer en Algérie de nouvelles activités manufacturières à fort contenu en technologie et en travail qualifié permettant ainsi de dégager des montants élevés de valeur ajoutée et de création de richesse.

Vos travaux de recherche portent sur la croissance et le développement, l'économie de la connaissance et de l'innovation. Que suggérez-vous pour promouvoir l'économie du pays ?

Désormais, l'économie de la connaissance est devenue une grande préoccupation dans les pays développés, mais aussi dans de nombreux pays en développement pour la création des richesses et l'amélioration des niveaux de vie des populations. Elle se caractérise par l'importance accordée à la connaissance, le capital immatériel et les institutions pour justifier les différences en matière de performances économiques entre les pays. En ce qui nous concerne, la question qui se pose est " pourquoi l'Algérie, compte tenu des politiques scientifiques et technologiques mises en place depuis les années 1990, appuyées par des revenus importants provenant du secteur des hydrocarbures pour financer ces politiques, n'arrive pas encore à construire une économie de la connaissance ? Pour l'Algérie dont le niveau d'activité scientifique et technique demeure faible et très éloigné des frontières des connaissances, nous considérons que l'objectif ne peut pas être de venir se mesurer avec les équipes expérimentées des grands pays de tradition scientifique sur les programmes que ces pays développent, ce qui constituerait un gaspillage de moyens comme le reconnaît le rapport algérien accompagnant la présentation de la loi de 2008. Dès lors, nous pensons que l'entrée de l'Algérie dans l'économie de la connaissance suppose quelques conditions. D'abord, le développement d'une capacité d'absorption des savoirs externes. En effet, l'enjeu pour notre économie réside dans l'absorption plutôt que la production de connaissances pour les raisons que nous avons soulignées précédemment. L'absorption peut se réaliser par différents scénarios. Cependant, compte tenu des faibles capacités algériennes en matière de science, technologie et recherche & développement, il faudrait privilégier le recours au canal de l'IDE. Cela doit être en cohérence avec une stratégie d'industrialisation choisie selon les objectifs du pays pour augmenter le stock de connaissances des entreprises. Nous pensons que cela doit être un choix, au moins pour un temps limité de façon à gagner en compétences et effectuer une certaine autonomisation de la base scientifique et technique nationale. Ensuite, l'Algérie doit s'insérer dans les chaînes de valeur mondiales afin d'améliorer l'apprentissage et augmenter le niveau de capacités technologiques des entreprises. Aujourd'hui, de nombreuses activités économiques sont organisées sous la forme de filières à l'échelle mondiale impliquant une répartition de ces activités entre les pays et les régions du monde.
De ce fait, le plus court chemin pour les entreprises algériennes vers le marché mondial consiste à intégrer ces filières mondialisées. Enfin, il faut instaurer dans le pays une bonne gouvernance pour promouvoir un État fort et mettre en place une véritable dynamique de développement. Adoptée par la Banque mondiale au début des années 1990, la bonne gouvernance est devenue un élément central de la stratégie de développement. Elle est attachée à la modification du comportement gestionnaire de l'État et désigne ainsi " l'art ou la manière de gouverner " pour le bien de tous.
En effet, la bonne gouvernance est la garantie de l'application des politiques économiques sur le terrain ainsi que la transparence de l'action publique dans ce domaine pour atteindre les objectifs.
Par exemple, cela va permettre de promouvoir un climat favorable aux activités de recherche dans les universités et les institutions de recherche, faciliter le retour des chercheurs expatriés (diasporas) et servira aussi à attirer des firmes multinationales qui y trouveront les conditions favorables à l'investissement, voire à la coopération scientifique et technologique avec les entreprises locales.
Justement le président de la République a crée un nouveau département ministériel, celui de la Micro entreprise, des start-up et de l'Economie de la connaissance, que pensez-vous de cette initiative ?
Créer un tel ministère est une très bonne chose pour promouvoir une économie de la connaissance dans un pays en développement. Cette initiative devrait être renforcée par la création d'un environnement se caractérisant par un cadre économique, juridique, financier et fiscal favorable au développement d'entreprises innovantes et de Start-up. Il faut savoir qu'en Algérie, il existe quatre projets de création de technopôles : 1/Sidi-Abdalah pour les TIC, les technologies avancées et la formation et la recherche universitaire. 2/ Oran-Sidi Bel-Abbès-Tlemcen- Mostaganem qui est spécialisé dans le domaine de la chimie organique, les technologies spatiales et les télécommunications. 3/ Sétif-Bordj Bou-Arréridj, M'Sila- Béjaïa- dont l'objectif est de développer les technologies de la plasturgie, de la biotechnologie alimentaire et la productique.
4/ Ouargla-Hassi Messaoud-Ghardaïa qui est destiné à la pétrochimie, aux énergies renouvelables et à l'agriculture. Aujourd'hui, il n'y a que le technopôle de Sidi-Abdellah qui a commencé (plus ou moins) son activité. De ce fait, les autorités publiques devront concrétiser le reste des projets de technopôles. En somme, il faudrait promouvoir le développement de technopôles un peu partout dans le pays par une politique industrielle volontariste. Ces technopôles permettront d'accueillir et accompagner des projets innovants ou en favoriser la création. Ils permettront également de créer une industrie nouvelle s'appuyant sur des entreprises de haute technologie, créateurs d'emploi. A l'arrivée, cela va promouvoir la diversité du tissu industriel et les activités d'innovation au sein de l'économie et favoriser ainsi le rattrapage technologique pour notre pays.
(A suivre...)


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