Au-delà du mythe fabriqué par les médias, François Mitterrand était avant tout un homme obnubilé par sa carrière politique. Extrêmement soucieux de son avenir politique, Mitterrand avait tourné sciemment le dos aux réalités coloniales en Algérie pour satisfaire ses ambitions de pouvoir. C'est ce qu'a affirmé, mardi, l'éminent historien Benjamin Stora, lors d'une rencontre-débat tenue en marge de la 15e édition du Salon international du livre d'Alger (Sila) à l'esplanade du complexe sportif Mohamed-Boudiaf. Une foule nombreuse se bousculait à l'entrée de la salle de conférence pour assister à cette table ronde organisée sous le thème de «Mitterrand et la Guerre d'Algérie». L'attitude adoptée par Mitterrand, «confronté» à la guerre d'Algérie entre 1954 et 1953, est au coeur du livre qui vient de paraître en France, François Mitterrand et la guerre d'Algérie, signé par Benjamain Stora et François Mayle. Les deux auteurs de cette biographie braquent les projecteurs sur un épisode de la vie du premier président socialiste de la Ve République française qui reste toujours méconnu du grand public. «Les histoires se perdent si elles ne sont pas transmises», tient à préciser Benjamin Stora. C'est le cas du passé algérien de François Mitterrand, longtemps occulté. Ministre de l'Intérieur au déclenchement de la guerre d'indépendance en 1954 dans le gouvernement de Pierre Mendès - France et ministre d'Etat chargé de la Justice dans le gouvernement de Guy Mollet, François Mitterrand ne s'opposa pas au vote des pouvoirs spéciaux en Algérie. Il ne démissionne pas de son poste comme l'avait fait Pierre Men-dès - France. Pis encore, il valide près de 45 exécutions de militants algériens en sa qualité de garde des Sceaux. «L'avis du ministre de la Justice était tout à fait décisif et tout à fait prépondérant à l'époque», af-firme l'intervenant. «René Coty a (président de la IVe République) entériné des décisions proposées par le garde des Sceaux. Je prends l'exemple de Fernand Yveton, militant communiste. Un deuxième exemple connu du public algérien, c'est celui de Ahmed Zabana qui était le premier condamné à mort algérien en 1956. Il a été arrêté et guillotiné parce qu'il avait mis le feu à une meule de foin», rappelle-t-il. Quelques années plus tard, c'est le même politique qui abolira la peine de mort. La classe politique française avait «une méconnaissance absolue du nationalisme algérien». François Mitterand ne constitue pas l'exception dans ce sens. «Lorsque la guerre de 1954 éclate, c'est une grande surprise pour elle. Celle-ci ne savait pas que le nationalisme algérien existait depuis très longtemps déjà. Depuis au moins une trentaine d'années, dans sa version radicale et politique.», assure-t-il. Ce spécialiste de l'Algérie explique, au cours de son intervention, qu'il y avait une certaine volonté de ne pas connaître l'autre et de ne pas le reconnaître en tant «qu'acteur autonome». «Lorsque la guerre commence, la première réaction de François Mitterrand fut de dissoudre le Mtld (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques de Messali Hadj) le 5 novembre 1954», indique-t-il. Pour les responsables français de l'époque, le Mtld était une structure politique insignifiante. «Quand on réfléchit avec du recul, on s'aperçoit que c'est une erreur politique extraordinaire», indique l'historien. Il fait également observer que «le Mtld était une organisation très importante». Celui qui fut jusqu'en 1958, l'un des principaux acteurs de la Guerre d'Algérie, croyait dur comme fer, qu'il ne s'agissait que d'une insurrection d'une courte durée. «A chaque fois, il pensait en finir très vite, pour lui il fallait écraser les quelques meneurs qui existaient et ce qu'on appelle la théorie du dernier quart d'heure de l'insurrection. Encore une fois, cela témoigne de la méconnaissance de l'état réel d'une société», assure-t-il. Bref, François Mitterrand était un partisan de l'Algérie française. Ses incommensurables ambitions politiques, devenir président du Conseil, entre autres, pourraient très bien être compromises avec l'adoption d'une autre position. C'est donc, cette partie de la vie de ce politique, longtemps occultée, que l'historien Benjamin Stora et le journaliste François Mayle nous proposent de découvrir. Mais est-ce que Mitterrand aurait sacrifié les principes fondamentaux de sa famille politique, la gauche, sur l'autel des ambitions politiques? Absolument pas! La gauche française n'avait jamais ap-prouvé l'option de l'indépendance selon Benjamin Stora. Selon ce dernier, la responsabilité dans la Guerre d'Algérie, n'incombe pas seulement à la droite française mais à la gauche aussi. «Ce qu'on a tendance à oublier, c'est que cette guerre a commencé et a été conduite par la gauche française», rappelle-t-il. «Les tabous, les secrets et les problèmes ne concernaient pas uniquement la droite», ajoute-t-il. Cette question, persiste le conférencier, a été très peu étudiée. L'une des raisons pour laquelle l'auteur du Mystère de De Gaulle: son choix pour l'Algérie s'est intéressé à la vie de Mitterrand, c'est l'ouverture des archives d'Etat. «Il y a dix ans, ces archives n'étaient pas accessibles, aujourd'hui, elles sont disponibles», indique-t-il.