Le Premier ministre turc, dont le parti islamiste AKP est le grand vainqueur des élections législatives de dimanche, est tout à la fois autoritaire, nationaliste, proche du petit peuple et porteur d'une vision glorieuse de l'avenir de son pays, en faire le modèle du monde musulman. Le Premier ministre turc, dont le parti islamiste AKP est le grand vainqueur des élections législatives de dimanche, est tout à la fois autoritaire, nationaliste, proche du petit peuple et porteur d'une vision glorieuse de l'avenir de son pays, en faire le modèle du monde musulman. L'homme est un tribun. Ses diatribes, ses dérapages sont le plus souvent volontaires et très calculés. La campagne électorale a été rude, violente. Mais ce soir, son discours est parfaitement maîtrisé et se veut consensuel. Erdogan sait magistralement passer d'un registre à l'autre, de l'émotion à la prédication, de la fierté nationaliste à la solidarité musulmane, de la profession de foi démocratique à l'ordre moral. La force des discours de Recep Tayyip Erdogan, gosse de famille modeste, c'est qu'il y apparaît tout à la fois comme un «gars normal», un gars qui nous ressemble et comme un dirigeant, un chef qui montre le chemin. Avec Erdogan, c'est la «Turquie réelle» qui est au pouvoir, une Turquie musulmane et sunnite, conservatrice et autoritaire, une Turquie majoritaire et très différente de la Turquie libérale, occidentalisée et minoritaire telle qu'on la voit souvent de Bruxelles ou de Paris. C'est un discours déclamé sans notes, un discours simple, efficace, qui cherche à être «rassembleur». Dimanche, vers 22 heures turques, Recep Tayyip Erdogan prend la parole devant les milliers de supporters amassés au quartier général du parti de la Justice et du développement (AKP) à Ankara. A ses côtés, Emine, son épouse, une maîtresse femme, voilée, qui joue un grand rôle dans la carrière de son mari. Une conseillère «es-mœurs» mais aussi et depuis peu une femme d'affaires avisée. Il dédie la victoire à la «nation turque» toute entière. Or celle-ci est profondément divisée entre deux camps, celui majoritaire de l'AKP (49,9% des voix) et celui, minoritaire, du parti républicain du peuple (CHP) (25,9%). Tout les oppose, on ne s'y habille pas de la même manière, on n'écoute pas la même musique. Les premiers portent une petite moustache bien taillée, les seconds pas de moustache ou une moustache plus drue. Les femmes des premiers portent parfois le foulard, jamais les secondes. Même les registres des prénoms peuvent être marqués. Rival de l'AKP, le CHP est le parti «historique» de la révolution kémaliste (1923) ; il a longtemps été un parti unique, pro-laïc, très nationaliste et proche de l'armée qui a procédé à quatre coups d'Etat en 50 ans. Jusqu'il y a peu, le CHP accusait l'AKP de posséder un «objectif caché» islamiste, c'est-à-dire de chercher à instaurer un Etat théocratique basé sur la sharia. Condamnée en 2008 par la Cour constitutionnelle à une lourde amende pour «activités anti-laïques», l'AKP cherche à faciliter et à rendre plus visible la pratique religieuse de sa base sans pour l'instant avoir touché au code civil Erdogan affirme être le continuateur d'Atatürk De son côté, le CHP a réalisé que s'il voulait élargir sa base, il lui fallait céder sur la religion, ainsi a-t-il de facto accepté le port du foulard dans les universités. Tandis que l'AKP a offert des concessions aux laïcs et n'a pas présenté de candidates voilées, cependant que 78% des Turcs n'objecteraient pas à la présence de députées voilées dans l'hémicycle. Dans son discours, Erdogan s'auto-proclame même, non sans ambiguité, le continuateur de l'œuvre d'Atatürk : «Mustafa Kemal voulait une Turquie moderne, c'est chose faite», dit-il. Le fondateur de la république laïque de Turquie (1923), un «dictateur éclairé», disent parfois ses supporters, reste une figure tutélaire pour les deux camps. Désormais — et ce fut très sensible durant cette campagne électorale — ce sont les dérives autoritaires de Tayyip Erdogan, sa «poutinisation» que le CHP — et certains intellectuels libéraux — dénoncent. Mais le caractère autocratique Erdogan ne semble pas avoir ému les électeurs qui ont renouvelé et augmenté leur confiance en l'AKP. Dimanche soir, le Premier ministre turc a d'ailleurs remercié tous ceux qui «ont voté pour nous en dépit de ces débats, de ces attaques et de ces insinuations». Car ce que neuf ans d'AKP ont donné aux Turcs, c'est non seulement la croissance économique (près de 9% pour 2010) et la stabilité politique, mais également une nouvelle fierté nationale. Or si l'AKP peut se targuer d'une belle victoire, avec un meilleur score qu'en 2007 et la majorité des voix, il n'a cependant pas obtenu les deux tiers des 550 sièges qui auraient permis à son parti d'écrire seul une nouvelle Constitution pour remplacer la loi fondamentale instaurée par la junte militaire en 1982. L'homme est un tribun. Ses diatribes, ses dérapages sont le plus souvent volontaires et très calculés. La campagne électorale a été rude, violente. Mais ce soir, son discours est parfaitement maîtrisé et se veut consensuel. Erdogan sait magistralement passer d'un registre à l'autre, de l'émotion à la prédication, de la fierté nationaliste à la solidarité musulmane, de la profession de foi démocratique à l'ordre moral. La force des discours de Recep Tayyip Erdogan, gosse de famille modeste, c'est qu'il y apparaît tout à la fois comme un «gars normal», un gars qui nous ressemble et comme un dirigeant, un chef qui montre le chemin. Avec Erdogan, c'est la «Turquie réelle» qui est au pouvoir, une Turquie musulmane et sunnite, conservatrice et autoritaire, une Turquie majoritaire et très différente de la Turquie libérale, occidentalisée et minoritaire telle qu'on la voit souvent de Bruxelles ou de Paris. C'est un discours déclamé sans notes, un discours simple, efficace, qui cherche à être «rassembleur». Dimanche, vers 22 heures turques, Recep Tayyip Erdogan prend la parole devant les milliers de supporters amassés au quartier général du parti de la Justice et du développement (AKP) à Ankara. A ses côtés, Emine, son épouse, une maîtresse femme, voilée, qui joue un grand rôle dans la carrière de son mari. Une conseillère «es-mœurs» mais aussi et depuis peu une femme d'affaires avisée. Il dédie la victoire à la «nation turque» toute entière. Or celle-ci est profondément divisée entre deux camps, celui majoritaire de l'AKP (49,9% des voix) et celui, minoritaire, du parti républicain du peuple (CHP) (25,9%). Tout les oppose, on ne s'y habille pas de la même manière, on n'écoute pas la même musique. Les premiers portent une petite moustache bien taillée, les seconds pas de moustache ou une moustache plus drue. Les femmes des premiers portent parfois le foulard, jamais les secondes. Même les registres des prénoms peuvent être marqués. Rival de l'AKP, le CHP est le parti «historique» de la révolution kémaliste (1923) ; il a longtemps été un parti unique, pro-laïc, très nationaliste et proche de l'armée qui a procédé à quatre coups d'Etat en 50 ans. Jusqu'il y a peu, le CHP accusait l'AKP de posséder un «objectif caché» islamiste, c'est-à-dire de chercher à instaurer un Etat théocratique basé sur la sharia. Condamnée en 2008 par la Cour constitutionnelle à une lourde amende pour «activités anti-laïques», l'AKP cherche à faciliter et à rendre plus visible la pratique religieuse de sa base sans pour l'instant avoir touché au code civil Erdogan affirme être le continuateur d'Atatürk De son côté, le CHP a réalisé que s'il voulait élargir sa base, il lui fallait céder sur la religion, ainsi a-t-il de facto accepté le port du foulard dans les universités. Tandis que l'AKP a offert des concessions aux laïcs et n'a pas présenté de candidates voilées, cependant que 78% des Turcs n'objecteraient pas à la présence de députées voilées dans l'hémicycle. Dans son discours, Erdogan s'auto-proclame même, non sans ambiguité, le continuateur de l'œuvre d'Atatürk : «Mustafa Kemal voulait une Turquie moderne, c'est chose faite», dit-il. Le fondateur de la république laïque de Turquie (1923), un «dictateur éclairé», disent parfois ses supporters, reste une figure tutélaire pour les deux camps. Désormais — et ce fut très sensible durant cette campagne électorale — ce sont les dérives autoritaires de Tayyip Erdogan, sa «poutinisation» que le CHP — et certains intellectuels libéraux — dénoncent. Mais le caractère autocratique Erdogan ne semble pas avoir ému les électeurs qui ont renouvelé et augmenté leur confiance en l'AKP. Dimanche soir, le Premier ministre turc a d'ailleurs remercié tous ceux qui «ont voté pour nous en dépit de ces débats, de ces attaques et de ces insinuations». Car ce que neuf ans d'AKP ont donné aux Turcs, c'est non seulement la croissance économique (près de 9% pour 2010) et la stabilité politique, mais également une nouvelle fierté nationale. Or si l'AKP peut se targuer d'une belle victoire, avec un meilleur score qu'en 2007 et la majorité des voix, il n'a cependant pas obtenu les deux tiers des 550 sièges qui auraient permis à son parti d'écrire seul une nouvelle Constitution pour remplacer la loi fondamentale instaurée par la junte militaire en 1982.