Le politologue Salim Kellala est maître conférencier au département des sciences politiques et relations internationales d'Alger 3. Dans cet entretien accordé au Midi Libre, le spécialiste en histoire de la pensée politique dresse un constat sur la scène politique tunisienne tout en indiquant les transformations qu'elle pourra prendre. Aussi, l'universitaire porte des éclaircissements sur certains concepts politiques. A signaler qu'au moment où nous avons interviewé le docteur (entretien réalisé hier matin), les résultats de élections tunisiennes n'ont pas été encore annoncés. Suivons le récit du chercheur universitaire… Le Midi Libre : Les résultats des élections tunisiennes seront annoncés d'ici quelques heures. Selon moult observateurs, c'est le mouvement d'Ennahda qui remportera ces suffrages. Qu'elle est votre appréciation ? Salim Kellala : Quel que soit le parti qui remportera ces élections, il ne pourra pas s'emparer du pouvoir d'une façon absolue. Selon la législation tunisienne qui vise à ce que le pouvoir soit partagé, les partis politiques ne peuvent pas prendre un taux supérieur à 30% des sièges. Ennahda, ou autre, sera ainsi obligé de faire une ou des alliances avec d'autres partis politiques. Pour le mouvement d'El Ghenouchi, je dirais que la liste de Hamedi, qui est un ex-du mouvement d'Ennahda, est le plus proche pour lui. Toutefois, je tiens à dire qu'Ennahda acceptera de faire des alliances avec les composantes de courant ainsi que les autres. Dans ce sens, estimez-vous que le mouvement d'Ennahda menace ou pourra, dans l'avenir, menacer les libertés en Tunisie ? Même si le parti est de tendance islamiste, je pense personnellement qu'Ennahda ne représente aucune menace pour son peuple qui est en réalité son électeur. Pour preuve, on trouve des Tunisiennes et même des femmes qui ne portent pas le hijab sur les listes électorales du parti. Ce parti a, certes, une tendance islamiste mais il ne prend en considération que les convictions partisanes de ses sympathisants. Permettez-moi de vous dire qu'au contraire, le parti Ennahda est la meilleure alternative pour le moment. Ennahda est un parti islamiste modéré qui pourra prendre la Turquie en exemple, d'autant que les Occidentaux, en premier lieu les Américains, ne rejettent plus le courant islamique, notamment ceux qui ne sont pas radicaux et qui respectent les Constitutions et le jeu démocratique d'une façon générale. Il ne faut pas oublier qu'Ennahda a tous ces critères mais aussi El Ghenouchi qui ne va pas toucher au code de la famille, à titre d'exemple. Pensez-vous que la Tunisie d'Ennahda sera un Etat démocratique ou un Etat théocratique ou, plutôt, se positionnera-t-elle au milieu ? Il est peu probable que le modèle turc ne soit pas appliqué en Tunisie. Plusieurs points communs existent entre ces deux pays. Par exemple, le passé du premier président Bourguiba a plusieurs points de ressemblances avec celui d'Atatürk. Les deux ont inculqué à leurs sociétés la culture de séparer la religion de la politique et de ne pas l'impliquer directement dans tous les domaines. En outre, l'armée qui veut rester à l'intérieur de sa caserne estime que le courant islamiste modéré, à l'image de celui d'Ennahda, est à même d'apporter la stabilité à la Tunisie. Il faut dire que la stabilité est la priorité de l'institution militaire tunisienne. Cette priorité est la même pour Ennahda. Il ne faut pas aussi oublier que ce parti a une large base populaire et que l'armée tunisienne ne veut pas de truquage dans les élections, contrairement à plusieurs pays arabes qui, à chaque occasion, matriculent les votes. Selon vous, le scénario de l'ex-FIS ne pourra, en aucun cas, se rééditer en Tunisie ? Absolument pas. L'ex-FIS voulait appliquer la Charia, par contre Ennahda est pour un système politique civil. Ce mouvement islamiste sait pertinemment que l'Islam sépare la religion de ce qui est politique. Pour preuve, aucun verset coranique n'a parlé de l'après-Prophète (QSSSL). Le calife Abou Bakr n'a été désigné qu'après un débat politique. Et l'acte politique est un acte civil non pas théocratique. Au cours de ce débat, qui a eu lieu avant les funérailles du Prophète (QSSSL), des arguments politiques ont été donnés, à l'image de ceux qui ont dit qu'ils ont soutenu le Prophète (QSSSL) durant les phases les plus difficiles de son parcours. La première autorité en Islam n'est venue qu'après un consensus. Pour les autres califes, leurs désignations ont été faites en fonction des situations. Ennahda et El Ghenouchi connaissent très bien ce qu'est l'Islam politique. En tant qu'académicien, existe-t-il un modèle qui serait entre le modèle démocratique et celui théocratique ? L'histoire de la démocratie et celle de la théocratie ont prouvé l'inexistence de pays démocrates ou de pays théocrates, mais que chaque Etat a ses propres spécificités. En histoire de la pensée politique, qu'en systèmes politiques comparés, il n'y a pas une seule démocratie ou une seule théocratie. La démocratie à la française n'est pas la démocratie à l'américaine. Même l'application des différents versets du Coran diffère d'un courant à un autre. La démocratie, ce sont des principes généraux qu'on peut adapter à des peuples et c'est pareil pour la théocratie. On ne peut pas parler d'une seule démocratie ou d'une seule théocratie mais d'un système ou d'un régime. Un régime démocratique peut s'inspirer de la religion musulmane. La Tunisie d'Ennahda pourra avoir un système politique inspiré de l'Islam. En plus, il n'y a aucun verset en Islam qui a parlé de la formation de l'Etat. D'ailleurs, les expériences politiques dans les califats ne sont pas les mêmes. La façon dont a été élu Omar n'est pas la même que celle dont a été élu Abou Bakr, eux, qui connaissent l'Islam mieux que nous. Le politologue Salim Kellala est maître conférencier au département des sciences politiques et relations internationales d'Alger 3. Dans cet entretien accordé au Midi Libre, le spécialiste en histoire de la pensée politique dresse un constat sur la scène politique tunisienne tout en indiquant les transformations qu'elle pourra prendre. Aussi, l'universitaire porte des éclaircissements sur certains concepts politiques. A signaler qu'au moment où nous avons interviewé le docteur (entretien réalisé hier matin), les résultats de élections tunisiennes n'ont pas été encore annoncés. Suivons le récit du chercheur universitaire… Le Midi Libre : Les résultats des élections tunisiennes seront annoncés d'ici quelques heures. Selon moult observateurs, c'est le mouvement d'Ennahda qui remportera ces suffrages. Qu'elle est votre appréciation ? Salim Kellala : Quel que soit le parti qui remportera ces élections, il ne pourra pas s'emparer du pouvoir d'une façon absolue. Selon la législation tunisienne qui vise à ce que le pouvoir soit partagé, les partis politiques ne peuvent pas prendre un taux supérieur à 30% des sièges. Ennahda, ou autre, sera ainsi obligé de faire une ou des alliances avec d'autres partis politiques. Pour le mouvement d'El Ghenouchi, je dirais que la liste de Hamedi, qui est un ex-du mouvement d'Ennahda, est le plus proche pour lui. Toutefois, je tiens à dire qu'Ennahda acceptera de faire des alliances avec les composantes de courant ainsi que les autres. Dans ce sens, estimez-vous que le mouvement d'Ennahda menace ou pourra, dans l'avenir, menacer les libertés en Tunisie ? Même si le parti est de tendance islamiste, je pense personnellement qu'Ennahda ne représente aucune menace pour son peuple qui est en réalité son électeur. Pour preuve, on trouve des Tunisiennes et même des femmes qui ne portent pas le hijab sur les listes électorales du parti. Ce parti a, certes, une tendance islamiste mais il ne prend en considération que les convictions partisanes de ses sympathisants. Permettez-moi de vous dire qu'au contraire, le parti Ennahda est la meilleure alternative pour le moment. Ennahda est un parti islamiste modéré qui pourra prendre la Turquie en exemple, d'autant que les Occidentaux, en premier lieu les Américains, ne rejettent plus le courant islamique, notamment ceux qui ne sont pas radicaux et qui respectent les Constitutions et le jeu démocratique d'une façon générale. Il ne faut pas oublier qu'Ennahda a tous ces critères mais aussi El Ghenouchi qui ne va pas toucher au code de la famille, à titre d'exemple. Pensez-vous que la Tunisie d'Ennahda sera un Etat démocratique ou un Etat théocratique ou, plutôt, se positionnera-t-elle au milieu ? Il est peu probable que le modèle turc ne soit pas appliqué en Tunisie. Plusieurs points communs existent entre ces deux pays. Par exemple, le passé du premier président Bourguiba a plusieurs points de ressemblances avec celui d'Atatürk. Les deux ont inculqué à leurs sociétés la culture de séparer la religion de la politique et de ne pas l'impliquer directement dans tous les domaines. En outre, l'armée qui veut rester à l'intérieur de sa caserne estime que le courant islamiste modéré, à l'image de celui d'Ennahda, est à même d'apporter la stabilité à la Tunisie. Il faut dire que la stabilité est la priorité de l'institution militaire tunisienne. Cette priorité est la même pour Ennahda. Il ne faut pas aussi oublier que ce parti a une large base populaire et que l'armée tunisienne ne veut pas de truquage dans les élections, contrairement à plusieurs pays arabes qui, à chaque occasion, matriculent les votes. Selon vous, le scénario de l'ex-FIS ne pourra, en aucun cas, se rééditer en Tunisie ? Absolument pas. L'ex-FIS voulait appliquer la Charia, par contre Ennahda est pour un système politique civil. Ce mouvement islamiste sait pertinemment que l'Islam sépare la religion de ce qui est politique. Pour preuve, aucun verset coranique n'a parlé de l'après-Prophète (QSSSL). Le calife Abou Bakr n'a été désigné qu'après un débat politique. Et l'acte politique est un acte civil non pas théocratique. Au cours de ce débat, qui a eu lieu avant les funérailles du Prophète (QSSSL), des arguments politiques ont été donnés, à l'image de ceux qui ont dit qu'ils ont soutenu le Prophète (QSSSL) durant les phases les plus difficiles de son parcours. La première autorité en Islam n'est venue qu'après un consensus. Pour les autres califes, leurs désignations ont été faites en fonction des situations. Ennahda et El Ghenouchi connaissent très bien ce qu'est l'Islam politique. En tant qu'académicien, existe-t-il un modèle qui serait entre le modèle démocratique et celui théocratique ? L'histoire de la démocratie et celle de la théocratie ont prouvé l'inexistence de pays démocrates ou de pays théocrates, mais que chaque Etat a ses propres spécificités. En histoire de la pensée politique, qu'en systèmes politiques comparés, il n'y a pas une seule démocratie ou une seule théocratie. La démocratie à la française n'est pas la démocratie à l'américaine. Même l'application des différents versets du Coran diffère d'un courant à un autre. La démocratie, ce sont des principes généraux qu'on peut adapter à des peuples et c'est pareil pour la théocratie. On ne peut pas parler d'une seule démocratie ou d'une seule théocratie mais d'un système ou d'un régime. Un régime démocratique peut s'inspirer de la religion musulmane. La Tunisie d'Ennahda pourra avoir un système politique inspiré de l'Islam. En plus, il n'y a aucun verset en Islam qui a parlé de la formation de l'Etat. D'ailleurs, les expériences politiques dans les califats ne sont pas les mêmes. La façon dont a été élu Omar n'est pas la même que celle dont a été élu Abou Bakr, eux, qui connaissent l'Islam mieux que nous.