«Le gars parti pour Alger ne revient pas, il s'y attarde. A Alger, la ville-sultane, dont les murs sont de marbre. Les maisons d'Alger sont hautes. Des aghas, des beys y habitent. Ils ont oublié la langue turque, ils parlent arabe. A Alger dont les murs sont de marbre.» «Le gars parti pour Alger ne revient pas, il s'y attarde. A Alger, la ville-sultane, dont les murs sont de marbre. Les maisons d'Alger sont hautes. Des aghas, des beys y habitent. Ils ont oublié la langue turque, ils parlent arabe. A Alger dont les murs sont de marbre.» Ainsi chantent les petits gars d'Anatolie, heureux de vivre dans cet Alger du 17e qui les a rendus prospères et craints même par les rois. Alors que les janissaires servant en Turquie sont les enfants de familles chrétiennes des territoires occupés, recrutés de force par le pouvoir ottoman, ceux d'Algérie sont d'authentiques Turcs, tous natifs d'Anatolie et veillant à ce qu'il en soit toujours ainsi. Durant plus de trois siècles, de 1519 à 1830, Alger est «la sultane» d'un corps d'élite aussi mystérieux que redoutable : les janissaires. C'est l'histoire complète de ce corps d'infanterie que Kamal Chehrit, qui dirige la collection «Histoire aux Editions du grand Alger», retrace de manière succincte. Avec une riche bibliographie qui s'appuie sur les écrits d'historiens, voyageurs et agents de renseignements de cette époque, le fascicule est bien documenté. L'auteur y retrace le parcours de cette milice depuis sa création, en 1336, de l'ordre mystique des Baktashiyas, à laquelle elle est affiliée, jusqu'à son extermination, décrétée le 16 juin 1827 par un firman du grand réformateur ottoman Mahmoud II (1808-1839). Bien que les janissaires d'Algérie, devenus quasiment autonomes par rapport à la Sublime Porte ne se soient pas sentis concernés par cette mesure d'extinction, ils sont piteusement chassés en 1830 par le corps expéditionnaire français avec lequel ils essayent en vain d'établir une alliance. Contrairement aux Spahis qui, eux, ne font que changer de maître, ils sont embarqués, parfois sans leurs familles, sur des bateaux à destination des ports de Turquie. Ainsi se clôt une page de sang et d'exactions multiples et s'ouvre pour les Algériens un chapitre non moins infâme et sanglant. Ainsi, jusqu'au bout, l'Odjak (détachement), envoyé pour défendre l'empire ottoman et son sultan face aux convoitises occidentales, aura été une plaie purulente sur le visage de l'Afrique du Nord. Même si la création de cette force spéciale date du 14e siècle, c'est au début du 16e siècle que le sultan Sélim Ier en fait une armée d'élite, conditionnée par un endoctrinement spécial et surentraînée pour défendre l'empire ottoman et les couleurs de l'islam. Choisis parmi les enfants chrétiens des territoires occupés, les recrues sont arrachées à leurs parents et vouées à une vie spartiate qui peut les mener aux postes les plus prestigieux de l'Etat. En un sens, les Ottomans agissent pour la constitution de cette armée comme pour les harems innombrables qu'ils créent durant toute la durée de leur empire. Des jeunes filles des pays les plus lointains sont arrachées aux leurs pour former une véritable armée de procréatrices qui changeront de manière irréversible le phénotype des premiers turcs, nomades des steppes. Ainsi, d'une manière extrêmement organisée, le pouvoir ottoman affecte les filles de leurs ennemis à la procréation et les garçons à la guerre. Parmi ces derniers, un certain nombre d'entre eux rejoint le corps des eunuques gardiens de harem. Si en 1362, quelques deux siècles avant la création de l'empire ottoman, le nombre d'enfants européens enlevés à leurs parents est de 1000, ils sont 140.000 à l'époque du sultan Mahmoud II (1808-1839) qui va signer l'arrêt de mort de cette milice et celui de l'empire ottoman par la même occasion. C'est le clan de la tribu des Turcs Kayig qui va entamer le travail de conquêtes et d'annexions grâce à ce corps d'infanterie appelé Yani Tchéri, littéralement «Nouveaux soldats», selon le vœu de leur père spirituel Hadjdji Bektach. «Que leur visage soit toujours blanc, leurs bras forts et solides, leurs sabres tranchants, leurs flèches mortelles et eux-mêmes toujours victorieux.» Cette milice, surentraînée et hyperdisciplinée, dotée au départ d'un code de conduite et d'une éthique religieuse, va finir, selon les sources citées par l'auteur, par s'emparer de tous les leviers du pouvoir et en véritable féodalité militaire faire et défaire les investitures des aghas, des deys et beys qu'elle est censée servir et protéger. On est loin de l'idée de départ de son promoteur, le juriste Kara Roustem, qui l'a empruntée au grand vizir Alladin et au Pacha Kahalil Djenderreli qui voyaient dans l'origine étrangère des soldats, un atout de taille : comme ces guerriers n'avaient aucun lien de parenté avec les gens du peuple et de surcroît des étrangers, on escompta qu'ils pourraient devenir le rempart de leur empereur contre ses propres sujets et même contre son armée, puisque eux-mêmes n'auraient comme seul protecteur que le «Maître » Profitant des privilèges d'un statut à part, la milice pèse de tout son poids sur les populations qu'elle saigne à blanc et qui subit toutes ses exactions. Nulle jeune fille, nul garçon n'est alors à l'abri des viols que leur fait subir cette soldatesque décrite comme dévoyée, paillarde et sanguinaire. «Prébendiers cupides, paillards, corrompus et débauchés, ignares et grossiers, forts du statut d'impunité qui les garantissait de toute poursuite pour les crimes et exactions dont ils se rendaient coupables, les janissaires n'hésiteront pas, dès la fin de la première moitié du 17e siècle, à consolider leur position par la mise en place des mécanismes d'une république militaire avant la lettre…» D'autant que contrairement à la Tunisie et à l'Egypte où les janissaires finissent par tisser avec la population des liens de sang qui les dissolvent dans la société, en Algérie, l'extrême rigidité de l'esprit de caste des janissaires anatoliens, creuse un immense fossé entre eux et la population. Les Kouloughlis (intégralement fils d'esclaves) issus de mariage entre Turcs et Algériennes sont rejetés comme des bâtards de sang impur par cette «élite» fermée et qui entend le rester. Le seul corps qui tient tête aux janissaires est celui de la taïfa des Raïs, lui-même essentiellement composé de renégats. Il s'agit de captifs chrétiens qui, pour ne pas être réduits à lesclavage, préfèrent se faire musulmans et s'adonner à la course. Les raïs sont populaires et appréciés. Ils refusent de se plier au diktat des janissaires et les affrontent très souvent. Les janissaires finissent pourtant par rejoindre eux-mêmes la course, pourvoyeuse de butin et d'esclaves. Dans cet ouvrage, l'auteur nous plonge dans la vie d'Alger, ponctuée de révoltes populaires des habitants de la cité et de Kabylie, d'une épidémie de peste, de la lutte des Kouloughlis pour leurs droits, des multiples coups d'Etat des janissaires qui, souvent, renversent la marmite (Kazan) et entrent en rébellion. Une description détaillée y est faite du mode de vie des soldats, leurs grades, leurs uniformes et autres symboles s'y rattachant. Le gouvernement turc d'Alger au 16e siècle y est minutieusement décrit ainsi que la vie quotidienne. Jusqu'à cette fin tragique, à la fois de l'empire ottoman et de la féodalité militaire qui est née en son sein. C'est le début sans gloire de l'ère coloniale. Kamal Chehrit signe là un ouvrage bref mais édifiant qui éclaire sur l'un des mystères de la période ottomane en Algérie Ainsi chantent les petits gars d'Anatolie, heureux de vivre dans cet Alger du 17e qui les a rendus prospères et craints même par les rois. Alors que les janissaires servant en Turquie sont les enfants de familles chrétiennes des territoires occupés, recrutés de force par le pouvoir ottoman, ceux d'Algérie sont d'authentiques Turcs, tous natifs d'Anatolie et veillant à ce qu'il en soit toujours ainsi. Durant plus de trois siècles, de 1519 à 1830, Alger est «la sultane» d'un corps d'élite aussi mystérieux que redoutable : les janissaires. C'est l'histoire complète de ce corps d'infanterie que Kamal Chehrit, qui dirige la collection «Histoire aux Editions du grand Alger», retrace de manière succincte. Avec une riche bibliographie qui s'appuie sur les écrits d'historiens, voyageurs et agents de renseignements de cette époque, le fascicule est bien documenté. L'auteur y retrace le parcours de cette milice depuis sa création, en 1336, de l'ordre mystique des Baktashiyas, à laquelle elle est affiliée, jusqu'à son extermination, décrétée le 16 juin 1827 par un firman du grand réformateur ottoman Mahmoud II (1808-1839). Bien que les janissaires d'Algérie, devenus quasiment autonomes par rapport à la Sublime Porte ne se soient pas sentis concernés par cette mesure d'extinction, ils sont piteusement chassés en 1830 par le corps expéditionnaire français avec lequel ils essayent en vain d'établir une alliance. Contrairement aux Spahis qui, eux, ne font que changer de maître, ils sont embarqués, parfois sans leurs familles, sur des bateaux à destination des ports de Turquie. Ainsi se clôt une page de sang et d'exactions multiples et s'ouvre pour les Algériens un chapitre non moins infâme et sanglant. Ainsi, jusqu'au bout, l'Odjak (détachement), envoyé pour défendre l'empire ottoman et son sultan face aux convoitises occidentales, aura été une plaie purulente sur le visage de l'Afrique du Nord. Même si la création de cette force spéciale date du 14e siècle, c'est au début du 16e siècle que le sultan Sélim Ier en fait une armée d'élite, conditionnée par un endoctrinement spécial et surentraînée pour défendre l'empire ottoman et les couleurs de l'islam. Choisis parmi les enfants chrétiens des territoires occupés, les recrues sont arrachées à leurs parents et vouées à une vie spartiate qui peut les mener aux postes les plus prestigieux de l'Etat. En un sens, les Ottomans agissent pour la constitution de cette armée comme pour les harems innombrables qu'ils créent durant toute la durée de leur empire. Des jeunes filles des pays les plus lointains sont arrachées aux leurs pour former une véritable armée de procréatrices qui changeront de manière irréversible le phénotype des premiers turcs, nomades des steppes. Ainsi, d'une manière extrêmement organisée, le pouvoir ottoman affecte les filles de leurs ennemis à la procréation et les garçons à la guerre. Parmi ces derniers, un certain nombre d'entre eux rejoint le corps des eunuques gardiens de harem. Si en 1362, quelques deux siècles avant la création de l'empire ottoman, le nombre d'enfants européens enlevés à leurs parents est de 1000, ils sont 140.000 à l'époque du sultan Mahmoud II (1808-1839) qui va signer l'arrêt de mort de cette milice et celui de l'empire ottoman par la même occasion. C'est le clan de la tribu des Turcs Kayig qui va entamer le travail de conquêtes et d'annexions grâce à ce corps d'infanterie appelé Yani Tchéri, littéralement «Nouveaux soldats», selon le vœu de leur père spirituel Hadjdji Bektach. «Que leur visage soit toujours blanc, leurs bras forts et solides, leurs sabres tranchants, leurs flèches mortelles et eux-mêmes toujours victorieux.» Cette milice, surentraînée et hyperdisciplinée, dotée au départ d'un code de conduite et d'une éthique religieuse, va finir, selon les sources citées par l'auteur, par s'emparer de tous les leviers du pouvoir et en véritable féodalité militaire faire et défaire les investitures des aghas, des deys et beys qu'elle est censée servir et protéger. On est loin de l'idée de départ de son promoteur, le juriste Kara Roustem, qui l'a empruntée au grand vizir Alladin et au Pacha Kahalil Djenderreli qui voyaient dans l'origine étrangère des soldats, un atout de taille : comme ces guerriers n'avaient aucun lien de parenté avec les gens du peuple et de surcroît des étrangers, on escompta qu'ils pourraient devenir le rempart de leur empereur contre ses propres sujets et même contre son armée, puisque eux-mêmes n'auraient comme seul protecteur que le «Maître » Profitant des privilèges d'un statut à part, la milice pèse de tout son poids sur les populations qu'elle saigne à blanc et qui subit toutes ses exactions. Nulle jeune fille, nul garçon n'est alors à l'abri des viols que leur fait subir cette soldatesque décrite comme dévoyée, paillarde et sanguinaire. «Prébendiers cupides, paillards, corrompus et débauchés, ignares et grossiers, forts du statut d'impunité qui les garantissait de toute poursuite pour les crimes et exactions dont ils se rendaient coupables, les janissaires n'hésiteront pas, dès la fin de la première moitié du 17e siècle, à consolider leur position par la mise en place des mécanismes d'une république militaire avant la lettre…» D'autant que contrairement à la Tunisie et à l'Egypte où les janissaires finissent par tisser avec la population des liens de sang qui les dissolvent dans la société, en Algérie, l'extrême rigidité de l'esprit de caste des janissaires anatoliens, creuse un immense fossé entre eux et la population. Les Kouloughlis (intégralement fils d'esclaves) issus de mariage entre Turcs et Algériennes sont rejetés comme des bâtards de sang impur par cette «élite» fermée et qui entend le rester. Le seul corps qui tient tête aux janissaires est celui de la taïfa des Raïs, lui-même essentiellement composé de renégats. Il s'agit de captifs chrétiens qui, pour ne pas être réduits à lesclavage, préfèrent se faire musulmans et s'adonner à la course. Les raïs sont populaires et appréciés. Ils refusent de se plier au diktat des janissaires et les affrontent très souvent. Les janissaires finissent pourtant par rejoindre eux-mêmes la course, pourvoyeuse de butin et d'esclaves. Dans cet ouvrage, l'auteur nous plonge dans la vie d'Alger, ponctuée de révoltes populaires des habitants de la cité et de Kabylie, d'une épidémie de peste, de la lutte des Kouloughlis pour leurs droits, des multiples coups d'Etat des janissaires qui, souvent, renversent la marmite (Kazan) et entrent en rébellion. Une description détaillée y est faite du mode de vie des soldats, leurs grades, leurs uniformes et autres symboles s'y rattachant. Le gouvernement turc d'Alger au 16e siècle y est minutieusement décrit ainsi que la vie quotidienne. Jusqu'à cette fin tragique, à la fois de l'empire ottoman et de la féodalité militaire qui est née en son sein. C'est le début sans gloire de l'ère coloniale. Kamal Chehrit signe là un ouvrage bref mais édifiant qui éclaire sur l'un des mystères de la période ottomane en Algérie