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Pour ne jamais oublier l'Aurès
«La grotte éclatée» de Yamina Mechakra
Publié dans Le Midi Libre le 03 - 11 - 2007

Ce roman de Yamina Mechakra est d'une teneur unique. Loin de tout manichéisme simplificateur, il décrit le long calvaire sanglant des moudjahidine au maquis.
Ce roman de Yamina Mechakra est d'une teneur unique. Loin de tout manichéisme simplificateur, il décrit le long calvaire sanglant des moudjahidine au maquis.
Avec des mots faits de rocs, de cèdres, de terre labourée et d'orphelins sans visages, celle «qui vaut son pesant de poudre» , restitue l'angoisse et l'extrême misère des combattants morts et enterrés sous un linceul de neige et d'amnésie. «Un arbre et un vieux chacal avaient pleuré nos morts» raconte la seule survivante de la grotte.
«Toi le regard bleu dans lequel je m'allonge quand j'ai peur et je tremble» c'est ainsi que Yamina Mechakra introduit cet ouvrage qui décrit la vie et la mort de moudjahidine dans une grotte des Aurès. Ce bleu des yeux paternels est également celui de la rivière Meskiana, région natale de l'auteure, rappelle Kateb Yacine qui préface l'écrit en mai 1978.
«Ce n'est pas un roman et c'est beaucoup mieux : un long poème en prose qui peut se lire comme un roman» écrit-il encore à propos de la première œuvre de la femme médecin native des Aurès, qui l'a rédigée rappelle-t-il «au milieu d'une vie cruelle et tourmentée.»
L'auteur de Nedjma y rappelle que Yamina Mechakra qui est née à la veille de 1954 a gardé de son enfance le souvenir d'un homme écartelé sur le canon d'un char, exposé dans la rue. Elle a vu torturer et mourir son père qui lui recommande de «garder la tête haute.»
Résultat : ce livre pétri de l'amour infini d'une enfant pour sa terre en guerre pour la liberté. Car, c'est bien de cela qu'il s'agit. De la première phrase à la dernière, le roman crie l'adoration, voire l'identification, de l'auteure pour les paysages, visages et toute la chair calcinée de l'Aurès. La neige des montagnes, la chaleur des cœurs et des couvertures tissées au coin du feu près duquel dort l'enfant bercé par le tintement des khalkhals maternels…
« Ici, les siècles, lentemen, courbèrent l'échine et le silex fit jaillir le feu de l'histoire pour nourrir le combat et illuminer la route des enfants dans le regard desquels l'amour refusait de creuser sa sépulture. Rome avait salué la blondeur automnale de l'Aurès et l'Islam s'y recueillit».
Avec des accents Rilkéens, Yamina Méchakra introduit l'histoire déchirante d'un groupe de jeunes combattants dont ne survivra que l'héroïne-narratrice. Dans la plus grande des adversités, les moudjahidine résistent jusqu'à ce jour d'octobre 1958 où la grotte est détruite par l'aviation française qui largue des bombes au napalm. L'héroïne qui se réfugie en Tunisie a perdu un bras et son fils Arris, l'usage de ses jambes, sa vue et la raison. La mère infirme, promue lieutenant et son fils sont déchirés par la mémoire: «J'habitais Tunis et je pensais à Constantine. J'habitais Tunis et je pensais à Arris. A Tunis je parlais d'une frontière gardée par un olivier desséché sur le tronc duquel les rivières s'étaient fermées. Je parlais de mon fils, visage sans yeux tués par le napalm, mon fils, bambin aux jambes assassinées.»
Sombre exil pour l'infirmière qui essaye de se réfugier dans la folie, hantée qu'elle est par le souvenir de ceux qui demeureront ensevelis pour l'éternité sous les décombres d'une grotte éclatée. «A Tunis, on me regardait comme une héroïne. J'avais échappé à l'oubli, je vivais encore. On me saluait et on me servait. J'avais eu raison de l'oubli.
Des hommes, des héros transformés en chair pourrie gisaient sous les dégâts des bombes, oubliés de tous sauf peut-être de quelque ami lointain.
- Kouider mort avec un chef- d'œuvre dans le cœur
- Salah mort avec dans ses grands yeux noirs tant de bavardages et d'amitié et dans le cœur rien qu'un «je veux vivre»
- Arris mort, sa main dans la mienne, avec sur ses lèvres la marque de mon amour, Arris, ma chaumière et ma famille, mort après avoir semé un grain de vie dans mes entrailles.
-Mes deux aides, mes deux symboles vivants, morts en silence avec sur la main la marque de la scie et des balles qu'ils ont extirpées de la poitrine des blessés, avec dans le front, le bruit des gouttes de sueur que pleuraient leurs rides.
- Des blessés, une grotte, un feu, morts là-bas, sur une frontière, à la limite des Aurès, sous les yeux d'un arbre nu qui crachait sa colère à la face du ciel et des étoiles.
Un vieux chacal était venu. Il avait frotté son cou contre le tronc séculaire et rempli de silence d'un long sanglot. Un arbre et un vieux chacal avaient pleuré nos morts.
Pour Tunis, ces hommes n'avaient jamais existé. Sur ces hommes que j'avais aimés, l'oubli était retombé lourdement.
Ce roman sombre ne s'éclaire jamais. Il s'achève sur le retour de l'héroïne avec des milliers d'émigrés sur la route de Tébessa en juin 1962. Elle s'échappe de la caravane avec un poète et une jeune femme . Elle retrouve l'arbre qui veillait sur la grotte où dorment ses amis, «au bout de la route, les bras levés vers le ciel». Elle embrasse l'arbre qui est nu, déchiré et mort. Il est la seule chose qui lui reste de ses amis et elle y accroche sa ceinture. La dernière phrase de ce roman écrit en 1973 est «Arris mon amour et ma demeure». Elle semble annoncer le prochain ouvrage que l'écrivain écrira quelque 20 années après et qui s'intitule « Arris ».Pour ne jamais oublier.
Avec des mots faits de rocs, de cèdres, de terre labourée et d'orphelins sans visages, celle «qui vaut son pesant de poudre» , restitue l'angoisse et l'extrême misère des combattants morts et enterrés sous un linceul de neige et d'amnésie. «Un arbre et un vieux chacal avaient pleuré nos morts» raconte la seule survivante de la grotte.
«Toi le regard bleu dans lequel je m'allonge quand j'ai peur et je tremble» c'est ainsi que Yamina Mechakra introduit cet ouvrage qui décrit la vie et la mort de moudjahidine dans une grotte des Aurès. Ce bleu des yeux paternels est également celui de la rivière Meskiana, région natale de l'auteure, rappelle Kateb Yacine qui préface l'écrit en mai 1978.
«Ce n'est pas un roman et c'est beaucoup mieux : un long poème en prose qui peut se lire comme un roman» écrit-il encore à propos de la première œuvre de la femme médecin native des Aurès, qui l'a rédigée rappelle-t-il «au milieu d'une vie cruelle et tourmentée.»
L'auteur de Nedjma y rappelle que Yamina Mechakra qui est née à la veille de 1954 a gardé de son enfance le souvenir d'un homme écartelé sur le canon d'un char, exposé dans la rue. Elle a vu torturer et mourir son père qui lui recommande de «garder la tête haute.»
Résultat : ce livre pétri de l'amour infini d'une enfant pour sa terre en guerre pour la liberté. Car, c'est bien de cela qu'il s'agit. De la première phrase à la dernière, le roman crie l'adoration, voire l'identification, de l'auteure pour les paysages, visages et toute la chair calcinée de l'Aurès. La neige des montagnes, la chaleur des cœurs et des couvertures tissées au coin du feu près duquel dort l'enfant bercé par le tintement des khalkhals maternels…
« Ici, les siècles, lentemen, courbèrent l'échine et le silex fit jaillir le feu de l'histoire pour nourrir le combat et illuminer la route des enfants dans le regard desquels l'amour refusait de creuser sa sépulture. Rome avait salué la blondeur automnale de l'Aurès et l'Islam s'y recueillit».
Avec des accents Rilkéens, Yamina Méchakra introduit l'histoire déchirante d'un groupe de jeunes combattants dont ne survivra que l'héroïne-narratrice. Dans la plus grande des adversités, les moudjahidine résistent jusqu'à ce jour d'octobre 1958 où la grotte est détruite par l'aviation française qui largue des bombes au napalm. L'héroïne qui se réfugie en Tunisie a perdu un bras et son fils Arris, l'usage de ses jambes, sa vue et la raison. La mère infirme, promue lieutenant et son fils sont déchirés par la mémoire: «J'habitais Tunis et je pensais à Constantine. J'habitais Tunis et je pensais à Arris. A Tunis je parlais d'une frontière gardée par un olivier desséché sur le tronc duquel les rivières s'étaient fermées. Je parlais de mon fils, visage sans yeux tués par le napalm, mon fils, bambin aux jambes assassinées.»
Sombre exil pour l'infirmière qui essaye de se réfugier dans la folie, hantée qu'elle est par le souvenir de ceux qui demeureront ensevelis pour l'éternité sous les décombres d'une grotte éclatée. «A Tunis, on me regardait comme une héroïne. J'avais échappé à l'oubli, je vivais encore. On me saluait et on me servait. J'avais eu raison de l'oubli.
Des hommes, des héros transformés en chair pourrie gisaient sous les dégâts des bombes, oubliés de tous sauf peut-être de quelque ami lointain.
- Kouider mort avec un chef- d'œuvre dans le cœur
- Salah mort avec dans ses grands yeux noirs tant de bavardages et d'amitié et dans le cœur rien qu'un «je veux vivre»
- Arris mort, sa main dans la mienne, avec sur ses lèvres la marque de mon amour, Arris, ma chaumière et ma famille, mort après avoir semé un grain de vie dans mes entrailles.
-Mes deux aides, mes deux symboles vivants, morts en silence avec sur la main la marque de la scie et des balles qu'ils ont extirpées de la poitrine des blessés, avec dans le front, le bruit des gouttes de sueur que pleuraient leurs rides.
- Des blessés, une grotte, un feu, morts là-bas, sur une frontière, à la limite des Aurès, sous les yeux d'un arbre nu qui crachait sa colère à la face du ciel et des étoiles.
Un vieux chacal était venu. Il avait frotté son cou contre le tronc séculaire et rempli de silence d'un long sanglot. Un arbre et un vieux chacal avaient pleuré nos morts.
Pour Tunis, ces hommes n'avaient jamais existé. Sur ces hommes que j'avais aimés, l'oubli était retombé lourdement.
Ce roman sombre ne s'éclaire jamais. Il s'achève sur le retour de l'héroïne avec des milliers d'émigrés sur la route de Tébessa en juin 1962. Elle s'échappe de la caravane avec un poète et une jeune femme . Elle retrouve l'arbre qui veillait sur la grotte où dorment ses amis, «au bout de la route, les bras levés vers le ciel». Elle embrasse l'arbre qui est nu, déchiré et mort. Il est la seule chose qui lui reste de ses amis et elle y accroche sa ceinture. La dernière phrase de ce roman écrit en 1973 est «Arris mon amour et ma demeure». Elle semble annoncer le prochain ouvrage que l'écrivain écrira quelque 20 années après et qui s'intitule « Arris ».Pour ne jamais oublier.


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