«A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.» Le forum du Théâtre national algérien «Echos de plumes» a, dans sa onzième édition qui a eu lieu avant-hier, accueillie l'auteur et comédien Haidar Ban Houcine. Ce dernier a procédé à la lecture des textes qu'il a adaptés d'après le roman La grotte éclatée de Yamina Mechakra. Cependant, à ne pas se tromper, lesdits textes ne sont qu'une traduction partielle du roman de Mechakra. Haidar Ban Houcine a pris l'idée et il l'a façonnée à sa manière, mais sans pour autant qu'elle perde son sens original. Ainsi donc, la version de cet auteur met en évidence une femme, qui peut être aussi Yamina Mechakra, dépourvue de prénom et des siens. Elle vit, et pendant 23 ans, dans un monde surréaliste, le fruit de sa solitude. Pendant toute cette durée, un homme, son voisin, se met à la servir avec abnégation. Mais, un homme se met-il aveuglement et délibérément au service de sa voisine? Non et oui. C'est l'éternelle dialectique. Car faire un acte délibéré, cela suppose la présence de toutes ses capacités mentales. Le personnage créé par Haidar se rend compte, après quelque temps de «service» qu'il voue un amour fou pour sa voisine. Et il se met encore davantage à la servir en croyant qu'elle lui voue le même sentiment. Mais au bout de 23 ans...le brouillard se dissipe. La houle se calme mais temporairement. Elle se calme pour un moment. L'instant pendant lequel cet homme devra avouer...son amour à celle qui, à ses yeux, n'est ni une femme et encore moins une déesse, mais les deux à la fois. Quelle tâche ardue! Pour ce personnage, prononcer les trois mots peut être une fatalité comme cela peut s'avérer aussi une rédemption. Quand le moment est venu, l'homme tourne le dos à sa voisine et lui déclare sa flamme. C'est un véritable coup de théâtre qui se produit. La femme répond froidement «Non!». Cette réponse fût plus violente qu'une insulte, plus cruelle qu'un sinistre coup de boutoir. La violence et la cruauté ne font que détruire l'humain en l'Homme. Ainsi, perdue dans les dédales de son monde étrange, cette femme solitaire croyait que celui qui est en face d'elle, n'était en fait que le fruit de son imagination. Mais non, cet homme, ce serveur, ce valet, celui qui lui a consacré toute sa vie existe bel et bien. Ainsi, les amours les plus platoniques finissent toujours par chuter comme dans un cauchemar, avec la seule différence que dans celui-ci on finit toujours par se réveiller et dans celui-là on poursuit l'éternelle culbute. Cela crée une déception qui se lance à la poursuite de la victime comme un fatalisme turc. Ce texte décrit avec un certain recul l'univers dans lequel baignent les personnages de Yamina Mechakra. Des personnages dérangés, psychotiques et névrotiques. A ne pas s'étonner, car l'auteur, elle-même, est médecin-psychiatre à l'hôpital Drid Hocine, à Alger. Dans La Grotte éclatée (sorti chez les éditions Sned en 1979) l'écrivain raconte l'histoire d'une femme vivant seule au milieu des hommes et qui réussit quand même à sauver sa féminité. Rester saine, à l'image de la vierge Marie. En somme, Yamina Mechakra extériorise sa propre douleur. Et ces personnages torturés ne sont, en fait, que la représentation de chaque douleur qui lui ronge les entrailles. «A travers cette adaptation, j'ai voulu rendre un hommage à cette grande dame de la littérature algérienne qui a su rester égale à elle-même» a déclaré Haider Ban Houcine. Ce dernier a indiqué, en outre, que Yamina Mechakra avait assisté, en 2003 à l'Inad, à la lecture de la version théâtrale de son roman-poème. Haider, par ailleurs, n'a pas écarté la possibilité de mettre en scène cette adaptation pour peu qu'on lui donne les moyens nécessaires. Cependant, ce que cet auteur regrette le plus est que cette dame soit aussi bassement ignorée. Pourtant...Pourtant Kateb Yacine, dans sa préface pour La Grotte éclatée, écrit: «A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.» Ces mots ont été écrits en 1979. Et rien n'a changé depuis cette date.