Cet article de notre ami Ahmed Kaci, membre du groupe de l'appel du 19 mars, a été publié en 2002 sur le quotidien « La Tribune ». L'article donne un éclairage sur les circonstances qui ont prévalu à la création du MAK. Le titre est évocateur, à plus d'un titre, d'une conjoncture qui n'a pas livré tous ses secrets. Un cheval de Troie nommé MAK : Depuis le 10 octobre dernier, les arrestations dans les rangs du mouvement de protestation de Kabylie se sont poursuivies avec une régularité méthodique à tel point qu'on se demande si à travers celles-ci, le pouvoir, ou du moins une partie du pouvoir, ne chercherait pas de configurer la protesta selon des objectifs déterminés, inavoués certes, mais qui finiront par se préciser avec le temps. Une recomposition autoritaire qui profite au Mouvement de l'Autonomie de la Kabylie Embusqués dès le début à l'intérieur du mouvement, les éléments du MAK et leur chef n'ont eu de cesse de crier haut et fort qu'ils cueilleront l'autonomie comme un fruit mûr, aidés en cela par la stratégie des tenants du pouvoir en Kabylie. L'étêtement des «arouch» par une vague d'arrestations ciblées, le harcèlement moral mené contre les délégués et le redoublement de la répression en général profitent directement au MAK de Ferhat Mehenni. La diabolisation du FFS et la réduction violente de son audience en Kabylie, ainsi que le travail de sape intelligemment mené contre la plate-forme politique d'El Kseur élaborée par le mouvement populaire et l'affaiblissement de ce dernier en l'entraînant dans des tactiques désastreuses et violentes comme lors des élections du 10 octobre dernier ont pour but stratégique de faire des autonomistes les futurs interlocuteurs de la Kabylie. Outre sa déconnexion du reste du pays, la régionalisation telle que les autonomistes l'y poussent arrange bien des calculs et pas seulement en Algérie. Si Louisa Hanoune devait avoir un jour raison dans son jugement sur la crise de Kabylie, c'est sur ce terrain précisément, ayant dès le départ perçu le danger séparatiste qui se profilait à l'horizon des «arouch» et s'installait à leur ombre. Les déclarations pour le moins farfelues et contradictoires de Ferhat Mehenni, le leader de l'idée de l'autonomie, de l'avis de nombreux analystes ne sont pas de nature à rassurer. Ce dernier, dans une naïveté inébranlable, exige des tenants du pouvoir, dans un délai qui ne dépasserait pas une année, pas moins que l'organisation d'un référendum libre et démocratique pour l'autonomie de la Kabylie. Seule solution définitive à même de «protéger le peuple kabyle des exactions du pouvoir central», explique Mehenni. Cependant, le chef des autonomistes ne nous dit pas par quelle alchimie un pouvoir qu'il accuse de frauder les élections à tour de bras aurait intérêt à organiser un référendum pour l'autonomie de la Kabylie et qui, par surcroît, ferait de cette province un modèle de démocratie ? De deux choses l'une : ou bien d'ici à une année, de son propre gré et par une lubie qu'on ignore encore, le pouvoir central serait devenu démocratique -chose improbable- et donc l'idée d'autonomie perdra de sa vigueur ou alors Ferhat Mehenni est un rêveur impénitent. Auquel cas, le «peuple kabyle», pour reprendre son expression, est non seulement en droit de se montrer plus que circonspect vis-à-vis d'un tel projet, mais également de se demander si, en réalité, l'autonomie visée n'est qu'un prétexte pour d'autres desseins.N'y a-t-il pas lieu plutôt de croire à une volonté de mystification des masses kabyles par une idéologie populiste qui s'apparente aux programmes politiques des mouvements d'extrême droite ? Interrogé sur la filiation idéologique de son mouvement lors du forum du journal El Youm, Ferhat Mehenni a eu cette phrase très éloquente en confusion: «Au MAK, nous ne sommes ni de gauche ni de droite.» «Bien au contraire», sommes-nous tentés de compléter sa pensée, c'est-à-dire une organisation qui, dans un superbe mouvement de manche, tente de faire table rase de toutes les différences de classes, à travers une belle trouvaille, plus à la mode si on peut dire, celle de «peuple kabyle». On est en droit de se demander si ce concept des plus abstraits, transformé par la référence au «sang des martyrs», en «sujet historique» ne conforte pas la volonté, d'abord, de domestication d'une contestation qui dérange le processus d'accumulation du capital engagé à une grande cadence depuis une décennie et, ensuite et surtout, du besoin pour les classes dominantes locales et externes de poursuivre cette accumulation sous la protection bienveillante d'un messianisme inédit. Autrement dit, par le biais d'un cheval de Troie idéal en la personne de Mehenni et de son mouvement. C'est dire que même les idées les plus généreuses risquent de paraître de ruineux projets.