En juin 1991 commence le premier épisode du bras de fer entre le FIS et le pouvoir algérien. Il prend fin en janvier 1992, avec l'arrêt du processus électoral, qui allait donner la majorité absolue au parti islamiste radical. Ce dernier sera dissous et ses militants et sympathisants pourchassés et regroupés dans des camps dans l'extrême Sud du pays. L'Algérie qui, dans le délire de Boumédiène, devait atteindre en 80 le niveau de l'Espagne de 70, sombrera alors dans le chaos. 200 000 morts, 20 000 disparus, un nombre incalculable de milliards de dinars de dégâts et 18 ans plus tard, où en sommes-nous? L'affrontement sanglant FIS-pouvoir est-il définitivement oublié? Noureddine Boukrouh, un «islamiste modéré» bcbg, adepte de Malek Bennabi et fondateur du Parti du Renouveau Algérien, devenu plus tard ministre, avait dit en 91 : «On nous donne à choisir entre la peste et le choléra.» Comment est perçu le FIS aujourd'hui, en particulier parmi les intervenants sur LQA? Nous savons tous que le pouvoir algérien a encouragé en 89 la création de partis islamistes rivaux du FIS – comme il l'a fait pour le FFS et le FLN d'ailleurs – et qu'il l'a noyauté. C'est une technique redoutable que le pouvoir a souvent utilisée. Abdallah Djaballah est le dernier à en avoir fait les frais. La plupart des partis qui ont, à un moment ou un autre, adopté une attitude combative à l'égard du pouvoir en place ont eu ainsi droit à un clone : le FIS a été parasité par le Hamas de Nahnah et Ennahda de Djaballah; le FFS a trouvé en face de lui le RCD, dans son propre fief de Kabylie; le FLN, un moment tenté par l'opposition, s'est vu concurrencé par un nouveau venu – le RND – sorti tout armé du cerveau de son démiurge du DRS, puisqu'il a gagné les élections juste après sa création. Ces clones rejoints par le PT de notre passionaria nationale de 89 devenue totalement inoffensive avec le temps, servent aujourd'hui de paravent aux divers clans du pouvoir qui peuvent ainsi se livrer en toute quiétude à leurs orgies sans jamais être interpellés par la moindre voix discordante venant de nos «députés» grassement rétribués pour leur attitude plus que conciliante. Certains intervenants sur LQA rejettent l'appellation d'islamiste, oubliant que le terme islamique existe dans le nom du FIS. Pourquoi ceux qui ont créé ce parti ont-ils choisi ce nom? Parce qu'ils voulaient clairement affirmer leur adhésion à la solution islamique : l'application de la chari'aa. Est donc islamiste tout individu ou organisation politique qui réclame l'application de la chari'aa pour gérer le pays dans le domaine politique, économique, culturel, social, etc. Ce qui gène, c'est que ce terme désigne aujourd'hui une large gamme de mouvements qui va de l'AKP d'Erdogan, qui gouverne en Turquie, à l'AQMI, que certains soupçonnent d'être une création du lobby américano-sioniste, tout comme Ben-Laden – le 11 septembre n'ayant été qu'une vaste manipulation qui aurait permis aux USA d'occuper l'Irak et l'Afghanistan et d'installer des bases un peu partout dans le monde musulman. L'AIS, le GIA, le GSPC, tout le monde en a entendu parler. Mais qui peut vraiment nous dire pour qui ont roulé ou roulent ces groupe armés qui ont semé et continuent de semer la terreur et la mort dans notre pays? Ali Benhadj prendra-t-il un jour l'initiative de condamner publiquement ces organisations? Beaucoup pensent que si des élections libres étaient organisées aujourd'hui et si le FIS était de nouveau autorisé à activer, il remporterait la majorité. La régression féconde de Lahouari Addi serait donc toujours d'actualité? Cette expression signifie, selon ma compréhension, qu'un gouvernement islamiste – partisan d'une stricte application de la chari'aa – finirait par échouer et serait finalement définitivement rejeté par la population. La page de l'opposition islamiste serait donc ainsi définitivement tournée et on pourrait enfin entrer dans la «modernité». Mais alors, comment comprendre ce qui se passe en Turquie et en Iran? Est-ce une régression par rapport aux régimes du passé? D'autre part, la majorité des Algériens veut-elle vraiment une stricte application de la chari'aa? Et si les islamistes algériens finissaient par admettre que leur méthode frontale ne peut pas aboutir et qu'ils doivent inévitablement accepter les compromis et composer avec la réalité nationale et internationale? Et s'ils devenaient enfin matures et qu'ils acceptaient l'idée que la société islamique idéale qu'ils veulent mettre en place, par la violence s'il le faut, est une utopie dans le monde d'aujourd'hui? Et s'ils comprenaient enfin que cette utopie connaitrait le même sort que l'utopie communiste? Les Algériennes ne sont pas toutes de ferventes partisanes du jilbab et de la burqa. Beaucoup d'entre elles aiment bien se mettre en jeans. Les Algériens aiment bien se retrouver sur la plage en été et prendre un peu de bon temps. La suppression de toute forme de tentation n'aboutit pas forcément à un monde parfait. Nous savons depuis Freud que la sublimation du désir est à l'origine de la création artistique. Voir le beau visage d'une femme ou le galbe de son mollet est certes une tentation pour un musulman, mais la beauté de la foi c'est justement de résister à cette tentation – sublimer son désir en langage freudien. Admirer la beauté féminine tout en gardant son calme, le musulman n'en serait-il donc pas capable? Quant aux questions politiques et économiques, l'histoire du 20ème siècle nous a montré que seul le pragmatisme et un patient travail de réformes en profondeur donnent des fruits durables. Rien ne sert de courir… Les islamistes radicaux du FIS ne sont pas le problème de l'Algérie de 2010, certes, puisque c'est le pouvoir qui bloque toute évolution, mais ils jouent le rôle de repoussoir. Ils sont l'ultime arme de dissuasion de ce pouvoir. N'est-il pas grand temps d'assainir une fois pour toutes le climat et de déclarer de façon claire que les groupes armés se réclamant de l'islam à travers le monde – à l'exception des Hamas palestinien et libanais – rendent en fait un grand service aux pouvoirs dictatoriaux en place et aux lobbies militaro-industriels occidentaux qui veulent prendre possession de toutes les richesses naturelles en pratiquant une nouvelle forme de guerre coloniale basée sur la manipulation : se créer dans le pays à conquérir un ennemi téléguidé qui servira d'alibi à l'intervention? Le noyau dur du pouvoir algérien est certes composé de militaires incompétents et médiocres. Mais il est difficile de comprendre comment ce pouvoir a pu résister aussi longtemps si l'on ignore cette vérité essentielle : le FIS séduit la population par ses positions radicales contre ce pouvoir, mais il fait peur aussi. Les Algériens, quoiqu'on dise, ont été fortement imprégnés par la culture occidentale durant la colonisation et après l'indépendance, notamment depuis l'apparition de la télévision par satellite et l'internet. Une grande partie de la jeunesse aspire au bien-être et à la liberté. Les populations des couches petite-bourgeoises des villes ont peur de l'esprit aventuriste des dirigeants islamistes les plus radicaux. Cette peur de l'extrémisme – qui est d'ailleurs une donnée de base de la culture islamique classique – est habilement instrumentalisée par le pouvoir, qui réactive régulièrement le «terrorisme résiduel». N'est-il pas grand-temps de tourner la page du FIS, y compris pour les anciens militants et sympathisants de ce parti et de reconnaître que la stratégie de ce dernier a été un échec? L'opposition réelle, composée de patriotes sincères, doit avoir le courage de faire un bilan sans concessions et mettre en évidence les erreurs des uns et des autres, afin de passer à une étape supérieure. Les islamistes radicaux n'ont pas été seulement des victimes et les éradicateurs des bourreaux – et vice-versa. Les deux camps n'ont pas compris les vrais enjeux et ont été utilisés par les généraux pour se maintenir en place. Aujourd'hui, une décantation s'est opérée et la vaste manipulation commence à devenir de plus en plus claire, grâce notamment aux témoignages d'anciens officiers du DRS. Souhaitons qu'une nouvelle génération de militants émerge dans notre pays, des militants respectueux de la vie humaine et de la diversité des opinions. Des militants sincères pour la démocratie et l'Etat de droit.