Il y a quelques jours, un collectif des Algériens de Toulouse a vu le jour. Il est soutenu par plusieurs organisations de la gauche française. Bien qu'il reprenne quelques revendications du CNCN( Coordination national pour le changement et la démocratie), force est de reconnaître qu'il existe en son sein un débat serein. Appuyé par la ligue des droits de l'homme locale, ce collectif a organisé une réunion publique, le 17 février 2011, pour débattre de la situation prévalant dans les pays de la rive sud de la Méditerranée. Toutefois, trois personnalités sont invitées pour animer cette rencontre: Moncef Mnouar (Tunisien), Omar Bendarra(Algérien) et Michel Tubiana, Président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme. D'emblée, l'animateur de la réunion souligne que les développements, survenus en Tunisie et en Egypte, méritent une attention particulière. En ce sens, cette réunion, dit-il, s'inscrit dans le cadre de la solidarité avec les peuples en lutte pour leurs libertés. D'emblée, Moncef M'nouar, du collectif de soutien aux événements de Sidi Bouzid, revient sur cet épisode de la fin de l'année précédente en affirmant que la réussite de la révolution tunisienne est devenue possible grâce à la création de relais de soutien à l'étranger. Mais l'essentiel du travail, dit-il, a été accompli par les Tunisiens. D'ailleurs, ce syndicaliste avait prédit l'imminence d'une explosion sociale. Les conditions, dit-il, furent réunies bien avant l'incident de Sidi Bouzid. Selon lui, avant l'immolation de Mohamed Bouzidi, le pays fut assis sur un volcan. Pour expliquer les frustrations du peuple tunisien, Moncef remonte, dans son analyse, jusqu'à l'époque de Bourguiba. Et les humiliations, à ce moment-là, furent légion. Au temps de Bourguiba, raconte Moncef, les opposants furent discrédités voire éliminés. Néanmoins, bien qu'il ait muselé la société, le Président Bouguiba a mis en œuvre des projets progressistes, tels que la santé et l'enseignement. Mais sur le plan des libertés, et c'est là que le bât blesse, Bourguiba a verrouillé le champ politique. Ainsi, le cumul de frustrations s'est traduit dés 1978 par des protestations violentes. En dépit de ce mécontentement, Bourguiba a préservé le pouvoir jusqu'à la fin de sa vie. En 1987, Bourguiba fut remplacé par son ministre de l'intérieur, Zine-el-Abidine Ben Ali. Ce dernier essaya bon an mal an , dans les premières années de son pouvoir, de stabiliser le pays en améliorant les conditions de vie de ses concitoyens. Ce qui rappelle à Moncef la boutade commise par Jacques Chirac: «Le peuple tunisien mange bien et se soigne bien». Toutefois, cet intermède dura quatre ans, affirme Moncef. En 1991, il y eut les premières répressions sous l'ère Ben Ali. Par ailleurs, bien que Ben Ali ait mené une politique libérale, il n'en reste pas moins que cette ouverture visait à rasséréner l'opinion internationale. Cette politique créa des alliés à l'étranger, mais concentra des inimitiés à l'intérieur du pays. Le collectif des autochtones fut un moment le porte voix de cette contestation. Par ailleurs, cette politique dévastatrice atteignit son paroxysme vers la fin de la décennie écoulée. Sur le plan politique, argue-t-il, les gens ont acquis la certitude que le régime de Ben Ali ne changerait pas sans une contestation massive de la rue tunisienne. En tout cas, pour Moncef, l'aboutissement de la révolution du Jasmin est la résultante de ces luttes antérieures. Toutefois, avertit-il, il faudrait que les tunisiens soient vigilants. Car la transition pourrait déboucher sur une politique de replâtrage, genre un coup d'épée dans l'eau. In fine, Moncef clos son intervention en disant: «La Tunisie d'abord et le côté partisan ensuite». Le second intervenant est Omar Benderra. Pour lui, la situation en Algérie est atypique. En effet, les différences entre les pays maghrébins sont latentes, bien que culturellement ils se ressemblent beaucoup. L'une de ces différences c'est que l'Algérie a connu une ouverture politique dés 1988. Cette fenêtre, selon Benderra, fut fermée lorsque le gouvernement réformateur a été poussé à la démission, le 3 juin 1991. Six mois plus tard, c'est-à-dire en janvier 1992, le pouvoir militaire s'est emparé des rennes du pouvoir. Ceci dit, le régime a toujours gardé sa façade civile. Dans la foulée, l'état d'urgence a été décrété. Cette disposition engendra et engendre encore le verrouillage du champ politique et la suspension des libertés. Par conséquent, cet étouffement de la société crée des tensions sociale se traduisant par des émeutes. Pire encore, l'arrêt du processus démocratique plongea le pays dans un cycle de violence infernale. Et le bilan est très lourd: 200000 morts et 15000 disparus pendant la décennie noire. Actuellement, les répercussions de ces violences engendrent l'inertie de la société. Bien qu'une forme de résignation soit remarquée, force est de constater que le régime se trouve éloigné de son peuple. Cela se traduit par une rupture entre gouvernants et gouvernés. Si ceux-ci ont une moyenne d'age de 24 ans, ceux-là dépassent, pour la plupart, 70 ans. Au jour d'aujourd'hui, cette jeunesse n'adhère plus au schéma prévalant jusque-là. Pour Benderra, le peuple est dégoûté et n'a confiance en personne. Ce sentiment est nourri de la certitude que le régime essayera par tous les moyens de garder le statu-quo. Car, et il est un secret de polichinelle, la police politique infiltre et phagocyte quasiment toutes les organisations. L'espoir, heureusement, est encore permis. Et il est porté notamment par les syndicats autonomes. Sur le plan international, le régime algérien s'est consolidé en agitant l'épouvantail islamiste. En effet, les événements du 11 septembre 2001 ont renforcé indubitablement les régimes autoritaires de la rive sud de la Méditerranée. Ce fut une occasion, pour eux, de mener une répression, sans commune mesure, contre l'opposition intérieure. Ainsi, l'immobilisme de la société s'explique en partie par la lassitude de la population. En revanche, en éprouvant autant de souffrance, cette population ne fait plus confiance au personnel politique. Elle estime également que le pouvoir n'est pas là pour prendre en charge ces doléances. Sinon, s'interroge Benderra, comment expliquer qu'un pays si riche n'arrive pas à résorber le chômage des jeunes:30% des jeunes de moins de 30 ans n'ont pas d'emploi. Cependant, bien que le pays vive une conjoncture d'impuissance, le pays est condamné à régler trois problèmes cruciaux de succession. Il s'agit de celle du président, du chef de l'armée et de celui des services de renseignement, conclut Benderra. En somme, estime-t-il, ces changement sont possibles dés lors que les Américains cautionnent ces dynamiques. Enfin, le dernier à s'être exprimé est le responsable du réseau euro-méditerranéen des Droits de l'Homme, Michel Tubiana. Pour ce dernier, son organisation n'envisageait pas que de tels évènements se produisent dans la rive sud de la Méditerranée, et ce bien que tous les éléments y soient réunis depuis quelques mois déjà. Toutefois, en dépit des spécificités qu'a chacun de ces pays, leur point commun est la situation invivable. Il résume ces éléments explosifs comme suit: la gravité de l'injustice, le mépris (Hogra), le ras-le-bol majeur et le manque de perspectives dans ces pays. Cependant, la longévité des régimes, selon Tubiana, s'explique par l'exploitation effrénée du fait religieux. Depuis des années, l'islamisme s'est servi d'excuse aux dictatures en vue de se pérenniser. Surtout, ces régimes n'hésitent pas à exploiter le drame Israëlo-palestinien. Ceci a servi d'alibi afin de constituer une union sacrée. Aujourd'hui, les évolutions démocratiques dans ces pays sont incontournables. Il ne reste, par conséquent, à la communauté internationale qu'à accompagner ces mouvements. Sans imposer un quelconque modèle, il suggère que les pays occidentaux aident financièrement ces peuples. Car, si des réformes ne suivent pas derrière, les populations risqueront de tomber dans le désespoir. Elles ne trouveraient plus du coup que le système démocratique soit le modèle idoine. En somme, plusieurs personnalités ont participé à ce débat. Il y avait la députée PS de la Haute Garonne, Catherine Lemorton. Il y avait également la présence de Kamel Daoud, vice président de la LADDH. La réunion s'est terminée à 23 heures. Lectures: