En ce moment même où nous publions, des jeunes ont investi plusieurs quartiers de Ouargla, pour manifester leur colère, aux cris de « A bas la corruption ». Ce n'est pas la première fois, et plusieurs manifestations spontanées ont éclaté, au cours de ces derniers jours, à Ouargla et ses environs, ainsi qu'à Hassi Messaoud. Mais elles ont été vite dispersées. Le régime, qui craint que cette région stratégique ne s'enflamme, use de toutes sortes de moyens pour tenter de désamorcer ces flambées de colère. En plus d'une répression brutale, et souvent disproportionnée, il n'hésite pas, pour diviser les organisateurs, à procéder à une forme de corruption, en proposant des crédits de micro-entreprises, ou des emplois, aux leaders du mouvement de protestation. Puis il fait circuler lui-même l'information sur ces défections monnayées, avec des détails glauques, pour semer le doute dans l'esprit des jeunes manifestants, et discréditer leurs leaders. Cela a toujours été, de toute façon, la méthode préférée du régime algérien. Ce qui se passe au Sahara, depuis des décennies maintenant, est réellement révoltant. On se demande même pourquoi, et comment, les populations du Sahara ne se sont pas révoltées. Dans cette région, dont les ressources hydrocarbures font vivre tout le pays, les populations autochtones sont livrées à leur propre sort, délibérément marginalisées. Une discrimination éhontée, pour l'accès à l'emploi, est pratiquée à leur encontre, de façon ouverte. Ces milieux du recrutement, qui ne tiennent aucun compte d'une législation et de réglementations du code du travail, pourtant très insuffisantes, se trouvent entre les mains de gens qui en font commerce, et qui refusent outrancièrement de se soumettre à une politique locale d'embauche. Ils invoquent souvent des impératifs de technicité, sensée ne pas exister chez les gens du sud, mais il existe pourtant des cas où même des femmes de ménage, des gardiens et des chauffeurs sont ramenés du Nord. Mais, en aparté, ces décideurs de la « bourse du travail » vous confient que les gens du sud sont par trop indolents, et que les compagnies étrangères ne souhaitent pas les recruter. Un comble. Au Sahara, entre autres cultures, il existe des dizaines de millions de palmiers. Lorsqu'on apprend ce que coûte, en efforts inlassables, la culture et l'entretien d'un seul palmier, on comprend ce que labeur veut dire. La jeune pousse de palmier, après avoir exigé de longs mois de soins attentifs, doit être plantée dans un « Ghout » (Singulier de Laghouat) qui est une dépression de la taille d'un homme, pour que le jeune palmier ait les racines aux abords de la nappe phréatique. Comme le sable est instable, et qu'un vent au ras de terre comble régulièrement le « ghout », le fellah doit, chaque jour, vider de nouveau le sable qui a empli la fosse. Il emplit de ses propres mains des couffes qu'il charge sur son dos, ou au mieux sur une âne, pour aller les vider plus loin, sachant que demain il recommencera ce travail de Sisyphe. Pour chaque palmier. A longueur d'année, sans un seul jour de répit. Voilà ce qu'est le Saharien fainéant. Mais il n'y a pas que cela. La même discrimination est pratiquée contre les gens du sud pour la distribution de terrains, de logements, de crédits, et tant et tant de droits qui leur sont déniés, sur leur propre terre. Les gens du Nord, dont certains adoptent à l'endroit des autochtones, j'allais dire des indigènes, une arrogance de colons, et même du mépris, et qui sont eux-mêmes organisés en des sortes de clans, en fonction de leur origine régionale, se partagent toutes les bonnes affaires, ces miettes que les clients du régime leur laissent, dans cet eldorado où l'argent coule à flots. Les gens du sud, naturellement placides, généreux et prompts à offrir tout ce qu'ils possèdent, ont été odieusement délestés de tout ce qui leur revient de droit, dans leur propre maison. Eux qu'on aurait dû privilégier, qui auraient dû avoir un droit naturel à l'emploi, au logement, au crédit, et surtout au respect, ont été traités en partie négligeable. Personne n'a été scandalisé par le sort qui leur est infligé, ni alerté par la colère qui montait. Parce que dans l'entendement des gens, ils n'avaient aucun droit au chapitre. En 1999, j'avais réalisé, pour le compte de Liberté, une enquête journalistique très étoffée, avec des chiffres, des faits, des constats plus qu'alarmants. J'y avais dépeint le traitement ignoble dont souffraient les Sahariens. L'article a été mis à la corbeille. Mais tant va la cruche à l'eau… Devant tant d'injustice, les Sahariens se sont révoltés. Les jeunes Sahariens ont clairement haussé le ton. Ils ont compris que leur bonhomie proverbiale a été ressentie comme de la faiblesse, parce que c'est toujours la mentalité de victime qui suscite l naissance du bourreau. Ils ont dit: Barakat! Et ils ont commencé à militer, pour arracher leurs droits par tous moyens, puisqu'on les leur déniaient. Une nouvelle génération de Sahariens était née. Le régime, plutôt que de prendre le taureau par les cornes, et de mettre fin à cette injustice massive et généralisée, s'est contenté de pondre quelques dispositions de pure forme, et ne s'est pas inquiété plus que ça de leur application sur le terrain. Par contre, là où il s'est distingué, ce régime qui ne peut agir qu'en conformité avec sa propre nature, il a mis en place une vaste manipulation pour dresser les Sahariens les uns contre les autres. Chaambas contre Mozabites, Souafas contre Ouraglas et Sahariens contre Sahariens, d'une façon générale. Une attitude de colons attardés. Pourtant, malgré toute cette injustice, et toutes ces basses manœuvres, nous n'avons pas encore entendu les Sahariens revendiquer leur indépendance, ni même leur autonomie. Parce que, tout simplement, les Sahariens sont emplis, à ras-bord, de leur algériannité, de leur attachement à un destin commun avec tous leurs compatriotes, dans le bonheur comme dans le malheur. Certains parmi eux, extrêmement rares, et ulcérés par une telle oppression, par cette incroyable injustice, ont eu des mots très durs, et ont franchi le tabou, pour dire qu'il était de leur droit d'être les premiers à tirer profit des richesses de leur propre terre. Cette attitude, somme toute légitime, leur a été reprochée par leurs propres aînés. Ils ont été rappelés à l'ordre, et sommés de ne plus proférer des mots qui pourraient menacer l'unité nationale. Ce que j'écris là est vrai! Je l'ai entendu de mes propres oreilles. Mais cela n'a pas suscité, de la plus insignifiante manière, l'attention du régime, qui est tout à ses gros intérêts, dont les barons, les parents et les clients, se sont rués sur le Sahara, qu'ils déchiquettent à pleines dents, qu'ils perforent dans tous les sens, juste pour acheter la paix sociale, et pouvoir gonfler leurs gros compte de là-bas, pour mettre à l'abri leurs générations futures, parce qu'ils savent qu'ils mènent ce pays à la catastrophe, et qu'il faudra bien quitter le navire, le jour où il coulera. Les jeunes du sud algérien, ces admirables compatriotes, tellement généreux, et qui aiment tant l'Algérie, sont entrés dans une phase nouvelle. Ils ont décidé de secouer le joug. Ils n'écouteront plus leurs aînés, parce que maintenant, ils sont déterminés à arracher leur droit à la dignité. Le régime, dont la capacité à l'entendement n'existe que dans une version mercantile, va continuer à se servir de la corruption des masses, pour neutraliser ces aspirations légitimes. Et en ce faisant, il va compliquer davantage le problème. Parce qu'il va injecter de la haine là où il n'y a que sentiment de frustration, et saine détermination. Les populations du Sahara algérien ont été trop longtemps privés du bénéfice que nous tirons de la terre de leurs ancêtres, que nous dilapidons, et que les gros colons qui nous dirigent saignent sans compter. A l'aube de l'indépendance, malgré les privilèges mirifiques que la France coloniale leur avait promis, ils ont refusé de se séparer de la mère patrie. Le fameux discours du Colonel Chabani, ce fier saharien, tué par des chiens, a été significatif de l'attachement des Sahariens à leur Algérie. S'ils avaient accepté cette séparation, ils seraient aujourd'hui encore mieux lotis que les Koweïtiens. Voici ce qu'aura été leur récompense! Parce que ce régime qui nous opprime tous ne peut produire que de l'injustice et de l'ignominie, parce qu'il fait tout pour nous diviser, et surtout parce que nous mêmes, nous les Algériens, nous avons perdu le sens de la dignité et du partage. Parce que nous nous sommes laissés corrompre, parce que nombreux d'entre-nous, pourvu qu'ils en tirent de bien piètres profits, sont devenus les remparts de ce régime qui nous mène droit au chaos. Vidéo de Chabani sur les tractations pour couper le Sahara de l'Algérie: http://www.youtube.com/watch?v=NFH3quJ0Xm0 D.Benchenouf Lectures: 5