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La loi contre les normes et le laminage des élites méritocratiques
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 20 - 08 - 2011

Complots contre les élites méritocratiques. J'aimerai illustrer ce propos dans le milieu du savoir. Je prendrai deux exemples, celui d'un examen d'entrée à l'université (baccalauréat) et un autre universitaire (magister).
La corruption qui affecte les examens scolaires est devenue une réalité quasi-officielle, Etat et société n'en sont pas indisposés parce qu'elle s'apparente comme à une revendication démocratique : le droit à la rente étant un droit politique (parce qu'issu de la nationalisation du sous-sol et se définissant comme un droit de tous sur la propriété collective) consacré par l'égalité des individus devant la loi, il a énormément de mal à se justifier par le savoir acquis ou le travail (voir le problème des rapports entre les formes de capital culturel et politique dans la compétition sociale dans la théorie de P. Bourdieu). A la différence des anciennes sociétés de classes, la rente n'est pas l'apanage exclusif d'une classe sociale, en opposition au travail (marchand et non marchand) vers lequel les autres classes seraient renvoyées pour durer. Là, travail et capital, ont pu racheté les biens immobiliers, les sociétés bourgeoises corrompre celles féodales et finalement l'emporter sur elles. Dans notre société le droit à la rente est général. Aussi a-t-on beau chercher quelque indignation globale majeure, une telle corruption ne semble pas ébranler la société et son gouvernement et elle apparaît comme un instrument de correction de la répartition de la rente en faveur des capitaux faiblement nantis en capital politique. Le détour par le savoir est imposé au nom du développement, de la construction d'institutions modernes, justifiant un refus de distribuer la rente directement aux copropriétaires comme on refuse aux étudiants de gérer les dépenses qui sont consacrées à leur entretien. La rente doit passer au travers de certains détours de distribution, elle doit être distribuée au travers de certaines institutions, qui obscurcissent sa répartition sous prétexte de lui donner une légitimité. Cela est maintenant bien partagé : les destinataires de la dépense publique ont seuls une importance réelle. La finalité avouée (objectif de développement, production d'une marchandise ou d'un service) n'est que le prétexte : elle est trop abstraite pour avoir ses défenseurs. Les revenus de la rente augmentent par rapport à ceux de la production qui diminuent contrairement à l'exemple historique des sociétés de classes. Ensuite le pouvoir d'achat des rentiers étant mieux défendu par les producteurs mondiaux que par les producteurs locaux, l'effet de la dépense ne bénéficie pas au travail local mais à celui mondial, qui s'avère par ailleurs plus coopératif dans la gestion des flux. C'est donc à la condition générale de rentier qu'il faut mettre un terme si l'on veut que les individus renoncent à accroître leur revenu en cherchant simplement à accroître leur part de rente et si l'on veut qu'ils consentent à entrer dans un circuit économique commun, dont il faut admettre le coût relatif, pour construire l'autonomie de leur association productive. La compétition des rentiers pousse à l'accroissement de la rente et à la défense de son pouvoir d'achat, ce qui contraint la production locale à se réfugier dans quelques niches pour pouvoir subsister. Ainsi la course au diplôme s'est vite débarrassée de ce qui la justifie à l'origine (la compétition dans la production du savoir) et s'est affirmée comme une fin en elle-même, c'est-à-dire comme un droit d'accès au marché de la rente. On n'apprend plus pour savoir, produire une valeur ajoutée mais pour avoir un titre convertible et négociable sur le marché du pétrodollar où se livrent bataille un certain nombre de forces. L'enseignant qui prend sur lui le droit d'entraver la progression d'un élève est contesté dans sa légitimité, il est considéré, par l'élève et ses parents, comme un obstacle qui s'interpose entre l'étudiant et un droit légitime sur une propriété commune (… si beaucoup d'enseignants continuent à fabriquer de l'exclusion et donc à justifier l'institution, même si telle n'est pas leur intention, de moins en moins d'étudiants y consentent, puisqu'ils ne reconnaissent pas au savoir de pouvoir discriminant sur les marchés des droits). Il est perçu comme un individu hostile dans le circuit de la répartition de la rente. Il est difficile de parler, ici comme on le fait ailleurs, de crise de l'autorité dans l'enseignement, on a oublié depuis longtemps d'où pouvait procéder une telle autorité. Le travail ne commandant pas au travail, n'étant pas une puissance en mesure de s'approprier le produit ou revenu d'autrui, n'étant pas le moyen de production de droits sur la production (principalement importée), le savoir n'étant pas une puissance du travail, comme puissance du travail et moyen d'appropriation, il n'appartient qu'au jeu légal des institutions. Le sentiment que notre société n'a en fait jamais reconnu aucune autorité au savoir est de plus en plus dominant. Si l'on suppose donc que l'autorité du savoir n'est pas historiquement donnée (ou que sa filiation se perd dans des temps obscurs), on peut dire qu'avec la rente comme droit général, on n'a pas eu besoin de lui en donner une. Les personnes ayant connu les institutions coloniales peuvent se rappeler l'autorité du savoir qui transpirait de leurs porteurs, ils doivent se rappeler aussi que ceux-là étaient destinés à commander. L'enseignement supérieur algérien est une formation sur le tas qui ne produit de plus-value que dans la gestion de ses dépenses sociales et non dans ses pratiques spécifiques, la production d'un capital humain. Il a fini par consommer le faible capital qu'il avait pu accumuler dans des temps antérieurs et l'enseignant qui veut fonder son autorité sur ce qu'il considère comme un savoir acquis n'est pas justifié aux yeux de l'étudiant. Le savoir de son enseignant s'avérant sinon périmé du moins superflu sur le marché du travail. En vérité, l‘enseignant qui essaye de fonder son autorité sur « son » savoir et non sur celui d'une communauté scientifique légitimée par son rapport à la production sociale, fait le jeu d'un capitalisme d'Etat qui a construit un système de distribution, de gestion des marchés seul producteur de plus-values. Comme l'affirmait lord Keynes on a tort de considérer que la production est à elle-même sa propre fin : la production est production de quelques choses, en l'occurrence de consommations pour les uns et de profits pour les autres, et qui passe ici non pas au travers de la production, de la production de producteurs, mais de la distribution de surprofits, de rentes par une certaine gestion des marchés. La production et la consommation ont leur fin dans une distribution, la production n'a en elle-même aucune consistance, elle ne se réalise aucunement comme une production de production ou consommation productive positive, mais comme une production de consommation : la consommation qu'elle occasionne a le dernier mot, elle est supérieure à sa production. La distribution de profit une fois effectuée, la production distribution de salaires devrait s'éteindre en fonction des rapports de forces. Le plus rapidement sera le mieux car elle justifiera l'émission d'un nouveau flux porteur d'une nouvelle distribution productive de profit. Elle s'apparente à une consommation productive négative d'autant plus rentable qu'elle aura rapidement consommée son capital fixe et qu'il pourra être renouvelé. Depuis l'indépendance la déprise du travail sur la production n'a fait que s'accroître, comment le savoir pourrait-il s'accumuler ? La liquidation du secteur public, l'investissement dans les infrastructures ont permis à la vitesse de rotation de la dépense publique de s'accroître et d'accroître les occasions de profit, les clientèles plutôt que les collectifs productifs. Les routes et autres infrastructures sont un excellent exemple : le marché acquis qui réalise une certaine répartition entre l'entrepreneur et le gestionnaire de la rente est plus important que la répartition du côté de la production; l'investissement n'entretient pas une capacité productive durable et ne coûte que le temps de sa réalisation contrairement à l'industrie ; du côté de l'usager, n'en supportant lui-même pas les frais, seul compte l'entretien des routes et non la durée de vie de chacune.
Comment pourrait-on réagir ? Vu l'état et les conditions du savoir et de l'université aujourd'hui, il faudrait dissocier l'enseignement de son évaluation, de sorte que cette dernière puisse être indépendante et multiple, si l'on veut qu'ils retrouvent une certaine crédibilité (parents d'élèves ne vous fiez pas aux bonnes notes de vos enfants, elles sont faites pour vous endormir !). L'évaluation s'appuierait sur des références publiques (nationales et internationales) et viserait des objectifs particuliers. Dans un cadre académique, son exercice relèverait d'une instance indépendante, dans un cadre professionnel, elle relèverait d'une instance liée au monde du travail. Ce ne serait donc plus à l'enseignant d'évaluer le travail de son étudiant (assimilable à une auto-évaluation subjective), sa prestation consisterait davantage à aider l'étudiant à construire sa demande et à aller vers l'offre convenable. Cette évaluation permettrait un processus d'auto-évaluation de l'étudiant et de l'enseignant en même temps qu'une évaluation externe de leur travail. Il faut considérer que c'est d'abord la collectivité (enseignants et étudiants) qui est apprenante et non les individus pris séparément. On ne peut songer à la concrétisation d'une telle disposition si on ne bénéficie pas de l'adhésion des enseignants dont le premier motif serait alors de « se former en formant » plutôt que de « former en se formant ». (Il faudrait probablement repenser l'autonomie du travail universitaire qui dans les dispositions anciennes a été perdue avec la nouvelle domination financière. La question de l'autonomie du savoir se déplace vers celle de la connaissance comme bien public). Puis il faudrait définir le droit aux études et mettre fin à la gestion « bureaucratique » de consommation des crédits. Tant que l'étudiant ne sait pas ce qu'il veut et peut faire, inutile de le mettre dans le circuit. Ensuite il faudrait libérer l'offre de formation, c'est-à-dire l'ouvrir aux forces réelles d'innovation. La construction de l'offre de formation ne doit pas être confié à des commissions d'individus vivant dans le vase clos universitaire mais être ouverte à toute initiative en mesure de proposer des emplois à la jeunesse. (Un métier plutôt qu'un diplôme, sans que cela signifie faire des études supérieures pour être maçon. Penser au métier de mécanicien aujourd'hui. Mais peut être faut-il se demander si les universités n'auraient pas été fermées si elles n'étaient pas justifiées par leurs dépenses sociales.) La coopération étrangère pourrait être très utile pour l'importation de savoir-faire. Ainsi parviendrait on à construire des marchés de la formation en mesure d'informer convenablement les différents agents sociaux et économiques sur les possibilités et les contraintes de leur environnement et de l'environnement mondial. Voilà ce qui me semble la seule façon de corriger le mouvement de chute de la valeur des titres dans lequel l'université est aujourd'hui engagée, la seule voie qui ne conduise pas à un gaspillage des ressources qui masque le profit qu'en tire une minorité d'opportunistes : séparer l'enseignement et son évaluation.
L'examen du baccalauréat où les irrégularités ont été tolérées ces derniers années pour cause de pression sociale, de démocratisation du droit à la rente, n'a pas manqué de servir les intérêts du ministère et les statistiques justifiant son existence. Cette année, il est très probable que d'autres parties, toujours mieux informées, ont pu tirer un meilleur parti de ces dispositions. On peut supposer qu'elles ont maximisé plus que d'autres leurs résultats. Il serait très instructif de comparer les résultats des élèves au bac à ceux de l'année scolaire. Il ne sert à rien de demander cette comparaison au ministère, il chercherait probablement à la minimiser. C'est aux élèves et à leurs parents de se demander si la régularité des examens a quelque importance pour eux. Les tricheurs n'attendront pas longtemps pour trouver la manière adéquate d'effacer les traces qui témoignent de leurs méfaits. On ne répugnera plus longtemps à fabriquer des résultats scolaires convenables. Aujourd'hui les gens aux réseaux longs ont trouvé la parade aux quotas, savent contourner cette barrière. Ils peuvent avoir les meilleurs résultats avec la complicité de la société et n'ont nul besoin des interventions aux inscriptions. On sait effacer les traces et se soustraire à la traçabilité. Seulement, jusqu'où acceptera-t-on que se dégrade l'enseignement ? Le problème c'est que ceux qui croient à la valeur du travail et qui croient utile de combattre la supercherie actuelle des études ne sont pas des masses, à peine sont-ils perceptibles. La conjoncture de l'emploi il est vrai est démotivante. Il est dramatique que parmi les parents attachés à leur capital culturel, certains furent poussés à s'aliéner, à développer des tendances destructrices pour donner une instruction réelle à leurs enfants. Au lieu de faire jouer un rôle positif à l'école privée, on l'a pervertie pour criminaliser la partie la plus déterminée. Quel gâchis ! La corruption de l'enseignement n'aura pas fini de s'étendre tant que la majorité ne se rendra pas compte de son asservissement volontaire. Elle continuera de gangrener le corps social tant que la société se disputera la rente plutôt que le savoir. S'il faut attendre l'épuisement des ressources naturelles, et donc que la société aille dans le mur, alors il faut s'attendre aussi qu'elle ne donne que ce qu'elle a, soit peu de choses et beaucoup de violence, si on n'y prend pas garde. Il est probable que la violence n'en ait pas terminé d'être insolente.
Légitimité des institutions et des normes sociales : la loi contre les « excès » de la norme, d'où il résulte une application discrétionnaire de la loi d'un côté, un refus social de la loi de l'autre et entre les deux, un laminage des élites méritocratiques.
Une certaine réussite sociale peut être considérée comme amorale et illégale d'un point de vue universel. Du point de vue d'un mouvement social, elle peut paraître conforme à une norme sociale, apparaître comme une régularité sociale. Au lieu d'être normé par la valeur travail qui donne sa légitimité à la propriété moderne, elle serait inspirée par la valeur prédation, plus adaptée à une société doublement déterminée par certaines dispositions, certaines attentes et certaines opportunités objectives. D'un côté, riche de son capital naturel elle aurait des rapports de propriété mal définis qui rendraient l'usage de celui-ci problématique. D'un autre côté, une société marquée par des dispositions conjurant une différenciation sociale méritocratique n'encouragerait pas la formation de nouveaux capitaux qui, avec le capital naturel, formeraient une structure du capital efficiente. Des dispositions subjectives et des opportunités objectives justifierait et autoriserait ainsi les desseins d'un capitalisme d'Etat et de catégories sociales opportunistes. Il en est résulté un « système » qui exploite les normes sociales à son profit. C'est ainsi en vérité qu'est obtenue la réelle plus-value sociale : dans la production désirante (G. Deleuze, L'Anti-Oedipe). Les normes constituent le principe d'association et de conjugaison des individus et des groupes, la loi en délimite le champ et les conditions de validité dans la perspective d'une reproduction d'un système de domination.
J'aime à répéter que les citoyens ordinaires qui imitent les « puissants» ne peuvent qu'être les premières victimes de leurs malversations. Quand des citoyens ordinaires ne veulent pas laisser un citoyen de première classe seul quand il contrevient à la loi, quand ils lui empruntent le pas, le suivent pour ne pas être en reste, ils rendent légitime, ils normalisent un acte illégal, leur mimétisme transformant cet acte en norme : une conduite particulière devenant générale. Ainsi les normes sont produites dans le cours du mouvement de la compétition sociale, elles normalisent/régularisent les conduites et sont comme leur infrastructure collective. La production de normes implique une élite qui entraîne et une masse qui suit, la différenciation cependant n'a nul besoin d'être très prononcée. Si la différenciation est suffisamment prononcée et si la répression réussit à dissocier le suivant du suivi en réprimant le premier et en soustrayant le second à l'application de la loi, nous pourrions être sur la voie d'une société de classes. Encore faudrait-il l'emprunter. Quand l'individu normal contrevient à la loi et que celle-ci relève le délit, on sera sans preuves pour établir la culpabilité de celui qui a précédé et conduit à la faute parce qu'il aura pris le soin de se protéger. On n'aura pas tort alors de punir le « suivant » que le « suivi » aura offert comme substitut et qui aura commis la faute d'imiter ce qu'il ne pouvait ni n'avait le droit d'imiter. La loi ne « confirmant » pas la norme sociale, une dictature profitant des normes d'une société peut les gérer à son avantage tout en se prévalant d'une double légitimité, celle des normes sociales et celle des normes internationales. La loi, elle, ne pourra être que sélective, discrétionnaire, et ne pourra sanctionner que les « excès » qui menacent la norme et la loi dans leur coexistence, autrement dit le système social et politique.
Pour conduire cependant à une différenciation sociale consentie, il faudrait plus que cela. Entre les expériences de différenciation sociale d'hier et d'aujourd'hui, il y a un contexte mondial très différent : la loi qui procédait du haut vers le bas ne peut le faire aujourd'hui, d'où des modalités de domination très complexes et inédites. On peut donc voir dans quel dilemme, devant quel problème la société égalitariste se trouve placée tant que les conditions d'une différenciation acceptable ne sont pas réunies : imiter pour ne pas laisser s'établir de distance sociale et entretenir un mouvement général de corruption de l'activité sociale ou ne pas imiter, admettre un rapport de domination, accepter de guerre lasse une différenciation en autorisant l'emprise d'une loi discriminante pour créer un ordre productif (certains seront contraints de vivre de leur travail, d'autres pourront le faire de la rente et de l'exploitation du travail). Si donc la société refuse les termes de cette alternative, qui correspondent en réalité à deux formes de suicide, si donc la société refuse de se suicider, parce que la force ne peut plus faire loi, même en s'appuyant sur des croyances grâce à certaines clientèles, ce sera donc de la transformation du rapport général à la rente et au travail que pourra procéder une réforme sociale en vue de conduire à une société souveraine.
De ce qui précède, on peut dire que la corruption tient donc d'abord dans les valeurs d'une société et d'un système qui les conforte et permet leur exploitation. Cette idée se laisse bien percevoir dans l'important mouvement social qui gagne aujourd'hui l'Inde dans son combat contre la corruption du système démocratique et de l'Etat (voir Anna Hazare et India Against Corruption). Pour ce qui concerne notre analyse, la corruption tient plus exactement de l'écart entre les normes qui produisent la société, de « son » état de droit qu'elle n'a pas produit et du capitalisme d'Etat qui gère son système social et politique. (On sépare ordinairement l'état de droit du problème de la propriété, ce qui constitue une grave tare de la réflexion). L'un visible et inspiré des normes internationales d'où il tire une forte légitimité, se pose en s'opposant à «l'archaïsme» des premières. Ne pouvant se surimposer aux normes sociales, quoiqu'il puisse prétendre parce que relevant d'une sphère distincte, l'état de droit va veiller à leur reproduction, à leur fonctionnement cohérent dans un système de domination particulier. Car la finalité de la loi ne peut être que la production et la reproduction des normes, sans quoi on ne peut faire société. L'opposition des normes sociales et du Droit justifie la dictature, alors que leur complémentarité fabrique la dynamique démocratique. Quand nous ne sommes pas en démocratie la souveraineté limitée de la société s'exprime dans la production des normes (qui ne peut être que contrariée mais non empêchée) et non dans celle plénière de la production des normes et de la loi. La société n'est pas alors capable de produire le droit, elle ne peut se recomposer comme un ensemble d'individus aux droits égaux, elle doit s'appuyer sur une dictature, une autorité externe. Avec la dictature, la prédation est ainsi contenue dans les limites qui ne menace pas le principe d'association des individus et des collectivités et la reproduction du système étatique. En société souveraine la loi prolonge, oriente la production des normes, des traditions, elles font partie d'un même esprit.
Les « suivants » ont naturellement tendance à reporter sur les « suivis » la responsabilité de leurs actes, ils croient pouvoir s'en dispenser. Et c'est de bonne guerre, dirait l'homme ordinaire, quand la loi ne confirme pas, ne suit pas la norme (dominante ou en voie de formation). Ils sont justifiés par le comportement d'autrui qu'ils trouvent comme seul appui. La loi peut anticiper la norme à condition de se situer dans son prolongement. La loi ne peut partir d'elle-même. Aussi l'élite actuelle, la société qui est imitée, tout en s'appuyant sur les normes internationales mais experte dans l'art de se soustraire à leur application sur elle, est celle qui profite le mieux des services de la norme et de la loi. Elle abuse de la norme, se soustrait à la loi, tout en l'appliquant à autrui. C'est sur cette même pente que vont être fabriqués des boucs émissaires et que vont être exfiltrer les bénéficiaires majeurs. Car la prédation a beau être contenue, ne pouvant qu'épuiser son objet, elle travaille à sa perte. Alors le coupable étant tout le monde et personne, il faudra bien trouver qui portera le faix, qui la société pourra charger de ses fautes, ou comme dit l'expression populaire, sur qui «essuyer le couteau». Les réels criminels, ou les opportunistes qui ne se sont pas laissé aller aux excès tout simplement, sont ceux qui ont consenti aux lois et aux normes et ont su de leur usage et de leur opposition tirer grand profit. Ce sont les cyniques que l'on dit sans foi, ni loi.
« Sans suivants il n'y a pas de suivis », c'est dans ce mouvement d'imitation et d'innovation que se produit donc une élite plutôt que par ce que peuvent fabriquer des élections qui tout compte fait ne font que traduire un tel mouvement dans un semblant de marché politique. L'élite est produite dans la compétition sociale et le rapport de la société au monde qui la sous-tend. Ici le rapport a été de prédation et il a été porté par le thème majeur de la récupération des richesses nationales. C'est au cœur du mouvement social, dans la direction qu'il prend, que se produit une élite sociale. Nous n'avons jamais été aussi riches et aussi pauvres à la fois. Cette élite que nous portons, nous enrichit des biens d'autrui et nous dépossède de nos biens propres, privés et collectifs. Cependant elle ne doit pas nous impressionner davantage, c'est le processus de production de cette élite qui compte et non l'élite elle-même. C'est ainsi qu'il faut comprendre à mon avis la lettre de Nelson Mandela aux révolutionnaires arabes et lui donner tout son poids. Ce n'est pas le ressentiment qui produira une Algérie nouvelle, non une justice vengeresse mais une autre réparatrice. Le mouvement dans lequel s'inscrit la société, la protection et la valorisation de l'ensemble de ses ressources, sont des questions centrales pour la transformation sociale.
Certains ressassent que la guerre de libération ayant décimée les plus braves, il est resté à une société fatiguée de la guerre, les « bienfaits » compensatoires de la rente, les complots de l'ancienne puissance coloniale, des opportunistes en tout genre et enfin une jeunesse, chargée des besoins et des contradictions de son temps. Cela ne pourrait être complètement vrai, ni complètement erroné. On ne saurait ni sous estimer le mérite de certains vivants, ni la force du cours des choses. Pour l'avenir, dans la mesure où l'on pourra dissocier les deux mouvements, il sera plus important de construire le nouveau cours que de chercher des victimes expiatoires.
Deuxième exemple après l'examen du baccalauréat, celui d'un magister en sciences humaines. Ici on n'a pas besoin de tricher comme tout à l'heure lors du déroulement de l'examen pour comploter contre l'élite méritocratique. L'irréprochabilité de celui-ci est une caution bien appréciée. La différence majeure c'est que cette épreuve n'a pas la publicité des épreuves du baccalauréat. Une première riposte consisterait donc en une publication des épreuves. Il suffisait pour la préparation de l'examen, de réunir des enseignants divers (même discipline, diverses universités et enseignements divers et occultés), de prendre le plus petit commun dénominateur commun à leurs propositions de questions d'examen et nous avions un examen qui convenait aux élèves moyens plutôt qu'aux meilleurs. Une mesure accompagnatrice consisterait à rendre publiques les références des matières sur lesquelles seront examinées les étudiants, ce qui supposerait leur disponibilité et donc l'existence de cours de référence par exemple (on laisse faire les enseignants parce que cela arrange quelques parties qui sont en mesure d'en tirer profits.) Mais bien entendu c'est contre cette transparence que l'on conspire. Par ailleurs cela se confirmera quand on recrutera à l'université : on ne retrouvera pas les meilleurs. Le professeur compétent ne recrutera pas l'élève méritant.
Cette histoire de moyenne, d'élite et de futurs exclus noyés dans la masse, on la retrouve comme une loi gouvernant le système éducatif tout entier, elle opère au travers de la définition de la classe. La classe doit être une classe moyenne, toutes les classes doivent être des classes moyennes. On parle au pluriel de classes homogènes dans le sens où elles se ressemblent toutes. Au singulier chacune est de la plus haute hétérogénéité (sauf exceptions et arrangements locaux). Ce qui est conjuré c'est la formation de classes intrinsèquement homogènes qui pourrait être traitées comme telles. On refuse de différencier les inégalités et leur traitement. Pas de classes de références, pas de traitement différenciée comme si celui-ci devait automatiquement bénéficier aux mieux dotés par la nature et la société. En vérité, il y a là la meilleure façon d'exclure les plus faibles avec leur consentement. Avec les classes homogènes l'on noie donc les plus forts et les plus faibles dans la masse des élèves en les distribuant dans toutes les classes. Cela est concomitant au fait de noyer les différences entre enseignants dans leur masse. Pas de références ici non plus. Le refus de la différenciation se retrouve donc tant auprès des enseignants que des parents d'élèves, comme partout ailleurs dans notre société. La raison c'est que tout le monde ou presque résiste car craint les effets. Aussi emprunte-t-elle des voies occultes. La confiance de la société vis à vis de la différenciation renvoie à son expérience. Il y a de quoi pourrait-on dire, surtout quand elle veut s'imposer à la majorité, ce à quoi se préparent certains esprits revanchards et ce qui risque d'arriver quand l'heure des vaches maigres aura sonné. Il faut donc que la société consente à une différenciation avec la garantie qu'elle soit au service du plus faible et non seulement du plus fort. Oui il faut distinguer le meilleur du moins bon, afin que celui-ci puisse entraîner, servir celui-là, que celui-là puisse savoir qui imiter et de qui tenir. De qui pourraient apprendre, enseignants et enseignés ? Notre société profondément égalitaire doit le rester mais elle doit apprendre à changer, à gérer le changement. Nous n'avons pas besoin ni des classes sociales dans un cas, ni de rester moyens dans la médiocrité dans un autre. Pour évoluer il faut continuellement creuser des différences puis s'efforcer de les combler. D'où pourrait bien naître le mouvement ? Le monde se complique et nous ne voulons pas changer nos habitudes, nos différents ordres. Jusqu'à quand cela se pourra-t-il ? Jusqu'à quand les chemins de la réussite devront se perdre dans les sables ou disparaître au-delà des mers ?
Au travers de nos concours les plus recherchés, on peut donc dire qu'il y a comme un complot de la société et de l'Etat contre l'élite du savoir. On pourrait montrer dans un autre champ, celui de la production matérielle, qu'il y a de même complot contre les élites méritocratiques du travail. J'entends par travail ici non pas le travail salarié mais le travail productif, le savoir faire. Le salarié de la production matérielle n'est pas incommodé par sa non appartenance à une hiérarchie légitime (sauf à s'en référer à une production immatérielle tels les cadres supérieurs des entreprises). Il n'en est pas de même du producteur de richesses : la compétition par les coûts et la qualité est distinctive. Et la distinction n'est pas nécessairement ni héréditaire ni dominatrice.
Libération des élites. Tout comme sous l'administration coloniale, les monopoles formels et informels maintiennent et ont maintenu dans la sujétion le savoir et la production, de crainte de la compétition de leurs élites ils les empêchent de s'émanciper. Il n'y a d'autres solutions que l'exil politique, la fuite des capitaux et l'émigration. Encore que l'émigration n'offre plus les opportunités qu'elle offrait naguère. Le monde recrute nos étudiants pour les employer dans des services à faible productivité sans intérêt pour le transfert de technologie. Il faut orienter les étudiants vers les filières industrielles, le travail à forte valeur ajoutée, les métiers de base. Il n'est rien fait dans ce sens par le système d'enseignement et je doute qu'il sera fait quelque chose à l'avenir. Vers les filières où ils peuvent s'incorporer des savoirs faire nécessaires à la transformation de leurs milieux d'origine. Ils ont presque tout à apprendre pour donner à leur pays une production qui pourrait couvrir ses besoins sans se refermer sur lui-même. Le pays d'accueil a à offrir des emplois déqualifiés aux universitaires sauf pour une minorité très méritante dans les technologies de pointe peu pourvoyeuses d'emplois. Ce n'est pas d'argent, de capital financier dont notre société a besoin ce sont de compétences pertinentes. Adviendra ce qu'il faudra quand la société fera preuve d'autres dispositions, en attendant il faut émigrer pour apprendre à travailler afin d'être utile au moment où la société devra s'en remettre au travail. Pour le moment c'est aux parents à faire ce travail d'orientation, ce que font déjà certainement une minorité éclairée qui n'a pas voix au chapitre politique et une autre cynique, qui prend soin de ne pas faire de bruit sur le sujet. Plus tard seulement, lorsque la société basculera, l'Etat suivra. Oui le mouvement social précède les initiatives politiques.
L'émigration, a été, aurait du être, un facteur capital du changement de la société et de ses habitudes. Les migrations (émigration et immigration) le seront-elles ? Le débat entre la société et ses émigrations et immigrations, par lequel elle s'incorporerait le monde et ses richesses, devrait être un facteur puissant du dynamisme social. Mais le capitalisme d'Etat et le conformisme social ont préféré aliéné une telle ressource pour assurer pour l'un son hégémonie et sa mainmise sur la gestion des ressources naturelles et pour l'autre l'illusion du statu quo. C'est là un sujet sur lequel nous aurons probablement l'occasion de revenir.
DERGUINI Arezki
Sétif le 20 Aout 2011.
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