Par Christian Makarian, publié le 31/08/2011 à 14:10 Le scénario libyen n'a rien à voir avec le désastre irakien Dès l'Antiquité, Thalès avait prévenu : « Rien n'est plus rare qu'un tyran qui vieillit. » Assurément, Mouammar Kadhafi ne fera pas un beau vieux. Le bédouin qui disait vivre de quelques dattes et d'un verre de lait de chamelle a choisi de mettre un point final à sa carrière en ne laissant derrière lui qu'une traînée de sang. Ultime épisode de son orgueil destructeur, sa cavale aura eu pour effet d'accroître les sacrifices de ses adversaires et d'accentuer le chaos général qui recouvre le paysage libyen. Pour priver la rébellion d'une victoire nette, le Guide aura su y faire – jusqu'au bout. Au point que certains se prennent à invoquer maintenant le spectre de l'Irak. A les en croire, il y aurait un risque réel de catastrophe. Et les sceptiques de citer, après l'enlisement de l'OTAN – prédit mais non advenu -, l'assassinat, fin juillet, du général Younès, chef militaire de l'insurrection, comme préfiguration d'un éclatement tribal du pays. Ou encore les bisbilles au sein du CNT, immédiatement perçues comme une menace sur l'avenir politique de la Libye. Que répondre ? Il y a plusieurs « événements » dans l'opération libyenne qui lui confèrent un caractère résolument novateur, ce qui devrait écarter les mauvaises comparaisons. Malgré l'impression de grand désordre qui se dégage du théâtre des opérations, on peut déjà tirer une première conclusion : cette guerre est celle des Libyens, non celle des Occidentaux. Ce qui, en l'occurrence, est un bon point pour ces derniers et établit d'emblée une énorme différence avec le schéma irakien. En 2003, en s'emparant de Bagdad à grand renfort de moyens militaires, non seulement les Etats-Unis menèrent une croisade à but démocratique, dont on sait l'aboutissement désastreux, mais ils le firent sans l'aval de l'ONU et en position frontale. Le résultat fut une déroute américaine. En Libye, non seulement le pari militaire lancé par l'Otan est désormais gagné, mais il l'est à partir de moyens limités, en l'occurrence aériens (ce qu'imposait la résolution 1973 de l'ONU). De surcroît, l'intervention alliée s'est faite en application de la « R2P » (responsabilité de protéger), principe onusien adopté en 2005, en partie à l'instigation de la France. Ce principe, qui vise à défendre les populations civiles contre les génocides, les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité, est une variante aménagée du droit d'ingérence. C'est la première fois qu'il est employé de façon globale, et avec succès ! Bref, le contraire parfait de l'Irak. Deuxième leçon, ni Paris, ni Londres, ni Washington ne souhaitent régenter la Libye (même si les arrière-calculs économiques et stratégiques font partie de l' »après-guerre »). Là encore, à l'inverse de l'Irak, ce sont les dirigeants du CNT libyen qui ont souhaité que les forces de l'Otan maintiennent leur pression jusqu'à la capture de Kadhafi. En Irak, la question pour les Américains s'est rapidement résumée à savoir pourquoi rester et comment partir ; tandis qu'en Libye elle a consisté pour l'Otan à se demander comment ne pas s'enliser alors qu'on la priait tant d'agir. Autre différence de taille, la reprise en main du pays après les ravages causés par les affrontements entre adversaires et derniers partisans de Kadhafi sera le fait des pouvoirs libyens eux-mêmes, non d'une administration d'obédience occidentale. Enfin, contrairement au parti Baas irakien, qui tenait tout le pays pour le compte de Saddam Hussein si bien que l'anarchie s'installa dès que le système fut démembré, le CNT s'est érigé en alternative anti-Kadhafi en préalable à la chute du régime. Autant de facteurs qui ne constituent pas une garantie de stabilité, loin s'en faut, mais qui montrent de façon éclatante que l'Otan, pour la première fois de son histoire, a pris des risques pour aider un peuple arabe à briser ses chaînes. Lectures: 8