Kadhafi donne du fil à retordre aux Occidentaux. Ses insurgés sont divisés et l'OTAN ne sait plus où donner de la tête, enregistrant elle aussi des défections dans ses rangs. L'enquête se poursuivait dimanche après la mort du général Younes, un ex-pilier du régime Kadhafi devenu chef d'état-major des insurgés. Le Conseil national de transition (CNT), organe politique de l'insurrection, a nommé une commission d'enquête et promet de publier tous les faits autour de la mort de son chef militaire. La mort de ce dernier est énigmatique, elle rend compte de divisions aiguës au sein de l'opposition où l'unité affichée ne serait en fin de compte que de façade. Son unification est loin d'être achevée. Au point où le président du CNT, certainement sous la pression des Occidentaux, a promulgué un décret ordonnant à toutes les milices de se dissoudre pour se confondre dans l'organe représentant l'insurrection, plus ou moins reconnu comme tel par la communauté internationale. “Le temps est venu de dissoudre ces brigades, quiconque refusera d'appliquer ce décret sera jugé”, a menacé le président du CNT, Moustapha Abdeljalil, également haut responsable dans le régime de Kadhafi, en qualité, entre autre de chef de ses services de renseignements. Le général Younes a été abattu jeudi dernier par un groupe armé après avoir été rappelé du front pour un interrogatoire sur des questions militaires à Benghazi, le fief des insurgés. Un autre membre du CNT, Ali Tarhuni, devait indiquer que ceux qui ont attaqué le chef militaire de l'insurrection étaient des membres de la brigade Jarah Ibn Al-Obeïdi, sans en dire plus. Comme pour exacerber ce dossier, Libya Al-Hurra, la télévision des insurgés indiquait pour sa part, que le groupe rebelle du “17 février” était derrière l'assassinat du général. Son corps criblé de balles et partiellement calciné a été retrouvé vendredi matin dans les faubourgs de Benghazi, mais le CNT avait été informé de sa mort la veille, quand le chef d'une bande armée à l'origine de sa mort a avoué le crime, a annoncé Moustapha Abdeljalil, soulignant que celui-ci est en prison et que ses complices étaient encore recherchés. Le numéro un du CNT rajoute une couche à la confusion : “Leurs motivations n'étaient pas claires, nous ne savons pas pour qui ils travaillaient” ! Plusieurs membres du CNT ont accusé le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi d'être derrière l'assassinat, tandis que des rumeurs affirment que le général a été exécuté par des rebelles qui le soupçonnaient de trahison. Le porte-parole de Kadhafi a accusé Al-Qaïda d'avoir commis le meurtre pour marquer sa présence et son influence dans les régions tombées entre les mains de l'insurrection. La mort dans des circonstances mystérieuses de ce chef militaire pourrait masquer de profondes divisions au sein de l'insurrection. La France qui est aux avant-postes dans la guerre contre Kadhafi, et donc qui est informée sur ce qui bruit au sein de l'insurrection, notamment chez le CNT, est inquiète et n'a pas manqué de le faire savoir, enjoignant ses nouveaux amis libyens de mettre de l'ordre dans leurs affaires intérieures. Paris a appelé à la prudence sur les explications et les responsabilités dans cette affaire. “Ce qui s'est exactement passé reste peu clair”, a de son côté renchéri Londres, autre acteur-clé au sein de la coalition occidentale contre Kadhafi. L'assassinat de Younes et de deux colonels porte un coup sévère à l'opposition libyenne au moment où celle-ci lance une nouvelle offensive dans l'ouest du pays pour essayer de conquérir Tripoli, sinon ses banlieues. La France craint en effet la propagation de ces divisions sur le front diplomatique et sur le terrain militaire, avec les questionnements qui agitent ses partenaires de l'OTAN, laquelle enregistre des défections, comme vient de le faire la Norvège en décidant de ne plus participer aux opérations contre Tripoli. Même inquiétude chez les Etats-Unis qui ont exhorté les insurgés à rester unis et concentrés sur leur objectif de renverser le colonel Kadhafi : “Ce qui est important, c'est qu'ils œuvrent de manière à la fois rapide et transparente à assurer l'unité de l'opposition libyenne”, a déclaré le département d'Etat. Il y avait déjà l'enlisement militaire. Se profile désormais le spectre de la discorde chez les rebelles libyens. D'ores et déjà, des voix s'élèvent en Occident se demandant si leur pouvoir ne s'étaient pas précipités en reconnaissant le CNT comme seule institution représentant le peuple libyen, de livrer des armes à des “rebelles mal connus”, “combattants indisciplinés aux loyautés changeantes ?” En France, on se demande si Nicolas Sarkozy savait-on vraiment où il mettait les pieds ? Pour des élus, des experts en géopolitique et les opinions publiques de France, d'Angleterre et d'Amérique, pour ne citer que les pays les plus engagés dans la “croisade” en Libye, les leçons des désastres afghans et irakiens auraient dû être tirées. Politiquement, les engagements du CNT apparaissent sujets à caution. Combien de fois ses hiérarques, relayés par les chancelleries occidentales, n'ont-ils assuré que la chute de Kadhafi n'était pas “une question de mois, mais de semaines” ! Au début de ce mois, Bengazi avait exposé un scénario à la Stallone : les Berbères du Djebel Nefousa, auxquels la France a livré des armes, devaient prendre en tenaille Tripoli, avec l'aide des combattants de Misrata, qui, eux, attaqueraient la capitale par l'est. Et, à l'arrivée des forces de l'insurrection, la population de Tripoli se soulèverait et adieu Kadhafi ! Le tyran de Tripoli est toujours chez lui.