Les événements du 11 décembre 1960 sont la preuve irréfutable de l'attachement des Algériens à leur indépendance. Leur courage et leur détermination vont peser dans la phase de négociation commençant à Lucerne et se terminant, un an plus tard, à Evian. Toutefois, ces pourparlers sont arrivés bien tard. Le retour du général de Gaulle au pouvoir est intervenu, rappelons-nous, en juin 1958. En effet, à cette date, la politique du général fut dictée par l'impératif du succès militaire sur la rébellion. Sa première mesure fut la « paix des braves » qu'il offrit le 23 octobre 1958. Ce fut un appel pur et simple à une reddition des combattants de l'ALN (Armée de Libération nationale). Cette offre n'a pas eu l'effet escompté. Car, à ce moment-là, la guerre d'Algérie boucla sa quatrième année. Tout compte fait, ce refus des dirigeants de la révolution algérienne de déposer les armes incita le général de Gaulle à passer à l'offensive. Le plan Challe, lancé en septembre 1959, avait pour mission de réduire à néant les maquis de l'ALN. D'une façon générale, cette politique militaire a certes saigné les maquis, mais elle n'a pas réglé, pour autant, le problème. Car ce dernier est d'essence politique. Et l'équation ne peut être résolue qu'en tenant compte des attitudes des deux communautés partageant le sol algérien. Le peuple pied-noir, qui est là depuis plusieurs générations, ne veut pas que sa domination soit remise en cause. Il ne veut pas non plus être l'égal de l'Algérien. Pour ce dernier, son seul salut ne peut intervenir qu'en se libérant de cet asservissement. Comme les autres peuples, le peuple algérien veut vivre sans carcan, et surtout sans tutorat. Toutefois, au fil des mois, la politique du général évolue. Il parle de l'autodétermination en septembre 1959, mais dénie le droit au GPRA de représenter toute l'Algérie. Ainsi, de juin 1958, correspondant à l'investiture du général, à juin 1960, où le général appelle ouvertement les chefs de la rébellion à la négociation sur le principe de l'autodétermination, l'effort militaire allait crescendo. D'après certaines estimations, ces deux années ont fait plus de morts que les six autres réunies. Cela dit, bien que la politique du général ait changé, sur le plan du quadrillage militaire, les autorités coloniales ne lâchèrent pas du lest. Lorsque l'option militaire n'a pas jugulé la rébellion, le général de Gaulle lance alors un appel au GPRA en vue de trouver une issue à la crise. En tout cas, pour le GPRA, la négociation doit mener au recouvrement de la souveraineté de l'Algérie. Cette intransigeance incite de Gaulle à fabriquer ses propres interlocuteurs. En effet, bien qu'il parle d'une Algérie algérienne, de Gaulle souhaite que ce futur Etat soit étroitement lié à la France. Pour ce faire, il trouve des Algériens de service prompts à l'aider dans son entreprise. Ces Algériens créent alors le FAD (Front de l'Algérie démocratique). Son président n'est autre que le Cadi Belhadj Lamine. Ce parti, après le cessez-le-feu, participera, aux côtés de l'OAS, aux actes de barbarie. Cependant, c'est dans ces conditions que le général décide de se rendre en Algérie, du 9 au 11 décembre 1960. Pour organiser son voyage, Louis Joxe et Jean Morin y consacrent toute leur énergie. Pour rappel, le premier est chargé des affaires algériennes, un nouveau poste créé par le général de Gaulle. Quant au second, il remplace Paul Delouvrier comme gouverneur général. Ce dernier fut rappelé le 22 novembre 1960. Contrairement à Delouvrier, Jean Morin est un commis de l'Etat. Cet ancien préfet est prêt à accomplir le travail qu'on lui demande. En tout cas, à eux deux, ils tâchent de préparer au mieux le voyage présidentiel. Or, en cette fin de l'année 1960, l'autorité de la métropole doit tenir compte de l'hostilité des pieds-noirs à l'égard de la politique élyséenne. Par le passé, ces derniers ont toujours imposé leurs vues à Paris. C'est au grand lobby colonial qu'ils doivent faire face. En plus, ce dernier comporte en son sein des militants ultras. Avant le périple présidentiel, ils se sont assignés la mission d'abattre le général de Gaulle. Pour l'instant, leur but est de perturber le voyage présidentiel. Pour fédérer les diverses forces, le lobby colonial crée le FAF (Front de l'Algérie française). Ce groupement a des ramifications dans l'administration. Les connivences arrivent jusqu'au gouvernement général. Ainsi, dès l'annonce de la visite du général de Gaulle, le FAF se prépare. Il fait appel à l'ensemble de la communauté pied-noir afin de faire échouer la visite du président français. Dans les tracts, imprimés sur les ronéos du gouvernement général, il s'adresse aux pieds-noirs en ces termes : « La vie de la capitale doit s'arrêter. Interdiction aux véhicules civils de circuler. Interdiction d'ouvrir les magasins sous peine de les voir saccagés ». Mais, le général de Gaulle ne leur offre pas ce plaisir de se mesurer à lui. Il se rappelle surement de l'affaire de Guy Mollet, le 6 février 1956. Ce dernier s'est rendu en Algérie pour nommer le général Catroux, Gouverneur général. Il a dû céder pour éviter d'engager un bras de fer avec ce lobby colonial. Du coup, le général de Gaulle évite de se rendre à Alger où il est attendu de pied ferme. En revanche, plusieurs villes sont au programme. Il y a, entre autres, Ain Témouchent, Cherchell, Blida, Tizi Ouzou, Akbou, Téléghma et Batna. Dans ces villes, le discours présidentiel est ponctué par « Vive Ferhat Abbas, Vive De Gaulle, Algérie algérienne, Indépendance ». Dans ce dernier voyage du général en Algérie, l'accueil des pieds-noirs a été répulsif. Quant aux Algériens, ils lui ont réservé un accueil mitigé. Tant tôt ils applaudissent pour les formules en faveur de l'Algérie indépendante et ils le huent dans le cas contraire. Cependant, le 11 décembre, dernier jour de la visite présidentielle, les gaullistes ne veulent pas s'avouer vaincus. Leurs éléments dans les services spéciaux tentent alors d'encadrer une manifestation d'Algériens pour qu'ils manifestent leur soutien à De Gaulle. Quoi qu'il en soit, les Algériens acceptent de sortir. Mais, ils apportent leur soutien au GPRA. Ainsi, en dépit de l'épée de Damoclès suspendue au dessus de leurs têtes, ils bravent la mort pour que l'Algérie soit indépendante. Bien que la répression soit systématique quand il s'agit de mater les « indigènes », ces Algériens signifient à De Gaulle qu'ils veulent l'indépendance de leur pays. Ainsi, dés 9 heures du matin, les quartiers d'Alger grouillent de monde. De la Casbah à Belcourt, de Clos Salembier à Maison Carrée, les Algériens scandent des slogans tels que : « Vive Ferhat Abbas. Négociation. Indépendance, etc. » D'une façon générale, si pour les pays noirs, le rejet est total ; pour les Algériens, ils sont d'accord avec De Gaulle uniquement s'il traite avec le seul GPRA lors des futures négociations. Or, malgré l'hostilité des Français d'Algérie, les forces de l'ordre les ménagent. En revanche, ils éprouvent une délectation à mater les Algériens. Vers 15 heures, l'armée reçoit l'ordre de tirer sur la foule, si besoin se fait sentir, de son patron, le général Crepin. Du coup, pour la seule journée du 11 décembre, le bilan de perte en vie humaine est très lourd : 55 morts. Sur l'ensemble de la visite du général de Gaulle, 112 Algériens trouvent la mort. Alors que les pieds-noirs sont totalement hostiles et projettent même de tuer le général, il n'y a que 6 morts parmi les manifestants du FAF. Pour conclure, il va de soi que le général de Gaulle s'est fait une idée précise sur les attentes des Algériens. Il comprend notamment que le problème algérien ne peut connaitre son épilogue qu'en négociant avec le GPRA, seul représentant du peuple algérien. D'ailleurs, c'est après ces manifestations que l'épouvantail de la troisième force est abandonné. La reprise des contacts à Lucerne reprochera le GPRA et le gouvernement français. Bien qu'ils aient à transcender des écueils, un an après, l'accord de cessez-le-feu sera signé. L'Algérie est enfin indépendante.