En 1957, la guerre d'Algérie connait indubitablement son paroxysme en milieu urbain. C'est ce que les historiens nomment communément la bataille d'Alger. Bien que les dirigeants du FLN aient essayé, au début de la guerre, de faire d'Alger un lieu calme afin qu'ils puissent travailler sereinement, les actes de barbarie des ultras et la répression tous azimuts incitent les chefs du FLN à réagir. Car, malgré l'arrivée au pouvoir, en janvier 1956, de Guy Mollet, dont la promesse électorale a été de mettre un terme à la « guerre imbécile », le contre-pouvoir des ultras de la colonisation a été un frein à toute solution à la crise algérienne. Lors de sa visite en Algérie le 6 février 1956, les ultras lui ont réservé un accueil mouvementé. Suite à cette visite, il a été obligé de revoir ces choix. D'où le renforcement des effectifs militaires en Algérie. Ceux-ci passant de 200000 au double en six mois. Mais il y a plus grave encore. Les autorités ferment les yeux sur les exactions des ultras. Ainsi, le 10 août 1956, les ultras perpètrent un attentat d'une rare violence. Leur cible : la Casbah d'Alger. Pour avoir une idée de l'acte, les historiens Benjamin STORA et Renaud de Rochebrune, dans « la guerre d'Algérie vue par les Algériens », écrivent : « C'est le plus grand attentat terroriste sans cible définie, donc visant prioritairement et en grand nombre des civils « innocents », perpétrés sur le sol algérien pendant la guerre. » En effet, depuis le début de la guerre, jamais une bombe n'a visé exclusivement des civils. Cet acte revendiqué par « le comité antirépublicain des quarante », à sa tête André Achiary, ancien préfet de Guelma lors des événements de mai 1945, va causer la mort de 70 personnes, pour la plupart des enfants, des femmes et des vieillards. Cela dit, quoi que l'on puisse épiloguer sur les actes de violence des maquisards, cet acte ne répond à aucune violence de ce genre. En effet, bien que le FLN ait son propre réseau de bombes, le choix des cibles a toujours obéi à la règle suivante : pas d'attentat visant exclusivement les civils. « Et en tout cas pas d'explosifs risquant de provoquer un massacre dans la population européenne », écrivent les deux historiens. Mais après l'attentat de la rue de Thèbes, du 10 aout 1956, la stratégie du FLN va changer radicalement. Désormais, aucun Français d'Algérie ne doit se sentir en sécurité, fixent comme objectif les responsables du front. Cela dit, la violence engendre une autre violence. Celle des ultras –et c'est le moins que l'on puisse dire –est aussi aveugle. Mais que c'est-il passé ce jour-là à la Casbah ? En effet, en plus de la répression des différents services de sécurité, les maximalistes de la colonisation française en Algérie se mettent à l'œuvre. Bien que l'arsenal répressif ait été amplement renforcé, notamment avec l'arrivée de Guy Mollet à la tête de la présidence du Conseil, il n'en reste pas moins que les autorités coloniales font abstraction de la violence des ultras. En effet, l'acte du10 août 1956, revendiqué par le « comité antirépublicain des quarante », est perpétré à la Casbah. Ce jour-là, rue de Thèbes, les amis du futur dirigeant de l'OAS, André Achiary, ont frappé fort. Pour STORA et de Rochebrune : « On saura plus tard que c'est une bombe à retardement de grande puissance -30 kilos ? –prévue pour exploser à minuit qui a été préparée, selon ses propres dires [Achiary], par l'activiste, ancien des services secrets français, Philippe Castille ; et déposée par un représentant de commerce nommé Michel Fessoz. Elle a été convoyée jusqu'à la Casbah par ces deux ultras liés au « comité des quarante », qui entendent réaliser un coup d'éclat. » Le bilan est –c'est le moins que l'on puisse dire –est énorme. Plus de soixante civils trouvent la mort. Le nombre de blessés est, quant à lui, plus important encore. Bien que les autorités coloniales tentent de minimiser les pertes, l'effondrement de plusieurs maisons, au moment où les habitants de la Casbah dormaient, ne concorde pas avec les chiffres officiels. En tout cas, cela relève de l'impératif de la communication. On tente de minimiser les pertes afin que l'opinion internationale notamment ne s'indigne pas. Dans la réalité, les pertes de l'autre camp n'émeuvent pas trop. À peine si elles suscitent une compassion chez les plus humanistes des colonisateurs. D'une façon générale, bien que les ultras soient connus pour leur extrémisme, l'éventualité de perdre l'Algérie va réunir les vaillants républicains et ces ultras dans le même combat. Et pour cause : malgré l'identification des auteurs de l'attentat, la justice ne les inquiétera pas. Tout compte fait, un tel coup de main n'est pas pour déplaire aux autorités coloniales. Et à partir d'un argument fallacieux, les ultras se passent pour des justiciers cherchant à protéger les Français en général de la « barbarie » du FLN. « Un argument non seulement hypocrite mais mensonger. D'abord parce que les extrémistes européens, de plus en plus actifs au moins depuis mai 1956, n'avaient pas attendu ces représailles après l'exécution de Zabana et Ferradj pour se livrer à des attentats contre les musulmans supposés favorables au FLN qui relevaient du simple terrorisme et non du contre-terrorisme si les mots ont leur sens précis », notent les deux historiens à propos de la violence des ultras. Enfin, il va de soi que la violence ultra a précédé, sur ce domaine précis, celle du FLN. Ce dernier va venger à sa façon les victimes de la Casbah. Comme il l'a fait pour venger Zabana et Ferradj, les victimes de la rue de Thèbes seront à leur tour vengées. A leur tour, les autorités coloniales vont doubler de violence. Et ce jusqu'à ce que l'Algérie recouvre son indépendance. Toutefois, malgré l'indépendance, le peuple algérien devra faire face à une violence venant des siens. Ceux-ci cherchent tout bonnement à gouverner par la force. Ainsi, que ce soit sous la domination étrangère ou celle des différents régimes algériens, ce peuple n'en finit pas de subir la violence.