Ce qui étonne beaucoup, dans ce climat pré-électoral, est l'absence totale de lectures appropriées du boycott massif qui se prépare. Il n'est pas exagéré d'affirmer que jamais, depuis l'indépendance du pays, le peuple algérien ne s'est autant mobilisé contre des élections. Habituellement, il se contente de ne pas aller voter. Une sorte de pis aller. Une attitude de passivité, qui ne dérangeait pas vraiment le régime, puisque il y palliait en bourrant les urnes. Il y a même une consultation où il a mis un frein à ses habitudes, puisqu'il n'a pas daigné bourrer les urnes des dernières législatives, qui n'ont connu pourtant que 30% environ de participation, avec 10% de bulletins nuls. Ce qui a donné à l'Algérie l'occasion d'un autre record, un bien triste record, celui du parlement le moins représentatif du monde. Cette fois-ci, pour la première fois, force est de constater que d'un côté comme de l'autre, de celui du régime comme celui du peuple, il y a comme une frénésie. L'annonce d'un évènement majeur et déterminant. Le régime, aurait pourtant pu se contenter de bourrer les urnes, puisqu'il n'en est pas à sa première tentative. Et les Algériens auraient tout aussi bien pu s'abstenir de voter, sans en faire tout un plat. Or, c'est tout le contraire qui se produit. Le régime est dans tous ses états, jusqu'à en arriver à déclarer, par la voix du Chef de l'Etat lui-même, que ces élections sont aussi importantes que le déclenchement de la révolution algérienne. Le régime a rajouté 73 sièges à un parlement qui ne parvenait même pas à fonctionner avec ceux qu'il avait déjà. Il a agrée plus d'une vingtaine de partis, en seulement quelques jours. Il a déboursé des milliards de dollars en dépenses de tout genre, pour ratisser les populations. Il a réussi la gageure de « convaincre » le FFS de donner sa caution à ces élections, il a ordonné à ses muftis d'annoncer des fetwas pour décréter le boycott « haram », et il a déployé une myriade d'autres efforts, pour tenter d'éviter cette abstention massive qui pourrait sonner comme un glas, pour sa propre survie. Jamais auparavant, ce régime ne s'était donné autant de mal, ni donné des signes aussi évidents de panique, dont la meilleure illustration a été cette folle déclaration de Ksentini, un « défenseur » des Droits de l'Homme, au service exclusif du régime, qui a réclamé des sanctions exemplaires contre les abstentionnistes. C'est dire. Du côté du peuple, on ne se contente plus de ne pas aller voter. On se mobilise, on entre dans une dynamique, dans un début de logique insurrectionnelle, mais plus pacifique, plus active, et plus responsable que jamais. C'est réellement l'appel à la résistance. C'est « debout les morts ! » Les réseaux sociaux bouillonnent d'activisme, des vidéos sont publiées par centaines, des dessins humoristiques, des pamphlets, des articles de presse citoyenne, des montages photos tournant le vote en ridicule.Sur le terrain même du régime, sur les places des villes, des manifestations de jeunes s'ébranlent, ça et là, les panneaux d'affichage des élections sont arrachées, caricaturés, des jeunes brûlent leurs cartes d'électeurs, publiquement, dans les stades. Des initiatives politiques voient le jour, pour sceller l'union sacrée de la véritable opposition au régime. C'est une véritable veillée d'armes. En tout état de cause, nous assistons à la naissance d'un mouvement protestataire qui promet d'être massif, citoyen, et extrêmement mobilisateur. Nous sommes à la veille d'un immense bouleversement. Pour la première fois depuis l'indépendance du pays, les citoyens algériens refusent de faire de la figuration dans leur propre vie. Il n'y a que la presse algérienne, plongée dans une sorte d'anesthésie, qui occulte un évènement qui sera peut-être, comme l'a dit Bouteflika, aussi important que le 1er novembre 1954. DB