Bien que le terme « beggarine » qui figure dans le titre de mon article (La nouvelle bourgeoisie parasitaire ou le règne des beggarines.) ne soit pas de moi, mais de la rédaction de LQA, je l'assume entièrement. Je vais essayer d'expliquer pourquoi. Ce terme a pris tout récemment le sens péjoratif qui est le sien dans le langage populaire et, pour ma part, ayant quitté l'Algérie depuis 8 ans, je ne le connaissais pas avant de fréquenter LQA. Par ailleurs, je pense qu'il est surtout utilisé dans ce sens dans la région d'Alger seulement – je n'en suis pas sûr, toutefois. Qu'est-ce qu'un « beggâr » aujourd'hui et pourquoi est-il honni par les Algérois? Si j'ai bien interprété les écrits dans lesquels il figure que j'ai lus, les « beggarine » sont des individus d'origine rurale qui se sont enrichis très vite en spéculant dans l'achat et la vente des bestiaux. Ils se promènent avec des sachets en plastique pleins de billets de 1000 dinars et on les retrouve la nuit dans les bars et cabarets de la côte, entourés de prostituées et dépensant des fortunes en « tabrihâte », espérant par là se faire un nom et avoir droit à une place parmi le « beau monde » de la grande ville. Il faut aussi bien garder à l'esprit que la rivalité entre citadins et campagnards a toujours été très vive à Alger et ce depuis l'époque turque. Les Andalous – appelés Maures par les Français et se désignant eux-mêmes par le terme « h'dar » –, de même que les Kouloughli, se considéraient comme la noblesse et voyaient généralement les « barraniya » (c'est-à-dire les campagnards qui venaient à El-Djazâyer pour y travailler ou vendre leurs produits) comme appartenant à une classe inférieure. L'auteur du Miroir, par exemple, l'aristocrate Kouloughli Hamdân ben Othmân Khodja, parle dans son livre, publié en 1833, des habitants de la Mitidja en termes très méprisants. Voilà ce qu'il écrit notamment à la page 75 : « Les habitants du pays de la Mitidja ne sont pas favorisés de la nature; ils ont en partage la paresse, la lâcheté, la trahison, la haine et l'intrigue ». Et encore : « Lorsqu'on veut qualifier un individu du titre de fainéant, de misérable, l'on dit vulgairement : il est de la Mitidja ». Comment faut-il prendre ce genre de jugement? Certainement pas comme une vérité historique, mais comme l'opinion d'un aristocrate Kouloughli d'El Djazayer au début du 19ème siècle. Il nous renseigne toutefois sur la manière dont les habitants de la ville percevaient les campagnards de la Mitidja. Il y a lieu aussi de relativiser les choses et de noter que cette rivalité existe dans tous les pays du monde. En général, ce n'est pas le vrai campagnard que le citadin raille, c'est plutôt le campagnard qui veut par tous les moyens ressembler aux citadins alors qu'il n'en est pas un. C'est l'arriviste, le nouveau riche, qui a honte de son origine paysanne et qui veut à tout prix faire oublier d'où il vient. Le terme « beggâr » n'a donc plus le sens originel qui était le sien et il faut le prendre dans le sens qu'il a aujourd'hui. Il désigne une catégorie bien précise d'Algériens et pas les éleveurs honnêtes qui sont fiers de leur condition. De plus, je ne sais pas si c'est par ce terme qu'on désigne les éleveurs dans notre pays. En tout cas, pour ma part, je ne crois pas l'avoir rencontré dans le langage populaire avant les années 2000. Il me semble que la sonorité du mot « beggâr » lui-même prête à rire et je ne pense pas qu'il fut utilisé par le passé pour désigner l'éleveur. Dans la région Centre, d'où je suis originaire, on dit plutôt « ellî irabbî el mâl ».