Intox ou demi-vérités ? La guéguerre entre le clan présidentiel et le puissant DRS cacherait des manœuvres plus nuancées en vue de la présidentielle de 2014. Décryptage. Faut-il sauver le soldat Toufik ? «Ceux qui le connaissent bien devinent qu'il continuera à jouer ses parties de foot à Beni Messous, tranquillement», lance un habitué de la «maison» DRS, le Département du renseignement et de la sécurité. Depuis le début de cette semaine, des informations distillées par des médias proches du clan présidentiel détaillent le «démantèlement» de l'appareil DRS, le rattachement de plusieurs de ses services à l'état-major sous l'égide du général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, 80 ans, et «l'affaiblissement» notoire de la position du général Mohamed Lamine Mediène, 74 ans, alias Toufik, en poste depuis septembre 1990. «Parler de changements et de bouleversements reflète une profonde ignorance du fonctionnement et de l'organigramme de l'ANP, souligne un général-major à la retraite. Tout au plus, il ne s'agit que de mettre en écrit une situation déjà préexistante, avec effet d'annonce pour des objectifs politiques et tactiques.» Mais de quoi parle-t-on exactement et qu'est-ce qui a provoqué cette tempête politico-médiatique sonnant le glas du pouvoir de l'énigmatique Toufik ? «Démantèlement» Du transfert vers l'état-major de l'ANP du Centre de communication et de diffusion du DRS, le CDD, installé à la caserne Belaroussi, à Ben Aknoun, sur les hauteurs d'Alger. Il serait également question du transfert vers l'état-major de la Direction centrale de la sécurité de l'armée (DCSA), dirigée par le général Mhenna Djebbar et de la Direction de la police judiciaire du DRS, celle chargée entre autres des grandes enquêtes Sonatrach, autoroute Est-Ouest, Sonelgaz, etc. Rien que ça. «Tout d'abord, précise une source militaire, il faut rappeler que le DRS n'est qu'une arme de l'ANP, à l'instar de l'aviation, l'infanterie, la marine ou la gendarmerie. Cela veut dire que ce département, qui chapeaute plusieurs directions, est logiquement sous la coupe de l'état-major.» Autre précision : «La DCSA, chargée de la sécurité du personnel et des structures militaires et habilitée à faire des enquêtes internes à l'armée (sorte de police militaire), œuvre à l'intérieur même des casernes et des unités de l'ANP. Elle est donc rattachée organiquement à l'état-major, même si son personnel est issu du DRS», indique l'ancien officier supérieur. Ceux qui ont fait l'armée se souviennent sûrement de ces officiers qui font trembler jusqu'aux hauts gradés avec leur brassard rouge ou orange, chargés de tout surveiller en interne : les agents de la DCSA. «Comment transférer à l'état-major une direction qui lui est déjà rattachée ?», s'interroge l'ancien général-major. Concernant le CCD, chargé de surveiller les médias, le transfert ne serait que partiel. Le service, dont la mission consiste à éplucher le contenu des médias nationaux et internationaux, resterait rattaché au DRS. Le service dont les agents élaborent les enquêtes d'habilitation sécuritaire des correspondants de médias étrangers en Algérie passeraient chez l'état-major. Dernier cas, celui de la très crainte Direction centrale de la police judiciaire du DRS, fer de lance des enquêtes Sonatrach. La nouvelle affectation ne concernerait que les officiers et auxiliaires de police judiciaire de la DCSA, et non pas cette direction dans sa globalité, ce qui a créé une certaine confusion (entretenue sciemment ?). De là à imaginer, comme ironise un cadre du ministère de la Défense, que le DRS se transforme en «centre d'archivages», c'est aller un peu trop vite en besogne. «Même si aujourd'hui, ils ne sont plus habilités à enquêter sur les civils, concrètement, ça ne change rien, souligne un cadre des services. Car dans les faits, ils ne mènent plus ce genre d'investigations depuis les années 1990.» Un officier supérieur appuie : «Par ailleurs, les officiers de la police judiciaire du DRS, qui sont quelques-uns à avoir cette qualité, travaillent très normalement avec la justice, qu'elle soit militaire ou civile.» Alors ces grandes annonces de «démantèlement» du DRS par le clan présidentiel seraient-elles du bluff ? Un coup de poker menteur ? Une grosse manœuvre d'intimidation à quelques jours d'un remaniement du gouvernement ? «Pire que cela, note un ancien haut fonctionnaire, on fait croire que le Directeur du renseignement et de la sécurité est affaibli, contraint d'accepter le retour flamboyant d'un président qui jette déjà les bases d'un quatrième mandat. En fait, cela ne reflète qu'une entente entre les deux pôles en vue de la présidentielle de 2014». «Qui pourrait croire que le DRS fléchit devant le frère cadet du Président ?», renchérit un officier. Entente «Deux objectifs se dessinent derrière cette manœuvre : d'abord remettre le Président en selle (à moyen terme), mais surtout rassembler autour du DRS les quinquas de l'ANP et tous les cadres opposés à l'actuel chef d'état-major, afin de mieux peser plus tard pour désigner au moins le vice-président ou, au pire, barrer la route au quatrième mandat s'il y a urgence en la demeure», poursuit l'ancien haut fonctionnaire. «Le général Toufik partant ? C'est une hypothèse, mais entre-temps, il peut jouer le rôle d'un trou noir cosmique : si les plans du clan présidentiel le contrarient, lui et une partie de l'armée, il aura les moyens de faire le vide autour de l'option Bouteflika», affirme notre source, poursuivant : «Et cela a déjà commencé avec ce gouvernement ‘‘suicidaire'', indécemment marqué par l'appartenance régionale, à tel point que l'on croirait que c'est l'APW de Tlemcen qui a été désignée et non le gouvernement de la République.» Ce qui, paradoxalement, affaiblit de plus en plus le Président et ses proches. S'il y a entente, pour le moment, et aussi fragile qu'elle le soit, elle sert, selon notre source, le clan présidentiel. «Regardez comment les services concoctent à Bouteflika cette histoire de médiation entre dirigeants tunisiens pour réapparaître moins comateux : car ce n'est ni le cabinet de la Présidence ni Saïd qui pourraient organiser une telle opération», souligne notre source. Un plan Toufik ? D'autres sources avancent des pistes différentes. On se souvient des coups de théâtre de 2004, quand Toufik a pu «se débarrasser de tous ses détracteurs au sein du commandement de l'armée en jouant une fausse neutralité dans le duel Bouteflika-Benflis». «Aujourd'hui, il peut être tenté d'adopter la posture de l'homme isolé afin de démasquer ses ennermis au sein de l'armée, mais aussi, tout près de lui, au DRS même», avance-t-on. «Il y a un consensus chez les décideurs : ne jamais perdre le pouvoir ni les ressources de la rente. C'est un principe, une doxa, analyse l'ancien haut cadre de la nation. Cette règle a été piétinée par le clan présidentiel qui a tenté de monter sa puissance financière contre la puissance du DRS et une partie de l'armée.» Le gentleman agreement tacite entre les deux parties tiendra-t-il ? «Pour le moment, le DRS laissera faire, encouragera la politique du pire, favorisera le pourrissement de la situation pour aller jusqu'aux émeutes s'il le faut. La Banque d'Algérie, qui a peur de sa propre ombre, n'a-t-elle pas auguré d'une crise économique à l'horizon ? Des ‘‘experts'' ne demandent-ils pas de revoir les prix de consommation à la hausse ? Il y a une ambiance de coup de chien en préparation, lâche-t-il. C'est la première fois depuis des années que je sens un tel manque de sérénité dans les hautes sphères. Alors que nous sommes dans une conjoncture régionale et mondiale très difficile, notre apparente stabilité n'est plus un atout. On va droit dans le mur.»