Le chef du FLN : « La place de l'armée est dans les casernes »... Guerre des clans ou déclin des « services » algériens ? La sortie de ce proche du président Bouteflika surprend à Alger BAUDOUIN LOOS, Le Soir (Bruxelles) , 5 février 2014 Que se passe-t-il en Algérie? Alors que l'élection présidentielle est programmée pour le 17 avril, le pays reste suspendu à l'annonce de son président Abdelaziz Bouteflika sur son intention de briguer (ou non) un quatrième mandat malgré une santé des plus chancelantes. Les observateurs ont noté non sans surprise la «sortie» le 3 février du chef du parti présidentiel, l'historique Front de libération nationale (FLN), Amar Saïdani, qui s'en est pris avec violence dans le journal en ligne Tout sur l'Algérie au général Mohamed Médiène, dit «Toufik», responsable du DRS (Département du renseignement et de la sécurité) au sein de l'armée. Le DRS est considéré comme le vrai centre du pouvoir en Algérie, pendant que les civils cooptés par l'armée expédient les affaires courantes dans les institutions officielles. Or la charge de Saïdani contre Toufik est simplement sans précédent. Le DRS a, dit-il notamment, «failli dans la protection et la sécurité du président Mohamed Boudiaf (président assassiné en 1992, NDLR). Il n'a pas su protéger Abdelhak Benhamouda (syndicaliste assassiné en 1997), ni les moines de Tibéhirine (assassinés en 1996), ni les bases de pétrole dans le Sud (attaquées en janvier 2013) (...). A mon avis, Toufik aurait dû démissionner après ces échecs». Et de taper sur le clou: «La place des militaires est dans la caserne. Que fait un colonel au Sénat? De quel droit assiste-il aux réunions du Comité central d'un parti? La présence de la sécurité intérieure dans les institutions n'est pas justifiée»... Pour certains, les accusations brutales lâchées par un proche de Bouteflika contre le DRS confirment que l'aura de ce service considéré comme tout-puissant parmi les «décideurs» algériens est en berne. «Je ne pense pas que Saïdani aurait pris cette initiative sans feu vert du clan ‘Boutef', nous dit le journaliste algérien Akram Belkaïd. Cela m'inquiète car ce genre de sortie risque d'exacerber les tensions et de déboucher sur de la violence. C'est tout de même une première... Mais, dans le fond, il pose des questions légitimes.» Le DRS étant souvent considéré comme omnipotent, il n'est guère surprenant qu'une certaine presse se fût précipitée à sa rescousse. Ainsi en est-il du quotidien Le Jeune Indépendant, qui vilipende Saïdani ce lundi sous le titre se voulant haineux «Un homo provoque un homme!»: «Le secrétaire général du FLN, le parti au pouvoir, écrit le journal, continue de mettre la pression sur DRS, l'une des institutions militaires du pays, garante de l'unité et de la stabilité du pays, pensant l'affaiblir pour permettre à son mentor, le président Bouteflika, d'aller tranquillement vers un quatrième mandat sans heurts ni dégâts. Tels sont les véritables calculs qui se cachent derrière les jacasseries hypocrites de Saïdani»... Alors, s'agit-il d'un épisode juste un peu plus pimenté que d'ordinaire de la lutte d'influence entre clans au sommet? Tout le monde ne croit en tout cas pas que l'équilibre du pouvoir (occulte) qui règne sur l'Algérie depuis des décennies serait en péril. Car s'en prendre impunément au DRS est... suspect. «Je crois que nous assistons encore une fois à des manœuvres visant à faire passer dans les meilleures conditions (pour les décideurs) cette autre étape dans la vie du régime illégitime qui dirige l'Algérie»: l'Algérien qui s'exprime ainsi au Soir s'appelle Samir Hchicha, il blogue depuis Paris. «Je suis de ceux, poursuit-il, qui ne croient en rien toute la communication qui vient des hautes instances du régime algérien. Cette ‘attaque' frontale du secrétaire général du FLN contre le chef du DRS rentre donc, à mon avis, dans un schéma qui vise au mieux à faire passer Saïdani (et son groupe) comme des ‘opposants' aux vrais décideurs. En réalité, le régime algérien est une oligarchie militaro-financière (ou mafieuse), et ce genre de déclarations n'a aucun sens réel dans la mesure où le régime existe et perdure autrement que par ces ‘guéguerres médiatiques' qui sont destinées à la consommation des opinions publiques interne et internationale.» Selon certains analystes, en effet, l'armée, incapable de s'entendre sur un successeur à Bouteflika, aurait opté faute de mieux pour un nouveau mandat de ce dernier. Ce qui revient à reculer pour mieux sauter: vu l'état de santé du «raïs», la question de sa succession se reposera de toute manière très vite. BAUDOUIN LOOS Le Soir (Bruxelles) du mercredi 5 février 2014.