L'Algérie a ceci de fascinant qu'au-delà de son double appartenance au continent Africain et à l'aire culturelle arabo musulmane, elle offre le visage d'une infinie diversité : paysages et climats, cultures et langues, religions et coutumes, tout est foisonnement, pluralisme et métissage, hérités de plusieurs civilisations. De cette diversité, elle tire sa richesse et fait naître l'envoûtement que tout étranger ressent à son contact, au regard de ses richesses tant humaines que naturelles. Mais la liste des méfaits commis durant ces cinquante dernières années par l'oligarchie, la plupart du temps au nom d'une prétendue lutte contre le « péril impérialiste », « les menaces de la main de l'étranger » et des nécessités impérieuses dictées par la « défense de la liberté » contre la menace islamiste et terroriste, a lamentablement terni l'image de marque de cette Algérie réputée jadis dans son espace régional pour ses valeurs de tolérance. Sa conduite irresponsable , alors jusqu'ici sans le moindre adversaire (hormis son ignorance), nous a placés sur le banc des peuples infréquentables. Outre qu'aucun travail de recherche ne pourra jamais en établir la dimension réelle de ces méfaits, mais tout le monde a peur de regarder ce pays handicapé par l'arrogance des caporaux incultes. Tout ce qu'un régime autoritaire peut perpétrer comme crimes contre l'humanité et comme violations des libertés fondamentales l'a été en Algérie, au cours de ces années d'indépendance. Du génocide culturel et intellectuel à la purge de la citoyenneté en passant par la généralisation de la corruption et du pillage, on aura tout vu. Si bien que ce qui s'est passé au Rwanda, au Zaïre, au Burundi et aux Balkans passerait pour une simple bavure comparé au calvaire vécu par les algériennes et les algériens au cours de ces dernières années. L'oligarchie est le régime, le système. L'Algérie est malade d'elle, qui détient la totalité du pouvoir au nom du 1er novembre 1954. Les populations, ayant vécu souvent sous la colonisation dans la plus extrême pauvreté, ont pu croire en des lendemains meilleurs et accorder leur soutien aux membres de l'ALN, jetant par là même l'opprobre sur des militants politiques authentiquement patriotes et démocrates et donnant temporairement un semblant de sens aux discours des dictateurs ignorants qui prétendent à ce jour encore défendre notre liberté, notre citoyenneté et notre dignité en tant qu'individu et peuple. Mais l'obstination de nos élites qui refusent d'offrir une issue de sortie honorable aux caporaux par la construction d'une véritable réconciliation politique est encore plus criminelle que celle du régime en place. Bien sur, il s'agira d'une vraie réconciliation qui permettrait au peuple de reconstruire son imaginaire collectif et d'expurger les angoisses qui hantent sa mémoire collective et non d'une amnésie nationale comme imposée par Bouteflika pour consacrer l'impunité. Beaucoup de militaires sont coupables de crimes, alors que d'autres par leur silence se sont rendus complices du désordre, de l'injustice et de l'arbitraire. Prés de 14 % de la population adulte ont collaboré avec les « services » pour protéger le pays on ne sait contre quelle menace, provoquant du coup un véritable climat de suspicion ou la paranoïa et la schizophrénie collectives empêchent à ce jour de faire la distinction entre la victime et le bourreau. L'administration est tout aussi coupable que l'oligarchie. Peut-on refonder la nation algérienne par le seul départ de Bouteflika, l'anarchie, les règlements de compte, l'excommunication de bataillons de cadres, le rapiéçage d'un régime qui touche désormais à sa fin biologique, ou par la raison et un dialogue national qui vont décrisper les tensions et faciliter la transition démocratique en Algérie ? Telle est la question qui aurait pu être soulevée par Addi Lahouari, le colonel Med Samraoui, Salima Mellah, Hachmaoui, l'opposition et une partie de la presse au lendemain des déclarations d'Amar Saadani contre les responsables du DRS, accusés à juste titre d'être les principaux responsables de la dérive du pays. Il ne faut plus regarder Bouteflika et les autres feuillages du mal, mais il faut regarder les racines et leur prodiguer un fort désherbant. Le pays souffre d'un système et non d'un problème de personne. Vouloir le ramener à des combats d'arrière garde, c'est faire preuve de malhonnêteté politique et intellectuelle. L'Algérie est à la croisée des chemins ; les dirigeants militaires qui ont géré seuls jusqu'ici les destinées du pays, ont peur de l'avenir sombre et incertain qui se dessine tout autour d'eux , ont peur pour leur propre avenir et celui de leurs familles. Ils veulent passer le témoin, mais ils ne savent pas comment s'y prendre. Ils attendent un signal de la société civile, des assurances pour la fin pacifique de leur règne autoritaire. A la limite, ils préfèrent l'exemple de la Tunisie à celui de la Syrie. Il reste maintenant à savoir si la classe politique saura dépasser ses divergences, se rassembler et faire des propositions concrètes aux dirigeants militaires...