En 1994, l'Afrique du Sud connaissait ses premières élections démocratiques. Seize ans et quatre élections générales plus tard, le pays semble avoir réussi son pari d'une Afrique du Sud démocratique. Les fortes tensions qui subsistaient au sortir du régime d'apartheid ne laissaient en rien présager une transition démocratique et pacifique. La volonté des parties présentes aux négociations de parvenir à un compromis optimum et la confiance dans un Etat de droit ont guidé le pays dans ses choix. L'Afrique du Sud a choisi d'encadrer les moindres détails de sa transition et de sa transformation par le droit. En effet, en faisant appel autant à des éléments caractéristiques des transitions démocratiques, comme le constitutionnalisme, qu'à des instruments plus spécifiques, tels qu'une Commission vérité et des politiques égalitaires, la République Sud-Africaine a démontré l'importance que peut revêtir le droit dans la reconstruction de l'Etat. Cette dernière est principalement inscrite dans deux constitutions, « intérimaire » et « définitive ». Celles-ci ont non seulement permis le passage du régime d'apartheid vers un régime démocratique, mais elles ont également inscrit les bases d'une justice transitionnelle inédite, au travers d'une Commission vérité et réconciliation d'un genre nouveau. Elles ont également amorcé une politique de réparation, aux visées égalitaires, et inscrite dans un projet global de reconstruction de l'Etat. Les choix faits par l'Afrique du Sud en matière de transition et de reconstruction de l'Etat peuvent être source d'inspiration pour nombre d'Etats en transition. Et en premier lieu, l'Algérie. Est-ce que cette expérience qu'ont vécu d'autres pays à l'instar du Chili, de l'Argentine, le Rwanda ou encore l'ex RDA n'est pas possible en Algérie ? Il faut établir les distinctions entre le changement social, la modernisation de la société, la libéralisation et, enfin, la démocratisation ou la transition démocratique – un processus dont l'étude nécessite un cadre épistémologique. Pour beaucoup d'observateurs avisés, « l'Amérique latine, notamment, est un grand laboratoire pour étudier les cas de transitions et pour en élaborer une théorie ». Deux théories traversent la transitologie : la théorie de la conditionnalité démocratique et la théorie de l'autonomie du champ politique. La première repose sur trois variables : une variable économique : c'est la prospérité (tous les pays riches sont démocratiques à l'exception des pays du Golfe dont la prospérité provient de la rente pétrolière ; tous les pays pauvres ne sont pas démocratiques à l'exception de l'Inde) ; une variable sociale (pas de démocratie sans bourgeoisie ; pas de démocratie sans une classe moyenne importante et une société civile forte) ; une variable culturelle (pas de démocratie avec une culture d'allégeance, de ruse et de faux semblants, pas de démocratie sans une culture civile). Dans la 2ème théorie, celle de l'autonomie du champ politique, toutes les conditions précédemment invoquées s'estompent à condition que les Politiques acceptent la négociation et les concessions en partant du constat que le pouvoir n'a plus la capacité de se maintenir et que l'opposition n'a pas la capacité de le chasser. La réalisation de l'autonomie du champ politique exige l'absence de graves violences entre les acteurs politiques, ainsi que le règlement de quelques problèmes (le cas des personnes coupables de crimes, d'actes de torture, d'impostures et celui des personnes coupables de corruption, par exemple...) afin de rendre possible le pacte de transition démocratique... L'Algérie n'a pas vécu et connu le même cheminement politique que la Tunisie. En effet, par sa politique, l'Algérie est plus proche de Pol Pot que de la Tunisie. Au mieux, l'expérience tunisienne nous instruit sur les probabilités de réussite des démocratisations. Comment réussir une transition démocratique sans devoir de vérité, avec une impunité à tous les niveaux de la société, avec des relais tyranniques et obscurs qui ne cessent de grossir et de prospérer chaque jour? Aucune justice ne sera à la hauteur de l'immensité des crimes moraux, politiques, culturels et intellectuels commis au cours de ce demi siècle d'indépendance, alors que les populations doivent retrouver le goût et les moyens de vivre ensemble. Il leur faudra encore s'entendre sur le sens de cette nouvelle transition démocratique. Oui au dialogue avec le régime milicien, oui à la transition, oui à la réconciliation (c'est même un passage obligé), mais dans un climat transparent autour de la condition du devoir de vérité et de mémoire. Si no, no ! comme disent les Cortés dans leur Assemblée.