Par Saad Ziane, Libre Algérie, 10 mai 2016 On aurait pu le faire, quitte à se forcer un peu, s'il avait fait preuve de zèle dans la mise en place d'un vrai système national de l'information avec une vraie régulation et une vision réellement nationale des enjeux. Sauf que ce n'est pas le cas. Hamid Grine était (est encore) en mission commandée par un clan du pouvoir pour mettre au pas les journaux proches d'autres clans du pouvoir. Rien de bien nouveau, (ni de passionnant) dans l'Algérie des clans du pouvoir. Avoir été chef de la communication de Djezzy – et donc distributeur de pub – lui a fait connaître la faiblesse des journaux et la capacité de l'argent à les faire marcher dans le "bon sens". Djezzy, de Sawiris à Vimplecom, malgré une bataille opaque sur le droit de préemption de l'Etat Algérien a eu très largement droit à une très bonne presse. Hamid Grine avait la preuve que la pub fait marcher droit. Devenu ministre du gouvernement, il n'a rien fait d'autre que ce qu'il faisait à Djezzy. Il a œuvré, non sans "réussite", à gérer la pub. Celle du secteur public, bien évidemment, la plus importante. Mais aussi, disent ses détracteurs, celle du privé. Occupé à mettre "au pas", le ministre (et avec lui le gouvernement) ont laissé le champ libre à des médias "amis" dont les pratiques n'ont rien de déontologiques se faire des sicaires médiatiques sur fond d'instrumentalisation cynique d'un discours bigot d'un autre âge. Voilà donc la «tache nationale » dont s'est chargé M.Grine sur fond de discours creux sur la déontologie, sur des dénonciations à sens unique voire même en se faisant, sans conviction aucune, le porte-parole des journalistes mal-payés, non déclarés. Des constats vrais – qui ont cours dans les médias amis de M.Grine – mais qui sont purement et simplement instrumentalisés. Que se passe-t-il pendant que le ministre menait sa grande bataille ? Une simple photo balancée sur twitter est venue montrer à quel point ce régime est sensible à la moindre chiquenaude des médias internationaux. Le Monde fait une "Une" déplacée et voilà que cela donne des vapeurs à la République. Les community managers de Manuel Valls publient une photo montrant le président dans un mauvais jour et voilà que dans les arcanes du pouvoir on y décèle un message, une menace, un "printemps arabe". Les guerres de Grine et de ses mandants sont celles d'un clan pas celles de l'Algérie. M.Grine et ses mandants ont fait les "malins" avec la loi en laissant se mettre en place un paysage audiovisuel offshore et en osant le présenter comme un signe de pluralisme des médias ! En réalité, ce n'est qu'une illustration de plus d'une perte du sens de l'Etat et de l'intérêt public. L'Etat, on ne le redira jamais assez, c'est la LOI, ce n'est pas son contournement par des subterfuges destinés à donner à des "amis" une avance sur les autres. Et quand on contourne la loi – toutes les TV privées sont de droits étrangers, voilà un paradoxe prodigieux pour un système qui ne cesse de parler de nationalisme et de menace extérieure ! – on ruine encore un peu plus l'Etat. Les subterfuges orchestrés par ceux qui sont censés incarner l'Etat ont un coût : l'informel s'étend à des médias où les ministres passent tenir causette ! Il y avait pourtant du boulot pour M.Grine: mettre à niveau la presse, réfléchir au fait que l'Algérie ne pèse rien – absolument rien – dans les autoroutes de l'information à l'ère du numérique et que les Algériens consomment l'essentiel de leurs informations de l'extérieur ; se soucier sérieusement de la formation des journalistes, sortir les médias publics de l'assujettissement totalement contre productif au pouvoir, rétablir sérieusement un service public qui aurait pu être un vrai contrepoids à la monte de l'argent. A l'évidence, c'est trop demander à un chargé de pub. Ce n'est pas ce que lui demandaient ceux qui l'ont fait ministre. Il fait son «job ». Ce n'est pas le nôtre. Pourquoi diantre ? Parce que ce serait un "capitaine d'industrie" ? Une sorte d'OVNI qui a pu devenir le premier groupe privé en Algérie sans l'aide de personne ? Dans la Rebrab-mania qui occupe une partie des médias (et de la classe politique), il y a comme une grosse couleuvre que l'on veut faire passer mine de rien. M.Rebrab qui, comme M.Jourdain pour la prose, fait de la politique sans "en avoir l'air" n'est pas un OVNI, ce n'est pas un conte de fée même si un illustre professeur s'est laissé aller à lui faire une biographie hagiographique. M.Rebrab est né en Algérie. Comme d'autres privés Algériens aux dimensions plus petites et qui dépendent souvent de la commande publique. En Algérie, on peut, moyennant des accommodements raisonnables avec les contraintes du système avoir une entreprise privée qui marche. Ce qui est exclu par contre dans le système algérien, c'est de pouvoir prendre une dimension aussi importante que ne l'est le groupe Cevital sans être en accord avec le pouvoir, sans être, d'une manière ou d'une autre, dans le pouvoir. Aucun illustre professeur ne pourra faire croire qu'on peut y échapper. M.Issad Rebrab a des qualités mais ce n'est pas une insulte que de dire qu'il est totalement né dans la matrice et qu'il a grandi en son sein. Est-il un capitaliste qui, en s'internationalisant, s'émancipe du pouvoir ? Voilà une question qui peut intéresser des politologues et des journalistes d'investigation. Il n'en reste pas moins qu'on peut être légitimement circonspect – même dans le cas où cela ne souffrirait pas d'illégalité – de voir un riche entrepreneur prendre le contrôle d'un des plus grands groupes de presse du pays. On est même plutôt étonné de voir des gens prétendument de gauche l'approuver sans sourciller. Il est vrai que les motivations de Grine et de ses chefs sont douteuses, mais est-ce pour autant une raison de donner le bon Dieu sans confessions, ni conditions, ni réflexion à M.Rebrab. Il y a un niveau politique à ne pas occulter. Issad Rebrab fait partie d'un pôle du régime – ou un clan pour utiliser le terme en vigueur – et quand il met un pactole aussi important dans l'achat d'El Khabar, cela n'est pas une simple opération commerciale. On est aussi dans une démarche, celle d'un pôle qui se prépare, lui aussi, à la "bataille de la succession" au sein du régime ; ou pour rester dans les "us et coutumes" du régime dans la bataille de la cooptation de la future apparence présidentielle. Et quand Grine saisit la justice pour s'opposer à la transaction, ce n'est pas le souci du pluralisme qui l'anime. Mais celui de son clan. On est donc sur un terrain "habituel", celui des combats douteux que l'on habille des grands mots comme la démocratie, la liberté d'expression. Et que l'on nous somme de soutenir. On est pour Grine ou pour Rebrab ? Voilà le cul-de-sac dans lequel on tente d'enfermer les esprits ! Oui, les travailleurs d'El Khabar qui manifestent pour leur avenir ont droit à notre soutien. Ils s'inquiètent de manière légitime pour leurs emplois et voient dans l'action en justice diligentée par le gouvernement une menace pour l'existence de l'entreprise. Ces craintes ne sont pas infondées. Mais les travailleurs d'El Khabar ne sont pas les actionnaires d'El Khabar qui ont choisi de céder leurs parts à Rebrab. Ces actionnaires parlent peu (c'est le clan adverse qui a publié les détails de la transaction qui fait du patron Cevital détenteur de plus de 95% des actions du groupe El Khabar) mais on peut deviner leurs arguments. Grine et le gouvernement ont si "bien" joué du levier de la publicité – qui s'est d'ailleurs fortement déplacé vers les TV "offshore" amies – que le chiffre d'affaires du groupe a reculé. Vendre les actions à un homme d'affaires parait, du point de vue individuel, comme une démarche rationnelle. Face à un pouvoir qui met en œuvre sa redoutable machine, un détenteur de capitaux comme Rebrab a les moyens de tenir et même d'entretenir "son" groupe. Mais l'analyse ne peut se limiter à la rationalité des "actionnaires" et à l'aspect "purement commercial". Les actionnaires d'El Khabar sont des journalistes qui ont engagé et réussi une "aventure intellectuelle". Ils ont un média influent. Leur geste clôt symboliquement l'idée généreuse lancée dans la foulée des réformes de journaux faits par les journalistes et propriétés des journalistes. C'est un tournant majeur ! Dans la profession beaucoup pensent (sans l'écrire) qu'El Khabar était le moins démuni et qu'il pouvait continuer à résister à Grine sans tomber dans les bras de Rebrab. C'est aussi notre conviction. Les actionnaires d'El Khabar ont fait un choix qui peut s'expliquer. Mais que nous ne sommes pas forcés d'approuver. Car, ce qui s'est enclenché est l'enfermement de la presse entre l'alignement servile au clan (momentanément) dominant au sein du pouvoir ou à l'argent qui, lui aussi, est dans le pouvoir.