Le coup de gueule de l'ex-patron de la police a fait tache d'huile. Il accuse, met en garde et menace de divulguer des informations sur le dossier. Lâché et isolé, Abdelghani Hamel s'en prend à ses détracteurs. Une aubaine pour les avocats de Kamel Chikhi qui pourraient demander au juge son audition... La déclaration du désormais ex-chef de la police, Abdelghani Hamel, concernant l'enquête préliminaire sur l'affaire de cocaïne a fait l'effet d'une bombe. En s'attaquant, avec virulence, à l'enquête préliminaire effectuée par les gendarmes et en menaçant de remettre à la justice des dossiers concernant cette affaire, en disant que celui qui enquête sur la corruption «doit être propre», Hamel visait d'un seul coup trois de ses détracteurs. D'abord ses deux anciens collègues à la gendarmerie, le général Ghali Beleksir, promu en une année (novembre 2016-octobre 2017) du poste de chef du groupement régional de Blida à celui de chef du commandement de l'état-major de la Gendarmerie nationale et qui suit de près l'enquête sur la cocaïne, et le général-major Menad Nouba, le patron de la gendarmerie, qu'il connaît «sous toutes ses coutures», disent certains, surtout qu'ils habitent tous les deux Oran, où leurs enfants pratiquent des activités commerciales, mais aussi le chef de l'état-major de l'Anp et vice-ministre de la Défense, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, qui ne cesse de réfréner ses «ambitions politiques», à tort ou à raison. Les messages de Abdelghani Hamel n'ont à aucun moment été codés et leurs destinataires sont bien identifiés. Il parlait en prenant soin d'être bien compris des journalistes et de l'opinion publique. Il évoque «de graves dépassements» et «des ingérences» dans l'enquête préliminaire, parce qu'il suit de très près cette affaire de cocaïne et il savait qu'il était dans le viseur de ses détracteurs, notamment depuis la mise en cause de son frère, Belkheir Hamel, directeur régional des Douanes de Annaba, dans une affaire de trafic de conteneurs etune autre de transfert illicite de devises, accusations qui lui ont valu le retrait de son passeport, avant d'être réhabilité puis nommé au même poste à Tlemcen, où se trouve sa ville natale et installé jeudi dernier officiellement. Mais l'arrestation de son chauffeur, les rumeurs persistantes sur les présumées implications de son fils ont dû susciter la crainte de se voir entraîné malgré lui dans un scandale où de nombreuses personnalités et leurs enfants ont été citée mais qui jusque-là n'ont pas été entendus. Mieux encore. Hamel sait par ses réseaux que les enquêteurs ont été instruits par leur hiérarchie, pour mettre la pression, dans leurs interrogatoires, sur son chauffeur, et Kamel Chikhi, le principal prévenu dans le dossier, afin qu'ils «crachent le morceau». Ce qu'il considère comme étant des «dépassements» et surtout une «ingérence». Pour lui, la mise sous mandat de dépôt du fils de l'ancien Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, est révélatrice d'une forte alliance entre le général Beleksir, chef de l'état-major de la gendarmerie (dont l'épouse est une présidente de cour), et le ministre de la Justice, Tayeb Louh. Dès son retour de voyage, il commence par rendre public un communiqué dans lequel il présente son chauffeur personnel, un ancien gendarme, comme un simple élément du parc automobile de la Sûreté nationale, et deux jours plus tard, le ministre de la Justice parle officiellement de l'affaire en promettant qu'«il n'y aura pas d'impunité» et surtout que «personne ne sera lésé». Hamel et les «dossiers» Mais cette promesse n'était pas suffisante pour garantir l'immunité à l'ex-patron de la police qui se voit ainsi lâché de toutes parts. Isolé, sentant sa fin arriver, il anticipe sur les événements en suscitant la suspicion. Il dénonce, met en garde et menace de remettre au juge des dossiers qu'il détient sur l'affaire de la cocaïne. Sa déclaration fait l'effet d'une bombe. Elle permet au vice-ministre de la Défense, qui l'avait à l'œil depuis son arrivée à la tête de la police, de l'écarter définitivement du sérail. En agissant ainsi, Hamel savait en fait que les heures d'enregistrement vidéo des caméras de surveillance installées par Kamel Chikhi dans son bureau, ont permis d'identifier une longue liste de personnalités ou de leurs enfants, mais aussi certains hommes d'affaires directement liés aux politiques et dont beaucoup font partie de la direction du FC, et sont très liés à Chikhi. Les noms sont nombreux et pèsent lourd, mais jusqu'à présent, ils n'ont été inquiétés ni par l'enquête préliminaire, ni au niveau de l'instruction. Les caméras de Kamel Chikhi filmaient sans arrêt. Pour le juge, c'est du pain béni. Les images sont parlantes. Beaucoup de ceux qui viennent chez Kamel le «Boucher» ne repartent pas les mains vides. Il y a de tout. D'anciens ministres, des cadres supérieurs de l'Etat, d'ex- et d'actuels walis, leurs enfants, ou alors de puissants promoteurs immobiliers, dont un particulièrement, propriétaire d'un immense parc immobilier aussi bien à Alger qu'à Bouira, d'où il est natif (comme Kamel Chikhi), érigé en quelques années grâce à l'argent des banques publiques, qu'il n'a jamais remboursé. Il y a aussi des fonctionnaires de l'administration locale, douanière et financière, ainsi que de hauts gradés de l'armée et de la police entre retraités et en fonction. Hamel a mal interprété «ce tri» et voulu se protéger en menaçant de divulguer ce qu'il détient comme informations. Ira-t-il jusqu'au bout de ses menaces ? Peu probable, sachant que ceux d'en face n'aimeraient certainement pas que cette affaire de cocaïne éclabousse dans son sillage les plus importantes institutions du pays, à la veille d'un rendez-vous électoral jusque-là incertain. En tout état de cause, jusqu'à présent, le juge d'instruction n'a pas encore abordé le volet important lié au trafic de cocaïne. A part les six premiers prévenus, à savoir Kamel Chikhi, ses deux frères, son directeur commercial et un de ses agents, poursuivis pour importation et commerce transnational de drogue, la vingtaine de prévenus poursuivis, dont 17 incarcérés, ne sont concernés que par le volet «trafic d'influence», «corruption» et «perception d'indus avantages». Cependant, l'on est en droit de se demander si Kamel Chikhi a réussi à ouvrir 22 chantiers, uniquement à Alger, pour la construction d'un empire immobilier, en ayant toutes les facilités uniquement grâce à l'intervention de petits chefs de service de l'urbanisme et de conservateurs fonciers ? Comment peut-on croire que Kamel Chikhi, dont le profil est loin d'être celui d'un génie, soit réellement le propriétaire de toute cette fortune et que la constitution de tout ce réseau de complices soit son œuvre. Il est important aussi de savoir que ceux qui ont acheté cette quantité de cocaïne en amont n'auraient jamais pris le risque de prendre Oran comme zone de transit avant sa destination finale, qui pour l'instant n'est pas connue, s'ils n'avaient pas la garantie de la sécurité de son acheminement. Le choix d'Oran n'est pas fortuit. Les réseaux de narcotrafiquants sont nombreux et ont acquis une expérience assez importante dans le trafic de cannabis qui vient de la frontière ouest, puis repart vers l'Europe, principalement l'Espagne et la France. Aussi bien le patron de la gendarmerie que le chef de l'état-major de cette institution ou encore l'ex-patron de la police savent très bien comment ces narcotrafiquants tissent des réseaux de complicités au niveau de toutes les administrations pour assurer la sécurité à leurs activités criminelles dont les revenus sont blanchis principalement dans l'immobilier et l'hôtellerie, secteurs très lucratifs à Oran, une ville que Kamel Chikhi n'a pas choisie fortuitement pour ramener sa viande. Il sait qu'au port d'Oran, la marchandise ne met pas beaucoup de temps pour être déchargée, et des facilités sont accordées en matière de procédure de dédouanement au port sec privé du fils de Abdelghani Hamel. Mais, jusqu'à présent, Kamel Chikhi ne cesse de crier au complot et accuse ses concurrents oranais, qui achètent la viande chez les mêmes fournisseurs au Brésil, utilisent le même circuit de transport maritime, et qui auraient utilisé leurs réseaux pour le «réduire à néant». Ses concurrents sont également deux magnats de l'immobilier qui ont pignon sur rue aussi bien à Oran qu'en Espagne. En tout état de cause, l'affaire Kamel Chikhi pourrait connaître de nouveaux rebondissements, surtout que ses avocats risquent de demander au juge d'instruction de convoquer l'ex-patron de la police, Abdelghani Hamel, pour être entendu sur les informations qu'il dit détenir sur le dossier.