Editorial. La démission du président mardi ne cache pas les ambitions de l'armée algérienne qui entend garder le contrôle du régime. Le peuple doit s'organiser pour poursuivre la refondation qu'il a engagée. Publié aujourd'hui à 12h01, mis à jour à 13h24 Editorial du « Monde ». De Gaulle l'avait dit de Pétain. Le peuple algérien vient de le signifier à Abdelaziz Bouteflika : la vieillesse est un naufrage. Cloué sur une chaise roulante depuis un accident vasculaire cérébral en 2013, muet depuis des années, réélu pour un quatrième mandat en 2014 sans prononcer un mot, ne s'exprimant plus que par le truchement de communiqués laconiques, pathétique marionnette entre les mains d'un entourage opaque, le président algérien a donc fini par démissionner – ou par être démissionné –, mardi 2 avril, trois semaines avant le terme officiel de son mandat. Cet épilogue met fin à vingt ans de règne sans partage. Il met un terme à l'existence publique d'un homme qui incarnait, depuis six décennies, l'histoire tourmentée de la nation algérienne. Insurgé de la guerre d'indépendance dès la fin des années 1950, ministre des affaires étrangères entre en 1963 et 1978 sous le règne de Boumediene, rappelé au pouvoir en 1999 à la fin de la terrible guerre civile qui mit aux prises l'armée et les islamistes, Bouteflika avait permis le retour à la paix, mais au prix d'un régime de plus en plus autoritaire, clanique et prévaricateur, adossé aux aléas de la seule rente pétrolière et gazière. Sans offrir aux Algériens, et notamment à la jeunesse, l'avenir auquel ils aspiraient. Depuis le 22 février, c'est pourtant ce peuple muselé et méprisé, ce peuple privé de toute représentation politique digne de ce nom qui est en train d'écrire un nouveau chapitre de l'histoire de l'Algérie. Beaucoup le pensaient tétanisé par les drames nationaux et incapable de se réveiller sans plonger le pays dans la répression brutale, voire le chaos. Au-delà de ses fortes spécificités locales, il s'est mobilisé massivement et pacifiquement. En six semaines, faisant mentir toutes les prédictions, il a acculé le président Bouteflika à l'abdication et déjoué toutes les manœuvres dilatoires engagées par le pouvoir qui l'entourait et agissait en son nom. Le 10 février, le président annonçait sa volonté de briguer un cinquième mandat. Dès le 11 mars, il y renonçait et l'élection présidentielle était reportée sine die. Mais, le 18 mars, Bouteflika faisait savoir qu'il entendait prolonger son mandat et promettait une conférence nationale pour réformer les institutions. Le 26 mars, le général Gaïd Salah, chef d'état-major d'une armée qui est depuis l'indépendance la colonne vertébrale du régime, réclamait la mise en œuvre de la procédure établissant l'incapacité du président à exercer ses fonctions. Le 31 mars, un gouvernement de transition était esquissé. Poussé dans ses retranchements, le clan au pouvoir annonçait, le 1er avril, la démission rapide de Bouteflika. Depuis le 2 avril, c'est donc chose faite, après une nouvelle mise en demeure de l'armée. La fin d'un règne est acquise. L'avenir reste à inventer, et il est des plus énigmatiques. Réprimés, dispersés ou achetés, les mouvements d'opposition ne paraissent pas en mesure de poser les bases d'un processus démocratique et transparent. Le retournement de l'armée et son appui aux revendications populaires ne trompent personne dans l'immédiat : elle entend maintenir un système dont elle est le pilier central, soit en assurant la stabilité du processus de transition, soit en le pilotant elle-même. Il reste au peuple algérien à s'organiser pour poursuivre la refondation qu'il a engagée. Et à continuer de démontrer, dans les mois à venir, l'intelligence collective dont il fait preuve.