Editorial. Avant la présidentielle du 12 décembre, le mouvement de contestation populaire dénonce la confiscation du pouvoir par la hiérarchie militaire et ses tentatives d'intimidation. L'UE doit faire entendre sa voix. Publié aujourd'hui à 12h07 Editorial du « Monde ». Depuis plus de neuf mois, l'Algérie vit dans un silence extérieur assourdissant un mouvement de contestation populaire, le Hirak, dont l'ampleur et la nature font pourtant un phénomène sans précédent au Maghreb et dans le monde arabe. Par son ampleur, d'abord : vendredi 29 novembre à nouveau, pour la quarante et unième semaine de suite, des manifestants devaient défiler dans les rues d'Alger et d'autres villes du pays pour réclamer un changement du système politique. Cette mobilisation constante et géographiquement étendue est renforcée par d'autres rassemblements en dehors du jour symbolique du vendredi. Par sa nature, ensuite : bien que non structuré et sans leaders, le Hirak est un mouvement fondamentalement pacifique et discipliné. L'ensemble des composantes de la société algérienne y sont représentées et, même si elles y sont nettement moins nombreuses que les hommes, les femmes n'y sont pas inquiétées. Cette société traumatisée par la sanglante guerre civile des années 1990 y a même trouvé une nouvelle vigueur et une cohésion qu'elle avait perdue. Depuis la première manifestation, le 22 février, provoquée par la décision du président de l'époque, Abdelaziz Bouteflika, de se présenter à un cinquième mandat, le mouvement a marqué des points importants, dont le départ de M. Bouteflika et l'annulation de l'élection présidentielle du 4 juillet. Mais le 8 août, le chef d'état-major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah, a décrété que les revendications « fondamentales » du mouvement étaient satisfaites. S'imposant lui-même comme le nouvel homme fort, ce général de près de 80 ans, qui tenait déjà les rênes sous Bouteflika, procède depuis à une reprise en main méthodique du pouvoir ; il a fait arrêter ses rivaux au sein du système et lancé une vaste campagne d'intimidation des contestataires. Le scrutin présidentiel du 12 décembre, qu'il a organisé, s'annonce comme une parodie d'élection : les cinq candidats, parmi lesquels deux anciens premiers ministres de M. Bouteflika, sont tous d'ex-dignitaires du régime. Les manifestants du Hirak les rejettent tous les cinq. La question qui se pose aujourd'hui en Algérie n'est pas de savoir qui sera élu le 12 décembre au soir, car ce président ne détiendra pas la réalité du pouvoir, mais ce qu'il se passera le 13, qui sera un vendredi, lorsque les manifestants redescendront dans la rue ? Personne ne peut à ce stade entrevoir la réponse, tant la situation paraît bloquée entre un pouvoir confisqué par la hiérarchie militaire et une contestation populaire qui s'enhardit malgré les arrestations. Une autre question devient inévitable : qu'en pensent les gouvernements démocratiques, et en particulier ceux des pays européens ? Pour des raisons que l'on peut entendre, la France, ancienne puissance coloniale, a choisi de rester discrète. Jeudi 28 novembre, les députés européens ont adopté une résolution sans valeur contraignante qui « condamne vivement » les « arrestations arbitraires ». La réaction outragée du pouvoir algérien dénonçant une « immixtion flagrante » ne doit pas impressionner : les généraux ont usé jusqu'à la corde d'une rhétorique patriotique qui ne passe plus. Ce sont eux qui accaparent désormais illégitimement le pouvoir, estiment les manifestants. Les arrestations arbitraires, la censure et les suspensions de journalistes, le climat de répression sont inacceptables. Au-delà des eurodéputés, c'est l'Union européenne qui doit ouvrir les yeux et parler de l'Algérie. Le Monde