Comme beaucoup d'Algériens, j'ai suivi le débat télévisé entre le président du régime, Abdelmadjid Tebboune, et les journalistes assignés à cette besogne. Et le peu que l'on puisse dire, c'est que cette sortie télévisée est un désastre politique qui reflète le délabrement au sommet de l'Etat. Cent jours à la tête de l'Etat. Abdelmadjid Tebboune est un fantôme politique. Il est une ombre censée masquer le pouvoir de l'ombre. Nous savions qu'il n'avait pas l'envergure d'un chef d'Etat. Qu'il est et restera un président illégitime, intronisé au sommet du pouvoir par la haute hiérarchie militaire. Mais la mise en scène idoine de cet entretien, et surtout, la pauvreté intellectuelle et la légèreté de l'argumentaire déployées par le concerné sont des indicateurs choquants. Alors que les citoyens ont des inquiétudes réelles sur la crise sanitaire, sur la situation à Blida, sur le manque de transparence des autorités, sur la capacité du système de santé à faire face à la pandémie, sur l'économie et les finances des ménages, Tebboune esquive sur presque tout ou l'essentiel. Il tergiverse et ne dit rien. À sa décharge, Tabboune avoue même que son gouvernement n'a pas les ressources pour appliquer le confinement et faire face à la crise! Dans le décor archaïque de la salle, les questions des journalistes sonnaient aussi fausses que les réponses d'un homme sans charisme. Ces journalistes, ils font tout sauf leur métier. Rien sur les dizaines de détenus du Hirak, sur l'indépendance de la justice, sur les violations graves commises dans le procès inique à Karim Tabbou, ou encore pire, sur l'emprisonnement de leur collègue Khaled Drareni. Le journalisme du Palais d'El Mouradia est un crime contre la fonction. C'est un journalisme de louvoiement. À contre-sens du chemin choisi par les voix et les plumes libres des Khaled Drareni, Sofiane Merakchi et leurs consorts qui exercent encore leur métier sans courber l'échine. Le régime et sa police politique ont parfaitement compris qu'il fallait faire taire le plus grand nombre d'entre eux. Le temps du confinement partiel de la population a rimé avec celui de la « liquidation » des militants, des journalistes et des citoyens engagés dans le mouvement populaire. La machine judiciaire fait le reste. Elle continue de broyer les uns et les autres au nom de l'atteinte à l'unité nationale et à l'intégrité territoriale. La police politique ne se cache plus. Elle kidnappe en plein jours, emprisonne des journalistes dignes et des militants courageux en temps de pandémie. Le régime algérien n'a pas écouté le son de cloche de l'Organisation des Nations Unies qui a appelé la semaine dernière tous les Etats membres à libérer les détenus politiques et à réduire la population carcérale. Mais que peut-on attendre d'un régime aussi brutal et inhumain? Que peut-on attendre d'un régime fragile mené par une gérontocratie primaire qui souffre lamentablement de légitimité et d'incompétence? Le débat télévisé d'Abdelmadjid Tebboune n'a été que le reflet de la médiocratie du pouvoir politique actuel. C'est le miroir qui réverbère le délabrement des institutions de l'Etat. En regardant le débat, le citoyen comprend qu'il n'y a personne à la tête du navire. Qu'un changement urgent s'impose. Que la compétence et légitimité sont un couple indissociable. Le Hirak est précisément la lame de fond révolutionnaire et pacifique qui compte remettre ses valeurs au cœur de la vie politique du pays. L'intelligence collective et la sagesse du Hirak sont des valeurs sûres pour l'avenir. En témoigne aujourd'hui la suspension des rassemblements à cause de la pandémie. En ces temps difficiles, le pays a besoin d'une direction de haut niveau capable de faire face aux multiples crises à l'horizon. Crise sanitaire, en premier lieu, dont les pertes humaines et les conséquences économiques sont encore méconnues. Crise économique qui se profile à l'horizon 2021-2022. Le prix du Brent est au plus bas (moins de 30 $) et à 50% du prix établi dans la dernière loi de finance. Et surtout, crise politique aigue qui n'a pour seule solution que le départ ordonné et pacifique du régime actuel. Politiquement, ceci veut dire laisser les Algériens mener une transition politique qui aboutira sur l'Etat de droit et la démocratie, et ce, en mettant en place les institutions et les mécanismes nécessaires. Les Algériens sont capables d'être à la hauteur d'une telle mission historique. Ils sont ceux qui doivent désigner le nouvel équipage du navire. Raouf Farrah 1 avril 2020