Texte envoyé à des responsables associatifs, des imams libres et des intellectuels musulmans de France. Chers amis, Vous avez été plusieurs à bien vouloir solliciter mon avis sur le discours prononcé par le président Macron le 2 octobre aux Mureaux. Les réactions les plus véhémentes portaient sur la phrase mentionnant « une crise mondiale de l'islam », en tant que religion. Les communiqués de « l'Union mondiale des Oulama musulmans » et la prestigieuse université d'El Azhar méritent d'autant plus d'attention qu'ils émanent d'instances attachées à une conception élevée de la religion. Ces instances sont d'autant plus habilitées à s'exprimer qu'elles préfèrent constamment le dialogue, notamment avec les religions du Livre, à tout recours à la violence invoquant le Coran. Contrairement à l'imam d'une mosquée du Sud Ouest, chacun de nous doit dialoguer avec ces instances et les appeler à un débat constructif et serein, y compris avec le président de la République qui peut les écouter autant qu'il s'inspire des écrits d'un politiste sécuritaire et médiatique, qui est aux abonnés absents à chaque fois qu'il s'agit d'éduquer les jeunes musulmans en France. Comme si la radicalisation et le terrorisme l'arrangent plus que la prévention par les moyens de l'intelligence. On peut reprocher à ces instances islamiques de ne retenir du discours présidentiel que ce passage à problèmes, où la même idée gagnerait à être reformulée avec davantage de nuances. Les musulmans de France qui emboîtent le pas à ces instances légitimes le font parce qu'ils ne trouvent aucune autorité religieuse pouvant s'exprimer légitimement au nom de « l'Islam de France ». Et il faut reconnaître que le CFCM, qui avait les possibilités de devenir, à terme, une autorité religieuse, n'aura fait aucun effort dans ce sens. D'où le besoin d'interpeller les membres du son bureau qui acceptent le dialogue plus facilement que d'autres. Mais désespérant de dialoguer sérieusement avec cette bureaucratie, des musulmans qualifiés songent à créer une autre structure pouvant remédier aux manquements du CFCM. Ces partisans d'un »plan B » gardent un fort mauvais souvenir des fâcheux précédents en matière de » politique musulmane », faite surtout d'un nombre impressionnant d'occasions manquées. Etant amenés à juger sur pièces, ils privilégient les actes sur les paroles, puis classent les paroles selon leur degré de véracité. Le plus important dans le discours des Mureaux reste la décision du président Macron de mettre d'importants moyens à la disposition de la FIF pour lui permettre d'ouvrir un Institut d'études et de recherches sur l'Islam. L'annonce du président Macron peut être appréciée à sa juste valeur si on a à l'esprit le refus du projet de Faculté de théologie musulmane à Strasbourg, présenté en 1989 après la consulation du regretté Ali Merad, par le président Mitterrand en personne. On sait que ce projet fut rejété pour des raisons purement politiques liées aux querelles de sous-courants à l'intérieur du Parti Socialiste et à une crise, non médiatisée, des relations entre le président socialiste et son ministre de l'Intérieur. Il faut aussi se souvenir du désintérêt total du ministre de l'éducation de 1992, Lionel Jospin, pour le Centre national d'études de l'Islam que voulait ouvrir, sur proposition du regretté Arkoun, la Veme section (Sciences religieuses) de l'Ecole pratique des hautes études. Le ministère de l'Intérieur avait matiné son refus de la Faculté de téhologie musulmane en zone concordataire d'une recommandation d'ouvrir un établisement musulman « partout ailleurs, sauf à Strasbourg ». Sachant qu'il n'y avait aucun argument juridique justifiant ce refus, Mérad mécontent de ce manque de sérieux en haut lieu, ne répondait plus aux demandes de consultations par les « organisateurs » laïques de l'Islam en France. Arkoun prit le relais et tint compte du « partout ailleurs, sauf à Strasbourg » et fit accepter par Jean Baubérot, alors directeur de la Veme section de l'EPHE, le projet de « CNEI ». Malgré le soutien d'un conseiller à l'Elysée, le ministre de l'Education de l'époque, qui travaillait à son « devoir d'inventaire », n'a pas daigné répondre à la demande d'audience d'Arkoun. Le projet échoua, par la faute d'un autre ministre socialiste, dont le directeur de cabinet s'appelait Claude Allègre. Devenu premier ministre, Jospin récidiva pour tolérer, ainsi que son ministre de l'Education, Claude Allègre, un très peu républicain copinage qui permit le détournement de l'important projet d'Ecole des hautes études de l'Islam présenté en 1998 par Chevènement. Ce dernier projet comportait une Université Ouverte qui aurait pu accueillir les musulmans qui, pour étudier l'Islam, se rendent dans des pays ou ils se trouvent embarqués parfois dans de dangereuses aventures. Les sabotages à répétition de ce genre de projets sont à l'origine du grave déficit éducatif qui explique la faible participation des nombreux musulmans qualifiés à la prévention des radicalisation. De ce déficit éducatif sont également responsables des membres de la Nomenklatura islamique de France dont les privilèges furent accrus quand ils furent sortis de l'anonymat grâce aux velléités d' »organisation » de l'Islam en France. En effet, deux recteurs de la mosquée de Paris réussirent à mettre en échec l'ambitieux « plan Dumas » d'avril 1992 qui prévoyait un budget de 20 millions de francs (équivalent de 3 millions d'euros) pour un Institut musulman de France à condition de séparer cet établissement de la fantasque Société des habous, qui ne sortit de l'illégalité qu'à la faveur de la prescription trentaine de 1988. Il y avait un « Institut musulman de la mosquée de Paris » pour lequel le « recteur » placé par Guy Mollet percevait cinq subventions publiques (4 ministérielles + 1 de la mairie de Paris) jusqu'en 1980. La commission nationale des français musulmans a constaté le caractère fictif de « l'institut » et le gouvernement Barre fit cesser le versement des subventions. Le président Giscard d'Estaing promit le remplacement de Hamza Boubakeur en même temps que la nomination d'un directeur chargé de sortir l'Institut de son état d'hibernation. Nedjmeddine Bammate (professeur à Paris VII, sous-directeur à l'Unesco) et Ali Merad (membre de la Commission et rédacteur du rapport sur l'Institut fictif) étaient pressentis pour lancer des études sur l'Islam par des musulmans. Mais ce projet tomba à l'eau quand le nouveau pouvoir socialiste opta pour une gestion diplomatico-sécuritaire dont on voit encore les conséquences néfastes à chaque fois que quelque barbouze se signale par sa grossièreté, son agressivité et un usage abusif des deniers du culte, de la taxe halal et la revente des visas pour le pèlerinage, et autres à-côtés financiers de la vie religieuse qui passionnent les bureaucraties de peu de foi plus que l'action éducative. Pour compenser ces « oublis » socialistes, le « plan Dumas » de 1992 proposait de mettre d'importants moyens à la disposition d'un Institut ou aurait été rénové l'enseignement des disciplines religieuses, dont l'archaïsme explique en partie les radicalisations. Dans un si important établissement, une partie des étudiants auraient pu se psécialiser dans l'imamat et les différentes aumôneries. Pour finaliser ce projet, Roland Dumas devait se rendre à Alger en compagnie d'un représentant du ministère de l'Intérieur, Raoul Weexsteen, conseiller aux Cultes, selon une version, ; selon une autre, c'est Alain Boyer, sous-préfet mis à la disposition du Bureau central des cultes, qui devait plaider à Alger pour « l'Institut Musulman de France », en compagnie de Roland Dumas. Mais ce voyage n'a pas eu lieu, à cause de l'assassinat de Boudiaf. Mais, profitant de la confusion qui régnait alors à Alger, la famille Boubakeur refusa cette offre. Elle préféra une mosquée sans institut, mais privatisée, à une mosquée dont le rayonnement aurait été assuré par des activités d'enseignement et de recherches. Quand durant ces dernières années, Dalil Boubakeur se,plaignait du manque de moyens pour « former des imams français », il était ravi de l'oubli quasi- total du refus catégorique du « plan Dumas », par lui et par son père Si Hamza. L'amnésie concernait aussi la protestation véhémente du recteur contre le projet d'Ecole des Hautes Etudes de l'Islam quand il fut présenté par Chevènement en 1998. La mosquée semblait espérer récupérer pour elle une partie du budget proposé dans le plan Dumas de 1992, sans les prestigieux et gênants professeurs comme Berque, Arkoun, Mérad et Guellouz. Il faut dire que le projet de Chevènement, avant d'être saboté par Jospin et Allègre, avait été combattu la FNMF et l'UOIF, d'accord, une fois n'est pas coutume, avec la mosquée de Paris. Le président de la FNMF, Mohamed Béchari, réussit même à convaincre un député socialiste du Nord à interpeller Chevènement pour lui reprocher, à la séance des questions au gouvernement, de « violer la laïcité »(sic) en proposant un enseignement sur l'Islam. Ce faisant, Béchari et son complaisant député firent preuve d'une désarmante ignorance de la tradition islamologique française qui eut ses heures de gloire depuis Sylvestre de Sacy jusqu'à Jaques Berque en passant par Louis Massignon. Pour sa part, l'UOIF rémunéra une islamo-politiste pour lui rédiger un texte exprimant une chicaya analogue contre Chevènement. L'information sur l'Islam en France étant encore digne des régimes à parti unique, l'amnésie porte également sur une période plus récente. En effet, personne n'ose s'interroger sur les vraies raisons de la continuation des détachements d' imams arabophones, dont certains sont imposés encore comme enseignants à l'institut de la mosquée de Paris. Alors que l'accord signé en 2015 par le ministre algerien des affaires religieuses, M. Aissa, et le ministre de l'Intérieur Bernard Caseneuve porte sur la formation des cadres religieux par cet établissement. Les enquêteurs qui s'interrogent sur « l'oubli » de cet accord et le refus de recruter comme imams les élèves qui passèrent quatre années d'études dans cet institu et une année pour obtenir le DU à la Sorbonne se trouvent obligés de faire des hypothèses désagréables pour la bureucratie de la mosquée. Donc,quand on fonde son jugement sur ces constats de carence, on ne peut se contenter d'imiter l'Union mondiale des Oulama musulmans et l'université d'El Azhar, aussi respectables soient ces instances qui méritent d'abord d'être louées pour leur défense de l'Islam en tant que religion et leur intérêt pour le sort des muuslmans en France. Leur protestation est d'autant plus légitime que la phrase incriminée du discours présidentiel conforte des mileiux islamophobes dans leurs jugements erronnés. Dans ces conditions, l'aide de l'Etat à l'ouverture d'un Institut sur l'Islam traduit un volontarisme qui tranche sur les velléités d' »organisation » de l'Islam. Force est de constaer que ces velléités auront contribuer à laisser l'Islam dans un état de délabrement intellectuel qui ajoute aux terreaux des radicalisations, déplorés courageusement, au grand dam des parrains de SOS-Racisme, par Emmanuel Macron quand il était ministre dans le gouvernement Valls.. Voilà ce qu'il convient de dire, brièvement, des actes, qui comptent plus que les paroles. Parmi les paroles, il faut privilégier le passage où le président Macron déplore la « ghettoïsation » pour mieux la mettre sur le compte de « nos lâchetés ». L'allusion est claire: c'est une critique des politiques irresponsables qui laissèrent se perdre des « territoires de la République » qui n'étaient pas perdus quand la « Marche pour l'égalité » de 1983 révéla l'ampleur des problèmes d'intégration. Au lieu de commencer à les résoudre, les socialistes décréterent de parler de « Marche des Beurs », pour donner une dimension identitaire à des problèmes d'essence sociale. L'émergence de jeunes musulmans pratiquants semblaient donner raison aux socialistes, même s'il n'agissait que de pietisme et de ritualisme, beaucoup plus que de fondamentalisme et d'intégrisme. Il y eut « une génération sans instruction », comme on disait en 1850 en Algérie, où l'on s'avisa d'ouvrir les Medersas d'Etat pour prévenir in extremis les risques d'une religion sans « représentants réguliers ». On écouta alors Tocqueville qui, dans son rapoport parlementaire sur l'Algérie de décembre 1847, mit en garde contre » les furieux et les imposteurs », qui s'empareraient d'une religion privée des moyens de « l'intelligence de la foi ». Dans la France de la fin des années 80, l'absence d'éducation musulmane rendait inévitable le passage du ritualisme au fondamentalisme, puis à des formes inquiétantes de radicalismes. Consulté à plusieurs reprises, le regretté Jacques Berque recommandait l'ouverture d'un « Institut Averroes sur la montagne Sainte Geneviève ». Après les refus successifs de ce genre de propositions, Berque s'est dit « sidéré de la cécité française sur l'Islam ». Déçu, mais jamais désespéréré, celui qui aurait dû être écouté comme l'avait été Tocqueville en1847, tirait la sonnette d'alarme: »nous sommes en train de perdre la guerre d'Algérie pour la deuxième fois ». Après les examens de conscience imposés par les attentats de 2015, Berque, qui était en passe d'être oublié, a été cite par un homme politique aussi honnête que Bernard Cazeneuve. Même Fabius daigna le paraphraser. Mais Valls, qui heurta les chercheurs par une formule à l'emporte-pièce-« expliquer, c'est justifier- » faillit créer tout un institut à l'intention de son politiste sécuritaire préféré. La création de cet établissement budgétivore destiné à satisfaire des calculs de carrière, après les déboires du protégé de Valls, fut empêché in extremis, notamment par un conseiller occulte qui recommanda de sortir de son hibernation l'ISSMM, micro-structure créée à l'EHESS après le détournement de l'EHEI présentée par Chevènement. Plus de cinq ans après, force est de constater les insuffisances des activités de l'ISSMM, au vu de la demande massive de connaissances de l'Islam et, surtout, de leur impact quasi-nul, sur les jeunes musulmans dont on cherche à repérer, de loin, les « signes extérieurs de radicalisation ». C'est à l'aune de ces errements qu'il faut juger avec impartialité le discours presidentiel du 2 octobre. L'autocritique présidentielle, qui semble être suivie du renoncement au terme à problèmes « séparatisme », est à mettre à l'actif du président. Avant d'emboiter le pas aux Oulama qui reprochent à juste raison la phrase inspiré par un politiste médiatique parce qu'obsédé par le seul sécuritaire, les musulmans doivent d'abord comparer avec l'absence totale d'examen de conscience chez les membres de la Nomenklatura islamique qui représentent les musulmans de France malgré eux. La plupart s'entichent d'un soufisme de façade sans s'aviser que l'un des grands mystiques de Baghdad s'appelait Muhacibi, celui qui pratique l'examen de conscience. Non seulement nos « représentants » se croient irréprochables et ont une grande facilité à se victimiser dès qu'ils ne sont pas reçus assez fréquemment place Beauvau, mais ils interdisent tout débat sur des problèmes aussi importants que la médiocrité de l'émission « islamique », y compris quand elle invite des généraux-majors algériens, protecteurs de ses responsables. Son principal responsable est l'inamovible vice-président (coopté, bien sûr, et jamais élu) du CFCM. Tous les membres du bureau de ce conseil sont outrés de l'interdiction formelle de soulever les serieux problèmes de cette émission. Pourtant, la responsabilité de cette émission, plus soucieuse de mondanités que de pédagogie, dans la radicalisation des jeunes qui passent de la délinquance à la violence, sans passer par les mosquées, est plus engagée que celles des imams et des aumoniers, régulièrement accablés. Ce « bureaucrate de la foi », au lieu de se mettre à l'examen de conscience, en suivant l'exemple du président Macron, trouve le moyen de rameuter contre lui imams-CCP obéissants, étudiants crédules et présidents d'association mal informés. Il croit se faire pardonner ainsi son soutien à Charlie en faisant croire aux Oulama de Doha, d'Istanbul et du Caire que grâce à son zèle, ils auraient sur l'Islam en France une influence insoupçonnée jusqu'au 2 octobre. Et pourtant, ce Nomenklaturiste se presente par ailleurs en champion de la rupture avec » l'Islam consulaire », alors que le seul signe de « reconnaissance » qu'il exibe depuis le putsch du 11 janvier reste un selfie en compagnie de l'ambassadeur d'Algérie, dont on dit qu'il quitte Paris en raison meêm de cette complaisance. Le nouveau « recteur » se pense aussi en zelote du combat contre « l'Islam politique », aux contours encore imprécis, et qu'il n'est pas le mieux placé à dénoncer. Il suffit de se souvenir de ses passages sur les plateaux de télévision pour parler au nom des « comités de soutien au nouveau mandat du président Boutéflika ». Sans parler de son ignorance totale des acquis de la recherche en matière de prévention des radicalisations qui ne peut pas se passer de la coopération avec des courants de « l'Islam politique » qui bannisent tout recours à la violence. On le voit bien, malgré les défauts que lui trouvent les Oulama ( avec lesquels la discussion est toujours possible, est souhaitable), le discours de Macron a un avantage inattendu: il permet de découvrir l'absence totale de l'examen de conscience chez les « représentants » de l'Islam en France, et le refus de tout vrai débat dans les instances monopolisees par eux. Sadek SELLAM