https://www.lemonde.fr/afrique/article Par Frédéric Bobin 04 nov 2021 « Alger affirme que « le lâche assassinat » de trois routiers algériens en territoire sahraoui par des tirs imputés aux forces marocaines « ne restera pas impuni » .L'incident témoigne du tour critique pris par une crise algéro-marocaine menaçant chaque jour davantage l'équilibre stratégique au Maghreb occidental. Alger a promis, mercredi 3 novembre, que le « lâche assassinat » de trois routiers algériens deux jours plus tôt au Sahara occidental par des tirs imputés aux « forces d'occupation marocaines » ne « restera pas impuni », selon les termes d'un communiqué de la présidence algérienne repris par l'agence officielle APS. Le convoi de camions se trouvait à l'arrêt à environ 35 km à l'est du « mur de séparation » marocain entre les localités d'Ain Ben Tili et de Bir Lahlou, segment contrôlé par le Front Polisario – mouvement luttant pour l'indépendance du Sahara occidental depuis 1973 – sur la route reliant l'Algérie à la Mauritanie, quand il aurait été ciblé par des drones, selon l'expert en sécurité Akram Kharief, fondateur du site Menadefense. La présidence algérienne a qualifié les faits de « bombardement barbare », réalisé au moyen d'un « armement sophistiqué » non précisé. Un effet collatéral du « deal » de Trump L'incident s'inscrit dans une escalade de la tension entre l'Algérie et le Maroc, qui s'est déjà traduite par une rupture des relations diplomatique entre les deux pays – décidée le 24 août à l'initiative d'Alger –, sur fond de désaccord autour du sort du Sahara occidental, contentieux non résolu dans lequel la communauté internationale a fait preuve de son impuissance. Le divorce est un effet collatéral du « deal » de Donald Trump scellé le 10 décembre 2020 entre le Maroc et les Etats-Unis, aux termes duquel Washington a reconnu la « marocanité » du Sahara occidental, en échange de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Alger avait alors dénoncé « l'arrivée de l'entité sioniste » à ses frontières, ouvrant la voie à « la déstabilisation » de l'Algérie. Un mois plus tôt, le Front Polisario avait décrété la fin d'un cessez-le-feu vieux de trente ans à la suite d'une incursion de l'armée marocaine à proximité de la frontière mauritanienne dans la zone de Guerguerat, jusque-là contrôlée par les indépendantistes sahraouis. L'opération avait consacré la reprise formelle des hostilités au Sahara occidental, même si la dégradation de la situation n'a jamais pris la forme des affrontements à grande échelle dépeints par la propagande du Front Polisario. La zone était également plus tendue que ne le laissait croire la propagande marocaine. Quoi qu'il en soit, c'est un peu le retour à la case départ pour cet héritage non soldé de la décolonisation en Afrique. Le départ, en 1976, de l'ancien colonisateur espagnol de cette région avait débouché sur un conflit entre le Front Polisario – soutenu par l'Algérie – et Rabat, qui en revendique la « marocanité » au nom d'anciennes allégeances tribales. Un référendum d'« autodétermination » sur l'avenir du Sahara occidental avait été promis par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU de 1991. Le Maroc n'a toutefois cessé de s'y opposer, jouant avec succès de son influence auprès des capitales occidentales, en particulier la France, qui a fini par se rallier à un simple plan marocain d'autonomie. Le conflit ne s'était pas moins stabilisé en 1991 autour d'une ligne de cessez-le-feu épousant les 2 700 kilomètres de mur de sable qui, du sud-ouest au nord-est, séparent le Sahara occidental entre la majeure partie (80 %) contrôlée par le Maroc et ses marches méridionales et orientales (20 %) où s'exerce, de facto, la tutelle de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). C'est dans cette dernière bande territoriale que s'est produit l'incident du 1er novembre qui a coûté la vie aux trois routiers algériens. « Un dossier hors de contrôle » Jusqu'où peut aller l'escalade ? Faut-il redouter l'éclatement d'une guerre entre un Maroc rendu conquérant par le « deal » de Trump et une Algérie qui, depuis le retour, en juillet, à la tête de sa diplomatie, de Ramtane Lamamra, ex-ambassadeur à la brillante carrière, est sortie de sa somnolence de la fin de l'ère Bouteflika pour tenter de renouer avec son activisme flamboyant d'antan ? « Une confrontation directe semble a priori exclue », affirme Akram Kharief. « L'Algérie va chercher à répondre au Maroc de manière indirecte et réaliste plutôt que s'engager dans une guerre frontale », abonde Jalel Harchaoui, chercheur à l'Institut des relations internationales de Clingendael, aux Pays-Bas.Une de ces formes « indirectes » pourrait être le renforcement de son aide militaire et logistique au Front Polisario afin d'« élever le coût » à subir pour le Maroc, ajoute M. Harchaoui. Il faudra aussi s'attendre à une probable intensification de la rivalité diplomatique entre les deux pays sur des dossiers régionaux. Le Sahel, où l'Algérie s'affirme de plus en plus dans la perspective d'un désengagement des Français, et la Libye, où le Maroc a tenté ces dernières années de jouer un rôle de médiateur (avec les pourparlers de Skhirat en 2015, puis de Bouznika en 2020), pourraient être ces théâtres où la rivalité se délocalisera avec plus d'intensité que jamais.Sans compter les joutes au sein des Nations unies elles-mêmes, alors que Staffan de Mistura, le nouvel envoyé personnel du secrétaire général, Antonio Gutteres, pour le Sahara occidental, vient de prendre ses fonctions. « A force d'avoir laissé ce dossier du Sahara occidental pourrir, déplore un ancien fonctionnaire onusien, on a permis qu'il devienne aujourd'hui hors de contrôle. » ( Frederic Bobin pour Le Monde )