Par Pierre Puchot, Mediapart.fr, 30 avril 2009 L'immobilisme comme politique. «Compte tenu du calendrier international ainsi que des exigences internes, le chef de l'Etat a décidé de reconduire le gouvernement dans sa composition actuelle, à l'exception de M. Soltani Bouguerra qui quitte le gouvernement à sa demande», soulignait, lundi 27 avril, un communiqué de la présidence de la République algérienne. Deux semaines à peine après la réélection du président Abdelaziz Bouteflika, c'est déjà une «première déception» pour le très populaire site internet d'information algérien Tout sur l'Algérie. «Bouteflika décrète un coma politique», pouvait-on lire, mardi 28 avril, en une du site. «Avec la reconduite du même gouvernement, l'astrologie est l'un des rares refuges pour expliquer la décision du Président», raille de son côté le quotidien Liberté, pourtant peu réputé pour son regard critique à l'égard du pouvoir. Que se passe-t-il au sommet de la République algérienne démocratique et populaire? Qui est aux commandes de l'Etat? Après s'être taillé une constitution sur mesure en novembre 2008 pour pouvoir accéder à un troisième mandat, Abdelaziz Bouteflika a été réélu un deuxième fois depuis 1999, officiellement avec 12.911.705 voix, soit une majorité de 90,24 % des suffrages exprimés lors du scrutin du 9 avril. Un score «à la tunisienne», comme disent désormais les Algériens, pour un taux de participation officiel (74,54 %) jugé «plus que fantaisiste» par un journaliste algérien qui a suivi les élections depuis plusieurs bureaux en Kabylie, pour y rencontrer «peu de monde, en tout cas beaucoup moins qu'en 2004», année du précédent scrutin présidentiel, pour lequel le taux de participation avait officiellement atteint 58,04%. À l'aube de son troisième mandat, Abdelaziz Bouteflika est-il le seul maître à bord? En novembre, lors de la révision de la constitution, le quotidien El Watan estimait déjà qu'«avec la création du poste de premier ministre, le chef de l'Etat (s'offrait) enfin un «second» qui ne (risquait) pas d'avoir la « présomptueuse idée » de lui disputer la casquette de chef sur le pouvoir exécutif». Si le chef de gouvernement, dénomination du poste avant la révision, avait comme prérogative de signer des décrets exécutifs, le premier ministre ne peut désormais le faire sans l'approbation du président de la République. «L'exécutant sans marge de manœuvre qu'est le premier ministre, concluait El Watan, transforme le chef de gouvernement en simple coordinateur appelé à appliquer à la lettre ce que le chef de l'Etat est seul à décider.» L'exécutant en camisole, c'est plus que jamais Ahmed Ouyahia, déjà plusieurs fois chef du gouvernement et reconduit lundi, donc. Un homme de devoir, un «bon soldat» comme le décrit la presse, doté d'une importante capacité de travail et dont l'autorité sur l'Assemblée nationale populaire et le Rassemblement national démocratique (RND), principal rabatteur de Bouteflika pendant la campagne, n'est pas discutable. Parmi les caciques qui l'entourent, le cas du ministre de l'éducation, Aboubakr Benbouzid, irrite tout particulièrement les rédactions qui, comme celles d'El Watan ou du Quotidien d'Oran, ont gardé un semblant de regard critique. Réputé peu au fait de ses dossiers, sourd au jeûne des enseignants contractuels, engagés l'été dernier dans une grève de la faim d'un mois et demi, en partie responsable d'un système éducatif en décomposition, Benbouzid est pourtant toujours là, alors qu'il occupe sans discontinuer des fonctions ministérielles depuis… 1994! Appel à «un changement démocratique» C'est donc avec ce gouvernement que Bouteflika entend mener son troisième mandat, annoncé à longueur de campagne comme celui du «changement». Grands travaux, construction de logements, refonte du système éducatif… Le gouvernement met en avant un plan de relance quinquennal ambitieux, car l'Algérie «dispose des capacités de financement de son prochain programme de relance quinquennal (2010-2014) de 150 milliards de dollars », comme l'a indiqué, lundi à Washington, l'«ancien-nouveau» ministre des finances, Karim Djoudi, en marge d'une réunion du Fonds monétaire international. Il s'agit donc pour le nouveau gouvernement de concrétiser, enfin, les projets de «revitalisation» des infrastructures et de l'économie algérienne, qui, pour certains, datent du mandat de Chadli Bendjedid, à la fin des années 1980. «Mais comment espérer que le changement vienne de ces gens, qui sont là depuis toujours, et ont au fil des ans purgé l'élite du pays des personnes intelligentes pour s'entourer de petits lièvres serviles ?» s'emporte le docteur Salah Eddine Sidhoum, chirurgien et opposant algérien historique, emprisonné à plusieurs reprises et accusé par le pouvoir algérien de collusion avec les mouvements islamistes. «Ouyahia notamment, a osé qualifier les partisans de l'abstention de traîtres à la nation (lire à ce propos la Lettre ouverte du 26 Mars 2009 du docteur Sidhoum à OUYAHIA). Devant le marasme politique actuel, la faillite totale de la classe dite politique et la lâcheté de la classe dite intellectuelle, nous avons décidé de lancer un appel au peuple algérien.» Lancé le 19 mars à l'initiative du docteur Sidhoum et signé par quinze intellectuels algériens, cet appel plaide pour un changement démocratique en Algérie, et se met en devoir d'«œuvrer à la concrétisation des objectifs du mouvement de libération nationale, à la reconquête du droit du peuple à la souveraineté et au changement radical et pacifique du système politique». «Toute proportion gardée, nous faisons ce qu'ont fait nos parents la veille du 1er novembre 1954, explique Salah Eddine Sidhoum, qui réside toujours à Alger, en dépit des nombreuses menaces dont il a fait l'objet. À l'époque, il y avait comme aujourd'hui des dissensions énormes, entre les nationalistes, les communistes, les islamistes…Et puis, il y eut un groupe de 22 Algériens, qui ont pris la responsabilité de créer le fameux Comité révolutionnaire d'unité et d'action, le CRUA. Ils ont lancé un processus, nous voulons faire la même chose.» L'Algérie, engluée dans un chômage de masse et une économie corsetée par un clientélisme omniprésent, ne tire toujours aucun bénéfice de sa rente pétrolière, qui génère pourtant des réserves de devises estimées à plus de 160 milliards de dollars. Cette année encore, les prévisions du FMI demeurent très pessimistes, et l'Algérie ne devrait pas connaître un taux de croissance supérieur à 1%. «Démobilisé, le peuple algérien est aujourd'hui empêtré dans un fatalisme dont il peine à se sortir, juge Salah Eddine Sidhoum. L'opposition n'existe pas, et le régime est fort de notre faiblesse. Un journaliste d'El Watan m'a confié qu'il avait reçu des instructions pour ne pas faire écho à notre appel. Mais ce n'est pas grave : nous avons tenu des réunions tant bien que mal, et le texte circule. Cette période post-électorale qui s'ouvre est la plus propice au changement depuis bien longtemps. Le pouvoir n'a jamais été aussi discrédité, et s'affaiblit. Il ne peut plus agiter la menace islamiste à tout bout de champ. Il ne faut pas laisser passer cette chance de renouer avec un réel processus démocratique, base du projet politique Algérien lancé en 1954.» URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/300409/l-algerie-est-en-plein-coma-politique