Le Quotidien d'Algérie 07 novembre 2009 Ce qui devait arriver est arrivé fatalement. Plus de vingt ans après les événements douloureux des trois glorieuses d'octobre 1988 et de la loi du 23 février autorisant le multipartisme en Algérie, l'opposition est presque totalement décimée, anéantie. Pourtant, au début, lorsque les partis sont sortis de leur clandestinité pour entrer dans la légalité, personne ne pouvait imaginer une telle issue désastreuse. Bien rapidement après l'ouverture du champ politique, l'opposition est vidée de sa substance grise. Amoindrie, affaiblie par des rivalités internes et poussée jusqu'à ses derniers retranchements, celle-ci s'est montrée incapable de capter l'intérêt de la foule ou de canaliser les mouvements de protestation qui ont secoué violemment le pays au cours de ces vingt dernières années. Désormais, l'Algérie est sur un volcan, l'opposition assiste en témoin désabusé. Que s'est-il donc passé pour que l'opposition atteigne ainsi le creux de la vague ? Avec l'arrêt du processus électoral en 1991 et le coup d'état qui l'a suivi, les généraux algériens entendent ne rien céder du pouvoir qu'ils détiennent totalement et qu'ils exercent sans partage depuis prés d'un demi siècle. Les islamistes qui remportent une large victoire au premier tour des élections générales et locales en 1990, s'exaltent. Les généraux du DRS se frottent les mains. Le plan a marché comme convenu, à merveille. Il ne reste qu'a passer à la seconde étape du complot : l'arrêt du processus électoral. Ces zouaves qui ont été scrupuleusement triés sur le volet en 1958 par de Gaulle à Baden-Baden pour remplacer la colonisation en Algérie, ont de la suite dans les idées. En tous les cas, ils ne manquent ni d'imagination ni de culot politique. Pour le moment, ils n'ont rien à craindre. Les grands disciples de la colonisation, Mitterrand et Chirac, sont de retour au pouvoir en France. Loin de se douter des manipulations hautement scientifiques dont ils font l'objet, les dirigeants du FIS appellent à l'insurrection armée. Le compte à rebours commence. C'est le terrorisme pédagogique -officiellement pour sauver la république et la démocratie- avec toutes ses horreurs qui s'empare de ses crocs, tel un monstre, du pays. Des horreurs qui dépassent de loin celles du Rwanda, du Burundi et des Balkans ou les épurations ethniques ont fait des carnages sans nom. Le sang des algériennes et des algériens coule à flots. La vie d'une femme, d'un homme, d'un jeune ou d'un vieux n'a plus aucune importance. En l'espace de quelques mois seulement, l'Algérie perd un butin culturel, intellectuel et civilisationnel qu'elle a conquis après plusieurs siècles de sacrifices, de larmes et de sang. Plus qu'un avertissement aux élites du pays, l'assassinat de Liabes, Boucebsi, Djaout, Flici, Mahiou, Merbah, Belkaid, Alloula, Bouslimani, Hachani et Boudiaf, a été une véritable catastrophe qui a entraîné outre la fuite des cerveaux, des démissions en cascades de cadres d'un haut niveau de leurs partis respectifs. Le silence, la résignation et la démission contre la vie sauve. Quelle litanie ! Quel chantage crapuleux ! A présent les généraux sont sûrs qu'il n'y aura plus personne pour leur disputer le pouvoir qu'ils détiennent depuis prés d'un demi siècle. Ils viennent de monter toute leur férocité ; ils viennent de commettre au nom de la démocratie et de la République, les crimes les plus abominables de l'histoire de l'humanité… Le cycle infernal n'est pas pour autant terminé. Avec un art aussi raffiné que celui des Saint-cyriens qui ont mis au point la « bleuite » durant la guerre de libération, les généraux algériens organisent la destruction politique des « cibles » qui auraient échappé au rouleau compresseur du terrorisme pédagogique en faisant avaler à l'opposition un nouveau poison : la suspicion. Connaissant parfaitement la fâcheuse tradition d'autodestruction du mouvement nationaliste, Larbi Belkheir et ses amis lâchent des suggestions qu'ils font confirmer par des cadres oppositionnistes « retournés » en prison durant les années 80. Le poison se propage vite et gagne tous les état- majors politiques. La terrible accusation « il est du DRS » commence ses ravages autrement plus dévastateurs que le terrorisme politique. Les repris de justice, les homosexuels, les spéculateurs, les faux islamistes, les plumitifs en quête de gloire intellectuelle, les dealers, les prostituées, les apologistes et autres propagandistes à la solde du pouvoir se chargent du téléphone arabe Des lettres et des coups de téléphone anonymes envahissent les sièges de l'opposition. La suspicion et le dégoût atteignent leur paroxysme. C'est la paranoïa collective. Chacun suspecte l'autre. On voit partout des kapos et des indicateurs. La chasse aux sorcières est lancée à la grande joie des dirigeants opportunistes et ambitieux à qui le pouvoir a donné des illusions d'être des entités politiques incontournables. Des militants d'une rare honnêteté intellectuelle, pour la plupart des universitaires et des étudiants, ont été envoyés à la guillotine politique pour des appartenances supposées avec le DRS. « Il a une intelligence hors du commun, il a du talent, il ne peut être qu'un élément du DRS » Quel est donc ce pays au monde ou l'on accuse les gens pour leur intelligence exceptionnelle et leur talent ? Une autre tragédie à qui on n'ose pas donner son véritable nom de terrorisme politique, a sa longue liste de victimes. Des victimes qui portent des traumatismes et des blessures que le temps ne saura guérir.