Les interdictions des cafés littéraires en Kabylie sont de retour ! Après un relatif lâcher-prise des autorités locales arraché de haute lutte suite aux événements d'Aokas l'été dernier, le Café littéraire de Bouzeguène vient d'annoncer que la daïra lui interdit de tenir son programme du mois d'avril. Sans avancer le moindre motif ni notifier sa décision par écrit, le chef de daïra de Bouzeguène a interdit les quatre conférences prévues pour le mois d'avril, organisées par l'association Tiawinin qui donne rendez-vous chaque samedi, depuis des années, au public de la ville pour une rencontre-débat avec des écrivains, chercheurs et universitaires au Centre culturel Ferrat-Ramdane. L'association avait déjà fait les frais du diktat bureaucratique et de la volonté manifeste de censure des autorités locales : on se souvient en effet de l'interdiction de la rencontre avec Kamel Daoud en mars 2017, suivie d'une autre conférence non autorisée de la romancière Hiba Tayda en mai de la même année. Cela s'inscrivait dans une démarche globale de verrouillage des espaces de réflexion et de débat en Kabylie qui avait atteint son paroxysme à l'été 2017 où le café littéraire d'Aokas, essuyant une énième interdiction, a suscité une mobilisation mémorable des citoyens qui ont marché dans la ville, un livre à la main, et forcé les autorités à lâcher du lest. Depuis, une accalmie relative s'est installée dans la région jusqu'à ce début avril où le café littéraire de Bouzeguène annonce dans un communiqué publié jeudi dernier que son programme du mois vient d'être interdit par le chef de daïra et le directeur de la réglementation et de l'administration générale (Drag) de la wilaya de Tizi-Ouzou malgré l'avis favorable du maire d'obédience RCD. Il s'agit d'abord de la conférence de la romancière Hiba Tayda prévue avant-hier, laquelle s'est tenue malgré l'interdiction. Le président de l'association Omar Amroun, contacté par nos soins, explique en effet que les organisateurs ainsi que de nombreux citoyens de Bouzeguène ont bravé la décision du responsable local et persuadé le vigile d'ouvrir les portes du centre culturel. Et de préciser : «Ce dernier avait été préalablement vidé de ses chaises ; le public ainsi que notre invitée et le modérateur ont tout de même tenu la conférence à même le sol». Pour sa part, le P/APC M. Oudali Rachid a formellement démenti avoir pris part à la machine de censure de la daïra et de la wilaya : «La porte du centre culturel était bel et bien ouverte sous mon instruction. Quant aux chaises, elles étaient simplement dans une autre salle car l'espace où se tiennent les conférences est polyvalent, il sert également de salle de sport aux jeunes de la commune». Et de rappeler : «Je suis un militant du RCD, j'ai toujours dénoncé les pratiques liberticides du pouvoir et ce ne sera surtout pas moi qui vais contribuer à l'interdiction d'une conférence. D'ailleurs, au mois de janvier dernier, j'ai fait front avec l'association lorsque le chef de daïra avait interdit la rencontre avec l'universitaire Larbi Yahioun qui s'est tenue finalement en ma présence». L'élu RCD précise également que le maire n'a aucun pouvoir face à la centralisation des décisions et aux prérogatives étendues des services de daïra et de wilaya qui «mènent des enquêtes sur les personnes invitées et sur les thèmes des conférences. Les rencontres littéraires sont classées dans le registre des manifestations publiques dont l'autorisation ou l'interdiction relève de leurs services même si, techniquement, le centre culturel relève de l'APC». Le café littéraire de Bouzeguène interprète ces pratiques autoritaristes des pouvoirs locaux comme des mesures de restriction à la veille des commémorations du 20 avril qui se préparent dans un contexte sensible où les perspectives d'un cinquième mandat se précisent de jour en jour. Les organisateurs annoncent, par ailleurs, que les trois autres conférences se tiendront bel et bien aux dates prévues, à savoir : Tahar Ould Ammar autour de son livre Tafunast ittezgen le pétrole (La vache à pétrole) samedi prochain, Rabah Sabaâ auteur de Algéricides : chroniques d'un pays inquiète (le 21 avril) et Saïd Oussaâd pour son livre Le temps de mourir (28 avril). S. H.