Les derniers éléments survenus sur la scène internationale poussent aujourd'hui à s'interroger sur la position réelle de l'Algérie à l'égard de la Syrie. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les premières réactions d'officiels algériens aux menaces de frappes contre Damas ont, en effet, été suivies de certaines déclarations et faits qui ont eu tendance à brouiller le message que le pays veut en réalité faire passer. Le week-end dernier, soit deux jours avant le bombardement de sites suspectés de produire des armes chimiques, Abdelkader Messahel mettait en garde contre les conséquences pouvant découler d'un tel acte. Le MAE, alors en visite à Paris, informait également des journalistes français auxquels il s'adressait dans le cadre d'interviews, avoir eu des entretiens avec son homologue, Jean-Yves Le Drian «et d'autres parties» qu'il ne cite pas. Le monde se trouvait en ce moment en alerte en raison des signes démontrant que des frappes imminentes pouvaient se produire en Syrie. La déclaration de Messahel est reprise un peu partout dans les médias internationaux. La communauté internationale se trouve à cet instant complètement divisée sur la question. Les pays en faveur de «représailles» tentent de convaincre de la justesse de leur démarche, les contre menacent, d'autres, enfin, attendent de «voir venir» pour trancher. Jusqu'à l'heure, l'Algérie semble avoir adopté une position qui la rapproche davantage du bloc d'Etats hostiles à une intervention en Syrie. Très vite, cependant, les évènements évoluent. Appuyé par la France et la Grande-Bretagne, Donald Trump met ses menaces à exécution. Des missiles de la coalition s'abattent durant la nuit allant de vendredi à samedi (derniers). Quelques heures plus tard, à Alger, le Premier ministre en conférence «regrette ces frappes au moment, dit-il, où la communauté internationale attendait plutôt l'envoi d'une commission d'enquête pour évaluer ou vérifier les informations relatives à l'utilisation (présumée) d'armes chimiques que l'Algérie avait dénoncée. Il ajoute : «L'Algérie est signataire de la convention contre l'usage des armes chimiques et ne soutiendra pas l'usage de ce genre d'armes.» Le discours d'Ahmed Ouyahia est empreint d'une prudence qui laisse planer un certain flou sur la position algérienne. Soumis au traditionnel principe de non+ingérence et du refus de respect de l'intégrité territorial des Etats, le pays préfère vraisemblablement s'en tenir à des propos à même de maintenir des relations «équidistantes» avec les uns et les autres. Un nouvel élément survient, cependant, une journée après. La 29e réunion de la Ligue arabe se tient en effet dimanche, au lendemain des frappes, en Arabie Saoudite. Le prince Mohamed Ben Salman oriente naturellement les débats vers l'Iran accusé d'être à l'origine de la déstabilisation de la région. Il justifie également ses actions contre le Yémen en mettant en exergue les tirs de missiles houtis sur le territoire saoudien. Les frappes qui viennent de survenir en Syrie occupent peu de place dans les débats. Riyadh est dans une tout autre logique, guerrière, prête à se lancer dans une action similaire à celle menée par les Américains et deux partenaires occidentaux. La Syrie a d'ailleurs été exclue de la Ligue quelques années auparavant sur demande du Qatar aligné sur les demandes occidentales d'un départ de Bachar Al-Assad. Le communiqué final sanctionnant les travaux du sommet de Dhahran ne fait, par conséquent, aucunement état d'une condamnation des évènements qui viennent de se produire. Abdelkader Bensalah représente l'Algérie. Les comptes-rendus des médias ne font état d'aucune objection émise. Alger se serait-elle laissée entraîner dans une logique qu'elle réfute ? Ou aurait-elle agi ainsi par souci d'éviter d'ouvrir un front qui gênerait ses actions à l'échelle internationale ? Le glissement vers une position ambiguë est en tous les cas évident. Dans un entretien accordé à un journal saoudien, le ministre des Affaires étrangères affirmait pourtant la nécessité de dépasser les clivages entre pays arabes pour faire face aux graves crises en cours. Mais les décisions de la Ligue arabe semblent avoir pris le dessus. L'Arabie Saoudite mène le bal, insiste et fait pression pour bombarder Damas «avec d'autres parties». L'Algérie, insistait de son côté le MAE dans son interview, a d'excellentes relations avec les responsables saoudiens. Mardi, une lettre chaleureuse de Abdelaziz Bouteflika était adressée à Bachar Al-Assad à l'occasion du 72e anniversaire de l'indépendance de la Syrie... Le Parti des travailleurs (PT) a d'ailleurs vivement réagi à certains passages de cette lettre faisant référence au «sunnisme du peuple algérien». C'est une «précision étrange, une première dans la politique algérienne qui soulève bien des interrogations», indique le communiqué en s'en prenant au «rédacteur de la lettre qui semble s'aligner sur les positions de l'Arabie Saoudite cherchant à dresser les pays de la région sur une base religieuse extrêmement dangereuse opposant les sunnites aux chiites (...) L'Algérie, peuple et Etat, ne saurait s'impliquer dans les conflits communautaristes intermusulmans.» Le PT, qui semble s'inquiéter de l'existence de velléités poussant à l'alignement de l'Algérie sur les thèses saoudiennes, rappelle que «l'Iran n'est pas l'ennemi des Algériens et que les ennemis de la région et du monde sont les impérialismes et leurs valets locaux». Le parti a réagi tout aussi vivement au communiqué «honteux» du dernier Sommet arabe intervenu au lendemain des frappes en Syrie. La réunion qui s'est tenue en Arabie Saoudite confirme, dit-il, que «la Ligue arabe est devenue le repaire de la trahison et la compromission. Par conséquent, y siéger, c'est accepter le nivellement par le bas de nos principes». Les Etats ayant participé à cette rencontre ont été qualifiés de «valets arabes» par le parti de Louisa Hanoune qui estime également que les «regrets» d'Ouyahia «sont humiliants car en rupture avec les traditions et principes de notre pays opposé aux agressions extérieures». A. C.