Une réunion de crise s'est tenue hier au sommet de l'Etat en France pour chercher des réponses à la crise provoquée par les émeutes inédites qui ont secoué Paris lors des manifestations des «Gilets jaunes», ces Français modestes dénonçant la politique économique et sociale d'Emmanuel Macron. Le Président, tout juste rentré de Buenos Aires, a réuni à la mi-journée le Premier ministre Edouard Philippe, celui de l'Intérieur Christophe Castaner (accompagné de son secrétaire d'Etat Laurent Nunez) et François de Rugy, ministre de l'Ecologie, pour tirer les conséquences de l'incroyable journée de samedi où des quartiers huppés de Paris ont été le théâtre de scènes insurrectionnelles. Auparavant, il s'était rendu au pied de l'arc de Triomphe, célèbre monument parisien où repose le Soldat inconnu, qui a été dégradé samedi lors de la troisième journée de mobilisation des «Gilets jaunes», fronde de Français et Françaises modestes auxquels se sont joints de nombreux casseurs, qui semblent échapper à tout contrôle. Un total de 136 000 personnes ont participé samedi dans toute la France à la troisième journée de mobilisation des «Gilets jaunes» au cours de laquelle 263 personnes ont été blessées contre 166 000 le samedi précédent (chiffre revu à la hausse hier, le précédent étant de 106 000). Au total, à Paris, 412 personnes ont été interpellées et 378 placées en garde à vue, selon un bilan hier de la préfecture de police qui chiffre à 133 le nombre de personnes blessées dans la capitale. Dans la nuit de samedi à dimanche, un automobiliste est mort à Arles (sud-est) après avoir percuté un poids lourd à l'arrêt en raison d'un embouteillage provoqué par un barrage de «Gilets jaunes». Cet accident porte à trois le nombre de décès liés au mouvement depuis son démarrage voilà trois semaines. Samedi soir, alors que des voitures brûlaient en plein Paris et que des magasins étaient pillés, Emmanuel Macron avait accusé les manifestants violents de ne vouloir que le «chaos». Son ministre de l'Intérieur Christophe Castaner n'a pas écarté la possibilité d'instaurer l'état d'urgence pour éviter une nouvelle flambée de violences samedi prochain. Le président du Sénat Gérard Larcher a exhorté hier le gouvernement à apporter «une réponse politique» à la crise, jugeant que le gouvernement n'avait «pas droit» à «un troisième samedi noir» à Paris. Le gouvernement doit trouver une réponse sécuritaire aux méfaits des casseurs mais ne peut manifestement plus faire l'impasse face à la «colère légitime», selon les mots du président, des «Gilets jaunes», ce mouvement social protéiforme qui s'élevait au départ contre la hausse des carburants puis s'est élargi au pouvoir d'achat et qui accuse le gouvernement de les traiter par le mépris et l'intransigeance. Après la folle journée de samedi, marquée aussi par des manifestations et des heurts en province, certaines voix du pouvoir laissent entendre qu'il y aura du changement, au moins dans la forme, de l'action gouvernementale. «Là où on a péché, c'est que l'on a été trop éloignés des réalités des Français», a estimé dans le Parisien le nouveau patron du parti macroniste LREM (La République en Marche), Stanislas Guérini, élu samedi. Samedi soir, M. Castaner a reconnu que le gouvernement s'était «planté sur un certain nombre de séquences de communication et de pédagogie, notamment sur l'enjeu de se sortir du tout pétrole», puisque le boutefeu de cette colère populaire a été un projet de taxe sur les carburants censée financer la transition écologique. Mais l'opposition et une partie des «Gilets jaunes», mouvement sans structure ni dirigeant clairement désigné qui a pour signe de reconnaissance le gilet de sécurité fluorescent des automobilistes, réclament d'abord un geste fort au gouvernement, à commencer par un moratoire ou un gel de la hausse des taxes sur les carburants. A droite, le président des Républicains, Laurent Wauquiez, a réitéré son appel à un référendum sur la politique écologique et fiscale d'Emmanuel Macron. Marine Le Pen (extrême droite) a demandé à être reçue par M. Macron avec les autres chefs de partis politiques d'opposition. Elle a aussi demandé la dissolution de l'Assemblée nationale et de nouvelles élections. A gauche, le patron des socialistes, Olivier Faure, a réclamé des Etats généraux sur le pouvoir d'achat. Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise (gauche radicale), a appelé à rétablir l'impôt sur la fortune et applaudi «l'insurrection citoyenne» qui «fait trembler la macronie et le monde du fric». Face à ces revendications, pour la plupart sur la table depuis plusieurs jours, le gouvernement a annoncé des mesures d'aide (chèque énergie, prime à la conversion) mais écarte tout changement de cap. Hier, son porte-parole Benjamin Griveaux a réitéré cette position, «parce que le cap est le bon». Face à la difficulté de canaliser vers des structures de négociation un mouvement né hors de tout cadre, M. Griveaux a rappelé la disposition du gouvernement au dialogue, assurant que l'exécutif est «prêt» à discuter avec les représentants de «Gilets jaunes libres» auteurs d'une tribune appelant à une sortie de crise publiée dans le Journal du Dimanche.