Mercredi dernier, j'étais aux abonnés absents. Je n'ai pas pris un week-end prolongé du côté de Oued R'hiou, ni pris un avion en direction de la magie du Sud, vers Timimoun. J'aurais bien aimé. Puis j'aurais pu, de là-bas, accompagné d'un verre de thé, ficeler ma chronique. J'aurais pu écrire la nonchalance des dunes, le pourpre du coucher de soleil et la gentillesse des Sudistes. Comme j'aurais pu, à partir d'Oued R'hiou, consacrer l'attente de cette ville, le silence de ses rues et l'appel de ses gens. Cette éclipse n'est due sincèrement qu'à une migraine, mauvaise comme une teigne, collante comme la pire des glues, imparable comme un coup de poing traître et «solide comme l'ennui». J'ai avalé une poignée d'antalgiques, enfin ce qui existe sur le marché, aucun résultat. C'est de l'automédication, je l'avoue, mais avec l'aide du pharmacien. Oui, avec beaucoup d'eau. Puis, j'ai essayé les trucs de grand-mère. Walou ! C'est la guigne ! Oui, du vinaigre blanc sur le crâne, qu'il faut attacher avec un foulard. Rien ! Des patates coupées en rondelles autour de la caboche. Rien ! J'ai appliqué un onguent, «le baume du tigre», m'a-t-on dit, ça brûlait, ça piquait. Sans plus ! J'ai baissé les stores de la chambre, me suis allongé, mis un second oreiller. Walou ! Aller aux urgences ? Oui, j'y ai songé. Mais, juste à me rappeler la pagaille de nos hôpitaux, j'ai préféré renoncer à une autre torture. Un pote m'a dit : «Change de tête et tu auras la paix du crâne.» Sacré farceur ! Entre nous, j'aimerais bien donner aux chacals cette tête migraineuse. Et disposer d'une autre, avec un compteur à zéro. On n'en est pas encore là, malheureusement. Avec ça, j'ai laissé tomber. J'ai baissé les bras. J'ai pris un coin. Et j'ai attendu, patiemment, douloureusement, que la tempête cervicale passe son chemin. Sauf que j'ai loupé ma chronique du mercredi. Comme c'est la caboche qui fait fonctionner tout le reste, vous comprendrez ma tendance buissonnière. Je vais essayer de rattraper le temps perdu. Car, comme vous tous, je suppose, j'ai reçu la lettre. Oui, la Lettre ! Je l'ai lue. Comme tout le monde, je suppose. J'ai tenté de décrypter la chose. Franchement, je n'ai pas été loin. Une fois que j'ai compris que l'Algérie allait avoir un ex-futur-Président, je n'ai pas cherché à me fouler les méninges. Sur le programme, je n'ai rien à dire. Je le vois. Je le touche. Je le vis. J'en souffre. Et ce, depuis le premier mandat. Déjà, oui, déjà ! Que voulez-vous, je suis une fine bouche. Ou une mauvaise gueule ! Je dis les choses comme je les pense. Je ne fais pas dans l'hypocrisie électorale. Car, il faut que je vous dise qu'il n'y a pas eu cinq mandats. Il y en a eu plus. Il faut faire le compte des mandats depuis 1962. Hormis, bien sûr, la parenthèse enchantée de M. Boudiaf. Ce sont les mandats d'une même caisse. Ou les maillons d'une même chaîne. Quand j'ai lu la Lettre, je me demandais si je pouvais lui faire une réponse. Juste pour dire à l'ex-futur-Président qu'il était inutile de gaspiller des sous pour une élection. Faisons une économie ! Lui dire, également, que le programme, en deux points, est à la démesure de notre médiocrité. On va se réunir. On va jacter. On va gaspiller la salive algérienne. Un peu comme en 1976 ! On va faire semblant d'écouter. De noter. De débattre. Puis, plus rien ! Juste, on décidera ce qui est déjà décidé. On bidouillera la Constitution. Et vogue la galère pour une éclipse de cinq ans. Moi itou, je gaspille mon temps. Et mon énergie. Je compte pour du beurre rance. Une fois lue, cette chronique ira recueillir, en son sein, un kilo de sardines. Je pisse sur du sable. Je prêche dans le désert. Je crache mes vérités ; ma gueule les recevra, gluantes et inutiles. La décision est déjà prise. Même si le décorum se met en place. Comme il se doit. Les affiches s'affichent. Les ministres distribuent des logements, des hôpitaux et des promesses prometteuses. L'hôpital de Bouzeguène date, déjà, de 1990. C'est où Bouzeguène ? Bonne question. Qui cherche trouve ! La HIISE (c'est ça ?) fait des permanences ; elle surveille. Les listes électorales se révisent. Le décompte des urnes s'assure. Ah, j'ai failli oublier. Il faut préparer les murs pour les affiches. Un mur ! Pourvu que ce soit un mur. Le staff de campagne est prêt. Son président lance d'ores et déjà les invitations pour les noces électorales. La machine se met en marche, ya kho ! A fond la caisse ! Moteur en trombe. Accélérateur sur la moquette. Pas de code de la route. Il faut foncer. Il y a une élection en jeu (zaâma). Ah, j'ai ouï dire que la Mosquée d'Alger sera inaugurée incessamment sous peu. Malin celui qui me dira le nom qu'elle portera ! Jusqu'ici nos mosquées portent les noms de Taqwa, de Nour, de Lhouda… Et celle-là, la plus grande, la plus onéreuse, du plus grand minaret, l'unique en Afrique, portera quel nom ? Chiche, les paris sont lancés. J'ai une petite idée dans mon crâne perclus de migraine ; mais je ne dirai rien. Je refuse de devancer les suffrages. Mieux que ça, il n'est plus nécessaire de rembourser les crédits du tiroir-caisse. Pas de poursuites judiciaires. Il y a mieux : les demandeurs de registre de commerce n'ont plus à chercher un local. Il suffit d'une simple demande. Et hop, le papelard est déjà entre vos mains. Après cela, qu'on choisisse un bout de trottoir. Et hop, qu'on monte sa «hanouta». Plus généreux que ça, tu meurs. Plus magnanime que ça, tu crèves. Au nom du cinquième mandat, l'éclipse voilera le ciel d'Algérie. C'est dans l'ordre naturel des choses. Puis, s'il y a des mécontents (ces ennemis de l'intérieur), la rue, nous la maîtrisons. Votre mécontentement, vous l'avalez. Et silence dans les rangs ! Une-deux, une-deux, au pas cadencé ! Resserrez les rangs ! Aucune tête ne doit dépasser. Les journaux ? Qu'ils déblatèrent à leur guise. Les journaleux ? Qu'ils aillent au bain maure du coin frotter leur crasse et leur venin. L'opposition ? Ne me faites pas rire ; elle peut courir, autant qu'elle veut ; elle n'a ni la vitesse ni l'endurance. L'Europe ? Qu'elle s'occupe de sa droite extrême. Les USA ? Que Trump s'occupe de son mur. L'Afrique ? Là-bas, le mandat est à vie ; chez nous, il est limité à deux. L'Asie ? Elle est loin de nous. Les pays arabes ? Wech, les Arabes, c'est nous ! Y. M.