Pas de marche sans slogans. Ils sont là tous les vendredis et à travers toutes les wilayas. Une forêt d'écriteaux, pancartes et banderoles en arabe, en français et parfois même en anglais brandis par les manifestants pour exprimer des revendications. «Silmya, silmya», «Yetnehaw gaâ», «Système dégage», «L'article 102 sans eux», «Summer is coming : libérez Club-des-Pins», «Ce n'est pas à mon ex de me choisir une femme» ; «Il n'y a que Channel pour faire le n°5»... Un humour corrosif accompagne ces messages accrochés aux façades des immeubles ou agités par les manifestants de tous âges. Hommes, femmes et même enfants sont de la partie. On a même vu un bébé dans les bras de son père tenant un écriteau : «10 mois seulement sous Boutef et j'en ai marre.» Tout au long de la semaine, les gens guettent l'évolution de la situation afin d'adapter leurs slogans le jour de la marche hebdomadaire. En famille, entre amis ou en solo, pancartes et banderoles sont préparées dans un esprit festif et joyeux. C'est à celui ou celle qui aura le slogan le plus original, le plus subtil, le plus marrant. Témoignages. Souhila, 22 ans «Je suis étudiante à Bab Ezzouar. Depuis le 22 février, je participe à toutes les manifestations aussi bien celles de vendredi que celles des étudiants le mardi. Avec ma bande d'amis, nous cotisons pour acheter des bombes aérosols, des tissus, des drapeaux. Nous faisons de vraies réunions pour choisir nos slogans en nous inspirant de l'actualité. Nous reprenons ceux qui sont les plus en vogue, les plus pertinents, les plus drôles. Les dessins ne sont pas exclus de nos pancartes. Une caricature est plus parlante parfois qu'un message écrit. C'est très important pour mes amis et moi de nous retrouver dans la bonne humeur pour partager ces moments de ‘‘travaux pratiques''. C'est une façon nouvelle de nous exprimer et d'espérer être écoutés.» Maâmar, 43 ans «C'est en famille qu'on rédige nos pancartes. On organise de véritables ateliers de peinture et de collage chaque jeudi soir. C'est important d'attendre la dernière minute afin d'adapter nos revendications à l'évolution de la situation politique. Au début, c'était ‘‘Pas de 5e mandat'', puis ‘‘Pas de prolongement du 4e mandat'', puis ‘‘Article 102 sans eux''... Il faut coller à l'actualité, sinon nos slogans n'auront aucun sens. Ma femme, ma mère, mes deux enfants participent joyeusement à leur confection. On a les doigts pleins de feutre et de peinture, mais dans la rue on est fiers d'exhiber nos écriteaux en famille et de recueillir le sourire des manifestants ainsi que les flashs des photographes.» Salim, 26 ans «Je suis de toutes les marches citoyennes depuis le 22 février avec ma bande de copains. Nous ne manifestons pas les mains vides. En plus de donner de la voix, nous nous exprimons à travers des slogans écrits sur d'immenses pancartes en contreplaqué. Nous nous partageons les frais pour acheter le nécessaire (peinture, pinceaux, marqueurs, bombes aérosols... C'est dans le garage d'un copain que nous nous réunissons pour chercher des idées de slogans. Plus il y a de rimes, plus les phrases sont drôles et plus nous sommes contents. Ces ‘'brain storming'' sont des rendez-vous de convivialité, de partage et d'espoir aussi. Nous espérons faire aboutir nos revendications. Faire tomber ce régime de corrompus et ouvrir une nouvelle page pour une seconde république où les jeunes auront leur rôle à jouer. Les slogans sont un moyen d'expression. Ils témoignent aussi de l'histoire de l'Algérie qui est en train de s'écrire en ce moment même.» Par groupe ou en solo, hommes, femmes, enfants affichent fièrement leurs slogans chaque vendredi. Ces mots inscrits sur des banderoles ou des pancartes traduisent tous la volonté d'un peuple qui se bat pour la liberté, la démocratie, le changement et la justice sociale.