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L'EX-DNC/ANP : le fleuron des industries du bâtiment
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 05 - 2019


Par Mohamed Boubetra
Je pense à l'homme illustre, le regretté colonel Abdelmadjid Aouchiche, qui a marqué l'histoire du bâtiment local et autres infrastructures d'une empreinte indélébile. Cet homme a réalisé de grandes choses et a pu en rêver grand et beau dans le cadre d'une politique de prévenance dans la réalisation tous corps d'état, de milliers de logements : deux grandes Universités des sciences et de la technologie USTHB et USTO, sciences islamiques de Constantine, Institut maritime de Bou Ismaïl, le ministère du Commerce ; lycées, CEM, APC, complexe équestre du Caroubier pour les amoureux de la race équine, notamment le pur-sang arabe sans compter des milliers de logements, notamment à Sidi Moussa.
Doté d'un réel talent de visionnaire, entretenu par la parfaite harmonie de la personnalité, l'obtint par un exercice alterné d'action et de pensée méditative. Comme le disait si bien le philosophe français Henri Bergson : « Conseiller d'agir en homme de pensée et de penser en homme d'action .»
Je fus longtemps sociétaire de cette entreprise du bâtiment en passant d'abord par l'administration centrale puis l'entreprise nationale et enfin le privé qui clôt mon nomadisme professionnel.
Même si toutes les pensées sociales partent de l'idée que les entreprises publiques, d'Etat, dans quelque domaine que ce soit, se conservent, s'avère une illusion quand presque toutes les nôtres qui rivalisaient avec les meilleures du continent africain et certains pays d'Europe de l'Est et même de l'Ouest ont été dissoutes sans poursuite d'activité et le personnel révoqué ad nutum, moyennant une indemnité de licenciement correspondant à douze mois de salaire.
Vingt ans après l'écroulement d'une grande partie des entreprises nationales et la floraison d'entreprises et sociétés privées ; versées dans un domaine d'activité quelconque, auraient pu prendre l'initiative de résorber partiellement le chômage devenu endémique, à l'instar des sociétés, entreprises de l'Occident de reprendre à temps partiel, une grande partie des travailleurs licenciés. Aujourd'hui, on aurait évité, à bien des égards, que la situation des ouvriers professionnels encore valides soit pire qu'il y a vingt ans.
En 2008, j'avais relevé dans un quotidien national d'information, avec une surprise hébétée, que nos réalisations en BTP (résidu) devaient profiter de la présence des expatriés pour acquérir un « savoir-faire » et se mettre au diapason des plus performantes.
J'avais envie de rire de cette hérésie technique, en même temps versé des larmes parce que j'ai vécu le summum de la performance de la DNC/ANP. Il n'est jamais venu à l'idée des artistes architectes de renommée mondiale tels : le Brésilien Oscar Niemeyer, le Japonais Kenzo Tange et le Français Fernand Pouillon pour ses réalisations hôtelières et touristiques d'imposer une quelconque société étrangère de sous-traitance pour réaliser leurs joyaux d'architecture à Alger, Oran, Constantine.
Ils comptaient sur le grand bâtisseur qu'était la DNC/ANP aguerri à des travaux d'envergure pour avoir acquis au fil des ans un savoir-faire exceptionnel à telle enseigne qu'elle était en mesure de rivaliser, sans complexe, avec les meilleures sociétés et entreprises de réalisation étrangères.
Le colonel Aouchiche, à cheval sur les principes d'un travail exécuté dans les règles de l'art, délais convenus, propres et sans réserves. Il avait gagné son pari pour avoir puisé dans la grande Université algérienne des années 60/70, une pépinière des cadres et techniciens de très haut niveau. Après la disparition prématurée de cette entreprise comme toutes les autres grandes entreprises, fierté d'une nation en marche vers le progrès, rien n'est plus comme avant.
La formation des cadres techniques, pour beaucoup d'entre eux une spécialisation à l'étranger, gage du sursaut dans la modernité. Le pays avait dépensé sans compter des sommes colossales pour se défaire graduellement de la tutelle de l'étranger ; cela n'aura servi à rien puisque se sentant frustrés après la liquidation sans poursuite d'activité, toute une armada d'ingénieurs, architectes, techniciens de haut niveau et autres cadres des sciences sociales, médicales etc., que l'étranger convoitait déjà, sont partis sous d'autres cieux faire la richesse de l'Occident.
Pour l'anecdote, au lendemain de la disparition, dissolution de la DNC/ANP, Sonatiba, Ecotec, SNB Trapal, SN.Trav, Sorecal... Dans le contexte culturel relatif à l'achèvement du programme de construction de 1 000 CEM (collège d'enseignement moyen), on fit appel à des sociétés étrangères, parmi elles le grand groupe français Bouygues qui a réalisé clés en mains 3 CEM en une année. Une performance, certes, mais en comparaison à ce qui a été réalisé par la DNC/ANP, le puissant bâtisseur français venait loin derrière.
La DNC/ANP réalisa clés en main onze CEM en une année. Une performance remarquable, un honneur pour une entreprise, cent pour cent algérienne qui affronta avec succès un challenge international. L'autre prouesse que peu de sociétés n'ont pu égaler : livrer dans les délais convenus la partie du complexe du 5 Juillet qui lui incombait, une semaine avant l'ouverture des Jeux méditerranéens de 1975.
La supériorité de la DNC/ANP résidait dans sa force de travail. Juste derrière Sonatrach, elle employait 50 000 travailleurs toutes catégories socioprofessionnelles confondues et maîtrisant parfaitement la fonction à laquelle était affecté l'agent.
Ses unités de second œuvre constituaient un atout majeur pour éviter tout retard dans la livraison des ouvrages ; menuiserie bois, aluminium, ferronnerie, télécommunications, chauffage et climatisation, plomberie sanitaire, étanchéité, ameublement et décoration, immense atelier de mécanique essence et diesel, faïencerie et carrelages, un vaste magasin central situé à Oued Smar destiné aux travaux de gros et second œuvre.
Entreprise dont je faisais partie intégrante dès l'année 1970 ; tout le personnel sans exception était scrupuleux dans l'exécution de sa tâche.
J'ai eu cette chance inouïe de travailler avec des personnes de la trempe qu'aujourd'hui, on rencontre rarement. Affables, coopératifs, diplômés de grandes universités algériennes, étrangères et grandes écoles d'Algérie, effectivement grandes comme l'étaient l'Université d'Alger, USTHB, USTO, celle de Constantine, Ecole supérieure de commerce, Ecole des ponts et chaussées, EPAU, ENSI Oued Smar, Ecole polytechnique... formaient des cadres que l'étranger se disputait.
Le grand architecte brésilien Oscar Niemeyer, mort si mes souvenirs sont bons à 104 ans, que j'avais rencontré dans les locaux administratifs de l'USTA avant d'être débaptisé au nom du regretté président Houari Boumediène, USTHB, et avec lequel je me suis entretenu lors d'une réunion improvisée en compagnie de son chef de projet, architecte « Georgio » qui m'avait confié un travail, me laissa pantois et quelques collègues de travail conviés à cette réunion, notamment un ingénieur, un architecte et un économiste dont la sagesse est liée au savoir qu'à la modération dans la conduite. Sincère dans ses propos, le vieil architecte mondialement connu nous laisse entendre : « Si l'Algérie continue de former des cadres de cette qualité en faisant allusion à mes collègues dont quelques années plus tard, deux seront ministres, l'Algérie n'aura plus besoin de moi et de tout étranger pour réaliser ses joyaux d'architecture. »
Comme le disait si bien Charles Aznavour dans sa chanson au succès retentissant La Bohême c'était un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.
Il y a longtemps, notre dignité d'homme venait de notre travail. On nous avait appris à l'école que le premier sentiment moral, c'est le respect de la personne humaine. Aujourd'hui, malheureusement, on ne respecte plus ce principe élémentaire de la bienséance. Au contraire, nous sommes imprégnés de ce caractère immoral de traiter une personne comme une chose ; une fois « consumée », on s'en débarrasse. Les travailleurs qui s'échinaient au labeur à l'orée de l'indépendance, aujourd'hui, à la retraite, méritent plus d'égards, car même s'ils travaillaient par nécessité économique, tous se sentaient utiles au pays qui avait besoin de têtes et de bras pour relever les défis qui se présentaient à lui.
L'individualisme outrancier, longtemps décrié pour tourner le dos au plus faible, accumule le plus gros des richesses pour lui redistribuer le résidu. Sur un fond hideux de personnalisme féroce, le travailleur des années 1960 et 1970 est presque réduit à la mendicité. Dans cette perspective, il est des fois tentant de se replier sur le passé pour trouver des repères. Chercher dans le tourbillon du présent ce qui donne la valeur aux traditions de la tempérance. Sous le règne actuel de la marchandisation du monde, les puissants ne s'intéressent qu'en termes d'argent et de pouvoir, le retraité ne peut plus penser qu'en termes de survie, s'il y a plusieurs décennies, le travailleur baignait dans le bonheur, l'égocentrisme était un mot presque inconnu de son vocabulaire. Il pensait au bonheur d'autrui quelle que soit sa condition. Le fléau du misérabilisme sévissait malheureusement avec acuité dans plusieurs pays de la région. Par la grâce de Dieu, notre main-d'œuvre n'était pas vouée à l'inculture sous le poids des contingences, nolens volens, elle menait une vie simple et heureuse. Elle n'avait pas des poires d'angoisse.
Les retraités des quinze glorieuses, celles qui correspondaient au décollage économique et où, à l'usine, le sidérurgiste, le métallo, l'ajusteur, le mécanicien, le grutier... étaient aux commandes des machines industrielles, aux hurlements des souffleries occasionnant parfois des troubles sonores. Dans l'administration, il n'était pas ce fonctionnaire vétilleux et impérieux difficile à aborder. Dans les exploitations agricoles, qui furent créées grâce à des changements sociaux plus ou moins révolutionnaires, l'agriculteur se levait tôt et se couchait tard. Les mains calleuses par la mécanisation, il a joué un rôle déterminant dans l'accroissement des rendements agricoles. Il veillait au grain. Sur le chantier de construction ou la plateforme de forage, le maçon, le ferrailleur, le manœuvre, le sondeur, l'accrocheur en haut du derrick à 20 ou 30 mètres du sol, sous un soleil de plomb sur son front déjà brûlant. Tous ces travailleurs ont su faire de rectitude et de fidélité envers le serment de Novembre 54. Ils n'étaient pas enclins à l'incurie. Pour un fait véridique qui se perdra peut-être dans l'anecdote, nous dédions une pensée à notre ami et collègue H. K., qui nous a quittés il y a trois ans et qui figurait parmi ces guerriers du labeur pour avoir trimé dès l'année 1969 sur la plateforme de forage de Tiguentourine, Rhoude E Nouss.
Après plusieurs décennies de dur labeur, la situation dans laquelle se retrouvaient plusieurs de nos collègues, ces vieux partisans du stakhanovisme, ces vieillards cacochymes au visage ridé encore en vie, n'est guère reluisante. La maigre pension perçue les empêche de mener une fin de vie décente, sachant bien qu'ils ne s'endorment pas dans les délices de Capoue. Jambes vacillantes, vue basse... conscients de ne servir plus à « rien », ils sont néanmoins les premiers à répondre aux appels de la Nation quand il s'agit de faire leur devoir de citoyens.
M. B.


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