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Que répondra l'Algérie à l'appel d'Al Serraj ?
Crise en Libye
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 12 - 2019

Mais quelle mouche a piqué Recep Tayyip Erdogan, le Président de la Turquie, quant à la guerre civile en Libye ? En effet, le leader turc, lors d'une visite en Malaisie, a pris la presse à témoin, déclarant : «Il n'est pas possible de rester indifférent à ce qu'il se passe en Libye.»
Et plus clairement, il déclare que «Haftar n'a pas de légitimité à l'inverse de son rival Fayez Al Sarraj ,dont il soutient le gouvernement. Il lui est prêté l'intention de dépêcher des troupes sur le territoire libyen dont le but serait de contrer la France, les Emirats arabes unis et l'Egypte. Mais qu'est-ce qui motive un tel intérêt d'Erdogan pour un pays éloigné de plus de 2000 km de la Turquie et à l'histoire de ces deux pays aussi lointaine qui remonte au 16e siècle aux temps glorieux de l'empire ottoman ? Est-il imaginable qu'il puisse se prévaloir de droits historiques sur cette région du Maghreb ? C'est une hypothèse formulée par certains observateurs agacés par l'activisme du régime de celui qui veut être leader du monde musulman.
La position exprimée a le mérite d'être claire dans son effet d'annonce mais cacherait des desseins inavoués dans son implication en faveur de son désormais protégé libyen. Mais loin de favoriser une quelconque solution de paix, la Turquie introduit une nouvelle donne dans un dossier à plusieurs inconnues tant il voit s'y intéresser de nombreuses parties mues par des intérêts stratégiques communs de circonstance car dans le même temps, chacune tente de « tirer la couverture à soi ».
C'est dire que le pays du fezzan est transformé par les volontés d'ingérence en un formidable foyer de rivalités qui aiguisent les appétits et qui font courir à toute la région une menace d'extension du conflit aux répercussions incontrôlables. Qu'on en juge : le pays regorge de pétrole avec des réserves estimées à 41,5 milliards de barils qui le placent à la 9e place dans le monde et le 1er en Afrique. Khalifa Haftar, l'homme fort de Benghazi, a ainsi vite fait de faire main basse sur les champs de pétrole de Syrte (70% du pays) et d'Al Charara. Cela lui vaut ainsi d'avoir en main de formidables atouts dans la recherche d'alliances dans sa guerre contre le Gouvernement d'unité nationale (GNA), reconnu par l'ONU. Mais si l'argent n'a pas d'odeur comme dit un dicton, apparemment le pétrole aussi. Et c'est la curée et chacun des interventionnistes veut sa part et la part du lion pour le plus entreprenant évidemment. Les velléités d'Ankara ne peuvent pas ne pas s'inscrire hors de cette volonté d'accéder à une part du gâteau sur le dos du peuple libyen soumis depuis 2011, date de l'assassinat de Kadhafi, aux pires conditions d'existence.
Dans cette danse macabre autour du cadavre encerclé, l'Egypte du général Abdelfatah Al Sissi donne de la voix pour revendiquer un rôle dans la crise libyenne, d'abord en prenant fait et cause pour Haftar et rappelle ses bons sentiments à Erdogan déclarant tout net, mardi dernier : «Nous n'autoriserons personne à contrôler la Libye.» Ajoutant : «C'est une question qui relève de la sécurité de l'Egypte.» La Turquie d'Erdogan va-t-elle joindre le geste à la parole en envoyant des troupes à Tripoli donc pas loin des frontières algériennes ? Dans cet échiquier à plusieurs joueurs, les risques de déflagration régionale ne sont pas à exclure et chacun sait à quoi s'en tenir.
Plus encore que tous, l'Algérie, qui partage près de 1000 km de frontières avec son voisin libyen, est exposée. L'attaque du complexe gazier de Tiguentourine par des terroristes venus justement du territoire libyen rappelle la nécessité vitale de se prémunir contre ce danger. C'est pourquoi l'Algérie n'a de cesse d'appeler à une solution politique de la crise libyenne, à mettre en place par les Libyens eux-mêmes, sans ingérences extérieures. D'intenses efforts diplomatiques ont été menés dans ce sens, mais les enjeux énormes semblent hypothéquer la voie de la paix. Benghazi contre Tripoli, c'est désormais deux positions inconciliables dont les va-t-en-guerre privilégient la carte Haftar. Ce dernier ne s'offusque pas de chercher de l'aide même chez le « diable », en accueillant des experts militaires israéliens pour encadrer ses troupes qui essuient échec après échec depuis son offensive ratée contre Tripoli en avril dernier. Mais ses velléités de « prendre » la capitale libyenne reprennent du poil de la bête puisqu'il promet, grâce au soutien de ses sponsors, de « boucler l'affaire » très vite. Le gouvernement d'Al Sarraj, qui a conscience de l'attaque imminente, en appelle à l'aide de cinq pays amis dont l'Algérie. Il est évident que cela complique un peu plus le problème.
En tout cas, cela peut à, tout moment, faire voler en éclats le statu quo actuel. Bien qu'en haut lieu du pouvoir algérien l'on est au fait des tenants et des aboutissants des derniers développements de la crise qui enfonce chaque fois un peu plus le pays dans le chaos depuis maintenant huit ans. Toutefois, l'on serait bien surpris que l'Algérie réponde aux sollicitations d'Al Sarraj par l'envoi de troupes au sol, étant contre l'interventionnisme et qu'aucun soldat algérien ne sera envoyé hors du territoire national, sa mission étant la défense du pays. Au niveau non officiel, l'Algérie, qui ne s'est jamais départie de sa position traditionnelle, n'en affiche pas moins son souci de voir la stabilité régner dans ce pays. Il faut rappeler que dans les moments forts de l'embargo aérien imposé à Kadhafi par la coalition occidentale, feu le Président Chadli est allé, par route, s'informer auprès de qui de droit. Outre le travail diplomatique intense tendant à rapprocher les points de vue libyens quant à une sortie de crise, l'on murmure que du matériel stratégique et des experts algériens sont aux côtés du gouvernement légitime. Cette indication a été fournie par l'ancien ministre de la Défense français Jean-Pierre Chevènement, dans une conférence au Centre culturel français d'Alger (CCI).
Et comme pour mieux corser la crise, deux géants de la politique mondiale s'invitent. La Russie tout d'abord dont des mercenaires au nombre de 800 activent aux côtés de l'armée de Haftar, tout en affirmant soutenir le gouvernement légitime. Suffisant en tout cas pour mettre la puce à l'oreille des Américains qui y voient là un jeu incompatible avec leurs intérêts évidents dans cette région frontalière avec les pays du Sahel où ils disent mener une guerre contre les terroristes islamistes et les narcotrafiquants.
Pour l'heure, Washington n'entend pas être doublé dans ce qui est transformé en panier à crabes par les appétits manifestes des intervenants dans la guerre civile libyenne qui peut nous réserver bien des drames.
Les Etats-Unis déclarent soutenir «pleinement la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Libye» et demandent ainsi au maréchal Haftar de travailler à une solution pacifique et politique du conflit en cours, et au départ de ces troupes étrangères. Il est évident que «l'implication d'acteurs internationaux et régionaux, tant étatiques que non-étatiques, persiste et va croissant.
La fourniture de matériel militaire par des pays tiers et l'intervention directe de groupes armés étrangers dans les combats sont des facteurs de déstabilisation».
Brahim Taouchichet


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