Le président du Conseil présidentiel du gouvernement d'entente nationale de Libye, Fayez El Sarraj, est depuis hier à Alger pour une visite officielle de deux jours. Cette visite intervient dans un contexte extrêmement tendu en Libye, où le gouvernement local reconnu par la communauté internationale et le Parlement de Tobrouk s'adonnent, depuis mars dernier, à un véritable bras de fer. Les nombreuses rencontres prévues entre Fayez El Sarraj et les responsables algériens, dont le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le ministre des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel, sont destinées justement à faire le point sur cette inquiétante crise ouverte. Soutenu par les forces armées du maréchal Khalifa Haftar, le Parlement de Tobrouk, reconnu internationalement également et dirigé par Aguila Saleh, s'entête à refuser d'accorder sa confiance au gouvernement d'entente. Cette situation de blocage fait prendre le risque à la Libye de sombrer à nouveau dans la guerre civile. Les craintes d'un affrontement entre Tripoli et Tobrouk (il y en a déjà eu cette année) sont fondées, surtout que le maréchal Khalifa Haftar a encore rejeté, la semaine dernière, les appels à la réconciliation nationale de Fayez El Sarraj. Pis encore, il refuse lui aussi de composer avec le gouvernement d'entente. Refus de dialoguer Pourquoi ce refus de dialoguer ? Pour lui, «Tripoli est prise en otage par les milices». L'armée qu'il dirige, a-t-il encore soutenu, ne travaillera qu'avec le Parlement élu et reconnu installé à Tobrouk. Dans les faits, c'est plutôt le Parlement de Tobrouk qui obéit aux injonctions de cet ancien officier de l'armée de Mouammar El Gueddafi qui fut, un temps, chargé de guerroyer dans le nord du Tchad. Khalifa Haftar est le véritable homme fort à Benghazi, un rôle qu'il a l'air d'affectionner et surtout de vouloir jouer jusqu'à la reconquête de Tripoli. Dans un récent entretien accordé à l'agence de presse américaine Associated Press (AP), Khalifa Haftar laisse entendre entre les lignes qu'il est le leader qu'il faut pour les Libyens et qu'il est capable de sortir la Libye du chaos dans lequel elle se trouve depuis 2011. Haftar a considéré en outre, lors de son interview, que «les militaires élus pour diriger des pays réalisent de grands succès», donnant l'exemple de son grand «allié, le président égyptien Abdelfattah Al Sissi». Sa feuille de route consisterait donc, en gros, à reprendre par la force les régions et les villes qui ne lui sont pas encore acquises et d'y imposer par la suite sa loi. Et, par conséquent, au diable l'accord de réconciliation signé le 14 décembre 2015. Soutien militaire et ingérence Cette situation d'impasse est aggravée par le soutien financier et militaire continu accordé par l'Egypte et les Emirats arabes unis à ce général Haftar, fraîchement promu maréchal, que les Américains disent ne pas «coacher». Ces deux pays miseraient sur lui pour contrer les Frères musulmans libyens et plus globalement les islamistes qui, selon eux, ont gagné trop de terrain en Libye. Tous les observateurs conviennent, néanmoins, qu'il ne s'agit là que d'une lecture au premier degré. Sur le terrain, l'Egypte et les Emirats, soutenus par quelques capitales occidentales, livrent en réalité une guerre par procuration au Qatar et à la Turquie, que l'on présente comme de proches alliés de certaines milices de Tripoli. Il s'agit là d'une guerre menée évidemment pour l'influence, mais certainement aussi pour le pétrole et le business. Des forces spéciales de pays occidentaux opèrent aux côtés de Haftar. C'est une partie d'échecs dans laquelle tout le monde se fiche de la souveraineté de la Libye ou de la légalité internationale et ne pense qu'à placer ses pions. Opposer un Est libyen moderniste à un Ouest libyen totalement conservateur est un raccourci aussi incorrect que dangereux. La crise libyenne est bien plus complexe. Qualifiés de «parrains de la Libye», tous ces acteurs extrarégionaux doivent d'ailleurs se rencontrer cette semaine à Paris pour justement discuter de la crise libyenne et tenter de rapprocher leurs agendas. Cette rencontre, à laquelle participera bien évidemment l'Egypte, mais dont ont été tenus éloignés les autres pays voisins de l'ex-Jamahiriya, a le mérite de mettre sous les feux de la rampe les capitales qui s'ingèrent directement dans la crise libyenne et l'exacerbent. Et cela, au vu et au su de l'ONU et de son envoyé spécial, Martin Kobler. De leur côté, les pays voisins de la Libye ont prévu aussi de se retrouver en ce mois d'octobre à Niamey. Leurs efforts consisteront essentiellement à faire en sorte que la Libye ne vole pas en éclats. Dans le contexte actuel, ce n'est déjà pas peu.Zine Cherfaoui