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L'homme qui a géré la crise s'en va
Gaïd Salah décède suite à un arrêt cardiaque
Publié dans Le Soir d'Algérie le 24 - 12 - 2019

Le vice-ministre de la Défense nationale et chef de l'état-major de l'Armée nationale populaire, général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah n'est plus. Il a succombé, tôt la matinée d'hier lundi, aux alentours de 6h, à un arrêt cardiaque, en son domicile à Aïn-Naâdja à Alger, comme confirmé par le communiqué officiel de la présidence de la République diffusé en fin de matinée. Gaïd Salah s'en va à l'âge de 80 ans, au bout d'une très longue carrière militaire qui remonte à la guerre de Libération nationale.
Une très longue et si riche carrière militaire, mais aussi un rôle politique de premier plan que sa fonction gouvernementale de vice-ministre de la Défense nationale qu'il occupait depuis le 4 septembre 2013 et qu'il cumulait avec celle, stratégique, de chef de l'état-major de l'armée lui conférait de fait, depuis l'avènement tsunamique du mouvement populaire du 22 février. Cette extraordinaire explosion populaire, d'une ampleur inédite, remarquable de par son pacifisme et inflexible dans sa détermination à mettre fin au régime de Abdelaziz Bouteflika, propulsera l'armée, malgré elle, au-devant de la scène. Malgré la puissance et l'étendue du rejet populaire sans précédent, Bouteflika et son cercle immédiat maintenaient l'option du 5e mandat puis y renonçaient mais en la remplaçant par une autre décision équivalente : le prolongement du quatrième mandat d'un Bouteflika qui n'est pourtant plus en mesure d'assumer la fonction depuis le 27 avril 2013. Fin mars 2019, l'impasse est désormais totale et le face-à-face entre le régime Bouteflika et le peuple algérien atteindra son paroxysme et menacera de basculer le pays vers le chaos. Une situation dangereuse et intenable qui fera réagir l'institution militaire. Son chef suprême, Ahmed Gaïd Salah donc, se distinguera une première fois le 26 mars, lorsqu'il appellera clairement à partir de Ouargla à l'application de l'article 102 de la Constitution. Autrement dit, la constatation de la vacance du pouvoir, le départ de Bouteflika et l'organisation d'une élection présidentielle. Les événements s'accélèrent : en face, la réaction est tout autant ferme avec une ultime tentative d'un passage en force du clan présidentiel. A la surprise générale, Gaïd Salah réunira l'état-major de l'ANP le 30 mars pour une première mise en garde. Puis vint la fameuse réunion du même état-major du 2 avril. Ce jour-là, Gaïd Salah appellera à une « application immédiate » de l'article 102. Une heure plus tard, Bouteflika remettra officiellement sa démission, mettant ainsi fin à un règne sans partage de vingt ans. Ce ne sera pas la fin de la crise pour autant. Ni la rue, ni la classe politique dans son ensemble n'ont adhéré en effet à la suite du processus prévu par l'article 102 de la Constitution, à savoir la désignation du président du Sénat comme chef d'Etat intérimaire en vue d'organiser une nouvelle élection présidentielle. Abdelkader Bensalah, Noureddine Bédoui et son gouvernement constitué « dans la douleur » feront l'objet d'un rejet « actif », au point où même les visites ministérielles sont perturbées sur le terrain, tandis que le dialogue auquel appellera le chef de l'Etat essuiera une fin de non-recevoir collective sans précédent de la part de la classe politique. Même sort pour l'élection présidentielle devant se tenir le 4 juillet, annulée de fait, faute de candidats ! Pendant ce temps, le mouvement populaire se poursuivait, notamment à travers d'immenses marches populaires hebdomadaires. Des marches qui, en plus de leur aspect revendicatif légitime, obligeaient l'armée à être constamment sur la brèche avec cette immense responsabilité de veiller à la sécurisation totale des personnes et des biens. Début juillet donc, l'Algérie se retrouvera, encore une fois, face à un crucial défi, celui de circonscrire une crise politique si complexe et si périlleuse, menaçant son existence pure et simple. Il s'agissait, pour l'armée et son premier responsable, de gérer tout cela. Sous la conduite de Gaïd Salah, l'ANP se distinguera, en effet, par sa position claire, immuable et non négociable : s'en tenir, dans la gestion de cette crise, aux dispositions exclusives de la Constitution, en l'occurrence, via l'organisation d'une élection présidentielle dans les meilleurs délais, s'opposant, avec la même fermeté, à toute autre option, à savoir la transition. A travers des discours réguliers, Gaïd Salah réitérait constamment cette position de principe de l'armée. Publiquement et avec une rare franchise à ce niveau, l'homme affrontera cette situation, s'engageant, et avec lui l'armée donc, à tenir l'élection présidentielle, à protéger les institutions et à combattre l'option de la transition que des parties, certaines de bonne foi mais d'autres à dessein, voulaient imposer au pays. Outre, par ailleurs, une lutte implacable déclarée à la grande corruption, c'est sous la houlette de l'armée que le processus ayant mené aux élections du 12 décembre sera rendu possible. Un processus entamé par l'appel d'Abdelkader Bensalah à un nouveau round de dialogue et la Constitution du panel présidé par l'ancien président de l'APN, Karim Younès. Un panel qui, dans des conditions difficiles, a pu mener à bout deux grands chantiers : la révision du code électoral et la constitution de l'Autorité nationale indépendante des élections. Fin août, Gaïd Salah appellera, dans une nouvelle intervention, à l'accélération du processus et la tenue des élections avant la fin de l'année. Le processus étant enclenché après la convocation du corps électoral par Bensalah pour le 12 décembre, le patron de l'ANP s'engagera, régulièrement, à tout entreprendre pour permettre la tenue de ces élections et à la prise de toutes les mesures sécuritaires nécessaires, en amont et en aval, c'est-à-dire pendant la campagne électorale et, surtout, le jour même de l'élection. Des élections qui ont pu d'ailleurs avoir lieu, sans incidents majeurs, avec, au bout, l'élection d'un nouveau président de la République. Il est d'ailleurs assez significatif de constater que, depuis le jeudi 12 décembre, et la proclamation officielle des résultats de la présidentielle qui consacrera Abdelmadjid Tebboune comme huitième président de la République, la tension a baissé nettement à travers tout le pays. L'Algérie aura ainsi réussi à traverser cette crise politique sans précédent dans sa nature, son ampleur et sa durée, sans la moindre perte humaine, contrairement, par exemple, aux événements d'Octobre 1988 ou encore l'arrêt du suicidaire processus électoral du 26 décembre 1991. Quasiment dix mois jour pour jour depuis le début de cette crise, le 22 février 2019, Gaïd Salah succombera à une crise cardiaque, quatre jours après avoir assisté à la cérémonie d'investiture du nouveau Président à l'issue d'une élection qui était son objectif suprême et celui de l'ANP. Durant toute cette période, l'homme qui s'est investi personnellement dans la bataille a eu à subir une forte pression et le poids d'une immense responsabilité qui pesait sur ses épaules. Et cela s'est certainement répercuté sur sa propre santé. Il aura quand même réussi son pari, celui d'assumer ses responsabilités jusqu'à l'élection d'un nouveau Président auquel échoira, ne cessait-il de répéter, «la mission de poursuivre la satisfaction des revendications légitimes restantes du peuple algérien». Ce rôle, le défunt a pu l'assumer, dans des conditions exceptionnellement difficiles, grâce, notamment, à une forte personnalité et à un charisme incontestable qui lui ont d'ailleurs permis d'assumer la plus haute fonction dans la hiérarchie militaire pendant plus de quinze ans. A noter, enfin, que le défunt devra être inhumé demain, mercredi, au cimetière El-Alia, à Alger.
K. A.


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