«Quand on parle du loup, on en voit la queue». Sur les réseaux sociaux, et principalement sur le distingué Facebook, promu organe du Hirak faute de mieux, il a suffi qu'Erdogan ergote pour que les internautes le voient partout. Après avoir rêvé aux bateaux en partance pour l'Australie, il était temps de passer aux cauchemars, avec les navires de guerre turcs, canonnant les remparts d'Alger. Des bateaux turcs, il y en a eu sûrement dans l'horizon bleu, mais jamais depuis la flotte française de 1830, on en avait vu de si près, au point de faire mouvoir la statue de Barberousse. Il reste juste à savoir pour qui Baba Aroudj, élevé au rang de héros national, mais qui piratait sous pavillon ottoman, serait descendu de son piédestal, et pour quel pays il se serait battu. La réponse est évidente pour les nostalgiques du califat ottoman, très présents aussi sur les réseaux sociaux, et qui ont sans doute surmultiplié le nombre de bateaux turcs. Tout comme ceux qui rêvent de revoir la flotte du Maréchal de Bourmont débarquer à nouveau à Sidi-Ferruch, les nostalgiques du califat aboli par Atatürk, rêvent de l'installer au Bastion 23. Le moment s'y prête d'ailleurs, et le mouvement des «Frères musulmans» qui a fait d'Erdogan son champion, sait qu'il peut disposer ici de sympathies, voire même d'appuis, au cas où. Surtout qu'il serait grand temps de passer à la contre-offensive, et de répondre du tac au tac aux forces tapies dans l'ombre, et qui profèrent accusations, et anathèmes, démobilisateurs. (C'est de la langue de bois pur jus, mais il fallait que je la place). Il est vrai qu'à trop hurler au loup, même sous couvert de la main de l'étranger, on peut le voir surgir à nos frontières, et sur nos rivages, mais ne nous laissons pas éloigner de l'essentiel. Heureusement qu'il faut compter parfois avec les revirements, courants en politique, et qui peuvent muer en revers de fortune pour ceux qui ont tout misé sur l'alliance entre la Turquie et le Qatar. Premier revers, mais à considérer avec circonspection : le Parlement libyen, qui se tenait coi jusqu'ici, à la manière des députés que vous savez, a chaussé ses bottes martiales, et a dénoncé le traité turco-libyen au nom duquel Erdogan intervient. Les députés libyens ont également proclamé la rupture des relations avec la Turquie, et décidé de mettre en jugement le chef du gouvernement, Faïz Serradj, pour «haute trahison». La même accusation concerne aussi tous les responsables qui ont signé les deux accords, maritime et sécuritaire, avec la Turquie. L'information donnée, hier matin par les agences occidentales, fait en tous cas la Une des journaux du Caire, qui dénoncent le soutien d'Erdogan au terrorisme islamiste en Egypte. Il y a, toutefois, une donnée sur laquelle les journaux égyptiens ne s'appesantissent pas trop, et qui concerne les menaces contre l'Algérie, du Maréchal Haftar, soutenu à fond par l'Egypte. Les éditorialistes cairotes suggèrent implicitement que face au danger extérieur turc, les concertations en cours entre l'Egypte, l'Algérie, et la Tunisie, doivent s'étendre aux autres pays frontaliers (Soudan, Tchad, Niger). En attendant, le quotidien Al-Misri-alyoum met de côté lui aussi le cas Haftar, et s'empresse de saluer la réponse claire, et sans équivoque, de l'Algérie, aux avances d'Erdogan. Il rappelle l'invitation à se joindre aux pourparlers entre la Turquie, et la Tunisie, lors de la visite impromptue d'Erdogan à Tunis et sa rencontre avec le Président Kaïs Saïed. Cette tentative d'Erdogan d'attirer l'Algérie dans son jeu malsain a échoué, tout comme l'invitation à participer à l'éventuelle conférence de Berlin sur la Libye, a été rejetée par l'Algérie. Pour l'éditorialiste du journal Al-Misri-Alyoum, Suleiman Djawda, l'Algérie a exprimé de façon explicite son rejet de toute présence de forces étrangères sur le territoire libyen. Elle a réitéré ce rejet dans une formulation plus précise, et plus définitive, en le résumant par cette formule : «Toute force étrangère quelle qu'elle soit.» Aucune force étrangère n'est donc exclue de ce rejet. En résumé, notre confrère souligne que la Libye est une affaire arabo-africaine. «Et si la Turquie s'avise de s'y aventurer, ce sera en tant qu'intrusion d'un corps étranger que même la terre libyenne éjectera avant que les Libyens l'en chassent définitivement». De son côté, Salah Qalab, politologue, et ancien ministre jordanien de la Culture, estime qu'Erdogan n'avait pas besoin de l'accord de son Parlement pour intervenir en Libye. «Tout le monde sait, dit-il, que la décision est prise depuis longtemps, et par l'organisation internationale des ‘'Frères musulmans'', qui a choisi Erdogan comme guide. Il est donc évident qu'Erdogan qui se comporte comme le ‘'Commandeur des croyants'' devant qui tous doivent s'incliner, ne s'arrêtera pas en si bon chemin, si rien n'est fait.» Le chroniqueur en appelle à une intervention arabe puissante, et décisive, conduite par l'Egypte, contre l'interventionnisme turc, appuyé par les «Frères musulmans», et certains mini-Etats arabes. Salah Qalab estime, en effet, que l'Egypte est la cible désignée, par le fait qu'elle a porté un grand coup en le chassant du pouvoir. Il ajoute que c'est l'objectif principal des islamistes égyptiens qui veulent reconquérir le pouvoir perdu, sous la direction de Mohamed Morsi, et cet objectif ne date pas d'hier. Depuis qu'il s'est fait requinquer dans un hôpital parisien, comme tout le monde, et qu'il regarde avec insistance vers l'Algérie, sans respect pour son peuple, Haftar est honni. Question : que fera-t-on de lui après avoir chassé Erdogan, et déboulonné la statue de Baba Aroudj, pour «intelligence avec l'ennemi» ? L'image du jour : c'est celle de l'Imam Hussein, fils malheureux de l'Imam Ali, accueillant dans ses bras un Kassem Suleimani ensanglanté, publiée par le «Guide suprême» en personne. L'Amérique de Trump dans ses basses œuvres. A. H.