Pas de répit au tribunal de Sidi-M'hamed où le procès de Abdelghani Hamel et de sa famille s'est poursuivi hier. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Le milieu de matinée est largement entamé lorsque la cour siégeant dans l'affaire Abdelghani Hamel annonce la reprise d'un procès où les révélations s'enchaînent au fil des témoignages. La juge procède à nouveau à l'appel des inculpés et des témoins. Seules des voix répondant «présent» s'élèvent des bancs des accusés. Les visages des prisonniers qui viennent d'arriver d'El-Harrach sont à peine visibles. Des éléments de la BRI, de la gendarmerie, de la police et de l'administration pénitentiaire dressent une véritable barrière entre les prévenus et le reste de la salle. Ils s'écartent pour laisser Abdelmalek Sellal se présenter à la barre lorsque celui-ci est appelé par la juge. Sellal et le mystère d'une directive annulant une décision du tribunal administratif en défaveur des fils Hamel L'ancien Premier ministre est d'humeur morose. Le petit sourire qu'il esquissait habituellement en entrant dans les salles où il comparaît pour différents procès l'a quitté. Il est enveloppé dans un lourd manteau noir. Sellal est interrogé en tant que témoin. La juge lui demande de lever la main droite et de jurer de dire toute la vérité. Elle lui demande de révéler à la cour ce qu'il sait de l'affaire des terrains qui ont été octroyés à Tipasa aux fils Hamel. Réponse : «J'ai dit au juge d'instruction que lorsque j'ai appris ce qui se passait, j'avais pris attache avec le ministre des Finances pour lui demander de préserver les terres agricoles et d'agir dans le strict respect de la loi. Durant la même période, il y a eu un Conseil interministériel à la fin duquel j'ai rencontré Abdelghani Hamel, je lui ai dit que la loi allait être appliquée dans son dossier. Voilà ce que j'ai à dire dans cette affaire.» La juge le relance : «Avez-vous transmis des directives écrites demandant l'annulation des décisions d'octroi de ces avantages à Tipasa ?» Sellal répond que ce n'était pas dans ses prérogatives. Un jeu de questions-réponses s'ensuit. Le tribunal tente d'en savoir plus sur une directive émise par le Premier ministère et demandant l'annulation d'une décision rendue par le tribunal administratif hostile à l'octroi des deux terrains aux fils Hamel. «J'en ai entendu parler durant l'enquête à laquelle j'ai été soumis, répond l'ancien Premier ministre. C'est une histoire qui tournait entre le ministre de l'Intérieur et le cabinet et cela s'est passé peu de temps avant que je ne quitte mon poste de Premier ministre.» Le tribunal insiste : «Dans quel cadre avez-vous entendu parler de cette affaire ?» Réponse : «Sécuritaire.» Le procureur pose une dernière question : «Saviez-vous que Abdelghani Hamel exerçait des pressions sur des fonctionnaires ?» «Non», répond Sellal. Avant de retourner à sa place, il demande à la juge l'autorisation de ne pas assister à la séance d'aujourd'hui (mardi). «Je suis fatigué», dit-il. Sa doléance est acceptée. Le mystère de la directive émanant du Premier ministère demeure entier. Témoignage d'un promoteur immobilier «Berrachdi m'a convoqué pour me demander de ne pas évoquer le nom de Hamel.» Un deuxième témoin est à son tour auditionné. Il s'agit de Serridj Djamel, promoteur immobilier. «Vous avez déclaré au juge d'instruction que Abdelghani Hamel avait des dettes chez vous et que vous avez été convoqué par les services de sécurité de la wilaya d'Alger et que ces derniers vous ont demandé de ne pas mentionner le nom de Hamel», déclare la juge. Serridj Djamel répond : «J'ai vendu deux maisons à Chahinez Hamel, mais j'ai traité avec le père.» Le procureur demande : «A combien s'élevait le coût d'achat de ces maisons ?» «Un milliard et cent millions de centimes», répond le promoteur immobilier. Il ajoute : «En 2015, j'ai été convoqué par Berrachdi, chef de Sûreté de la wilaya d'Alger, il m'a demandé de ne pas évoquer le nom de Hamel.» «Pourquoi avait-il besoin de te convoquer ? Abdelghani Hamel ne pouvait-il pas simplement téléphoner ?» demande encore le procureur. «J'étais souvent en déplacement», répond le concerné. L'avocat du Trésor public révèle l'ampleur des biens de Hamel et sa famille Lorsque Me Zakaria Dahlouk prend la parole, la salle plonge dans un plus grand silence pour bien prendre la mesure des propos qu'il prononce. Le nombre de biens qu'il énumère laisse l'assistance sans voix. Des regards se croisent, s'arrêtent sur la rangée de bancs où sont assises l'épouse de Hamel et sa fille. Très simplement vêtues, elles écoutent sans broncher l'avocat du Trésor public étaler leur fortune : «Cette famille possède en tout 60 biens immobiliers, appartements, villas et terrains… confondus. 24 se trouvent à Alger, 25 à Oran, 5 à Tlemcen, 5 autres à Tipasa, 1 à Sétif, encore 1 autre à Aïn-Témouchent. Et ce n'est pas tout, elle possède aussi 24 sociétés et 135 comptes en banque (personne morale et physique) vous imaginez-vous ce que cela représente ? C'est du jamais vu, cette affaire est incroyable, nous sommes face à une grave atteinte à l'économie nationale. De par sa position, et les fonctions qu'il a occupées, Abdelghani Hamel a pu obtenir des avantages énormes, il a également porté atteinte à l'ANP puisqu'il a assumé un poste de responsabilité en son sein. La sentence doit être exemplaire, implacable.» Un réquisitoire implacable Le procureur entame son réquisitoire en évoquant l'assistance présente malgré l'épidémie. Il se dit aussi porteur d'un message du peuple algérien. «Ces responsables n'ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités, dit-il, après avoir rappelé que l'enquête préliminaire a conclu à la culpabilité de Abdelghani Hamel dans tous les faits qui lui sont reprochés. Il cite les pressions sur les fonctionnaires pour obtention d'indus avantages et cite la déclaration de Moussa Ghelaï, ancien wali de Tipasa, qui a déclaré au tribunal qu'il avait reçu un appel téléphonique de Hamel pour la prise en charge des affaires de ses enfants et leur donner deux terrains à Tipasa. Il rappelle aussi les déclarations du directeur des Domaines qui a révélé les pressions exercées sur sa personne par l'ancien chef de Sûreté de la wilaya de Tipasa pour qu'il annule une décision du tribunal administratif qui avait rendu une décision en défaveur des fils Hamel. Il s'arrête également sur le témoignage de l'ex-DG de l'OPGI de Hussein-Dey, Rhaïmia Mohamed, qui avait bafoué la loi «pour faire plaisir à son ami Hamel en vendant neuf locaux à son épouse à un prix symbolique». «Tous les jeunes universitaires ont des rêves, mais Chahinez Hamel voulait, elle, construire une tour à Bab Ezzouar et elle a obtenu sans effort un terrain de 700 mètres carrés uniquement parce qu'elle est la fille du général Hamel.» «Cinq fonctionnaires, poursuit-il, dont l'ancien DG des Domaines de Tipasa ont, eux aussi, utilisé leurs fonctions pour aider Hamel et sa famille à acquérir des biens. Abdelghani Zaâlane a, quant à lui, accordé à Ameyar Hamel le droit de construire un hôtel sans que son dossier ait été au préalable étudié par la Direction du tourisme. Ce dernier a également modifié la superficie du terrain à octroyer au fils Hamel sans qu'un dossier ait été déposé. Moussa Ghelaï a signé une décision d'attribution de terrain en dépit de son annulation par le tribunal administratif. Abdelmalek Boudiaf a, lui, signé une décision d'octroi d'un terrain au fils Hamel à Tafraoui et un autre terrain de 19 33 mètres carrés à Ameyar Hamel pour un complexe touristique. Sibane Zoubir, ancien wali de Tlemcen, a, lui aussi, octroyé un terrain industriel à ces derniers alors que l'un des frères était mineur, 16 ans.» De lourdes peines requises contre Hamel et les membres de sa famille Les lourdes peines que le représentant du ministère public requiert contre les principaux accusés sont sans surprise. Il commence par demander l'application de la peine maximale, 20 ans à l'encontre de l'ancien patron de la DGSN. Elle est assortie d'une amende de 8 millions de DA. La même peine est requise à l'encontre de son fils Ameyar, alors que quinze ans sont demandés pour les trois autres membres de sa fratrie, Mourad, Chafik et Chahinez. Dix ans de prison sont requis à l'encontre de son épouse. Les peines des membres de la famille Hamel sont aussi assorties d'une amende de 8 millions de DA, ainsi que de la confiscation de tous leurs biens. Les peines requises à l'encontre des autres prévenus ne sont pas des moindres : 10 ans de prison assortis d'une amende de 8 millions de DA pour Abdelghani Zaâlane et Mohamed Boudiaf respectivement ministre des Travaux publics et ministre de la Santé. 15 ans et 12 ans de prison assortis d'une amende de 8 millions de DA ont été également requis à l'encontre de Moussa Ghelaï, ancien wali de Tipasa, et Ben Sebane Zoubir, ancien wali de Tlemcen. Le procureur a aussi requis 10 ans de prison et une amende d'un million de DA à l'encontre de l'ex-DG de l'OPGI de Hussein- Dey pour l'octroi illégal de locaux commerciaux à l'épouse Hamel et l'ancien DG des Domaines de la wilaya de Tipasa. Le réquisitoire du procureur a pris fin. Place aux plaidoiries des avocats. La soirée s'annonce, une nouvelle fois, longue au tribunal de Sidi-M'hamed. A. C.