Un procès très attendu s'est déroulé hier mercredi au tribunal de Sidi-M'hamed. Kamel Chikhi et six autres personnes comme accusées ont été jugés tout au long d'une journée qui s'est achevée sans que le verdict soit connu, tard dans la soirée encore. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Ce procès s'est ouvert aux environs de dix heures, dans une ambiance beaucoup moins tendue que celles qui caractérisent actuellement les évènements de ce genre. La porte du tribunal par laquelle les prévenus font leur entrée s'ouvre à ce moment et laisse entrer les accusés. Kamel Chikhi, principal mis en cause, est le premier à faire son apparition. Vêtu d'un blouson bleu matelassé, il reste un long moment debout à fixer la salle. Ses yeux sont à la recherche des membres de sa famille présents dans la salle. Khaled Tebboune, fils du Président actuel, entre à son tour. Suivent l'ex-maire de Ben Aknoun, l'ancien procureur de Boudouaou et son adjoint, l'ancien chauffeur de Abdelghani Hamel, Chafik Hamel, fils de l'ancien patron de la police, et le fils de l'ancien wali de Relizane. Ils prennent place sur le banc des accusés et le juge entame l'appel des témoins dont Zoukh Hamza, fils de l'ancien wali d'Alger. Kamel Chikhi est le premier à être appelé à la barre. Il est interrogé pendant plus d'une heure sur un large éventail de points contenu dans le dossier entre les mains du juge et du procureur. Les questions sont basées sur des éléments d'enquête fournis d'abord par les services de sécurité qui ont eu, eux, à travailler en partie sur des documents filmés par les caméras de surveillance du prévenu, sur des enregistrements téléphoniques et sur l'enquête judiciaire menée par les juges d'instruction. Le premier juge d'instruction en charge de son dossier a été écarté de l'affaire. Des avocats, membres du collectif de défense des prévenus qui ont comparu hier, font savoir qu'il a été muté dans une autre wilaya dans le cadre du dernier mouvement opéré par le ministre de la Justice. Kamel Chikhi est interrogé à plusieurs reprises au sujet de ces caméras qui ont fait couler tant d'encre. Depuis le début de l'affaire, le mis en cause est soupçonné d'avoir mis en place ce matériel de surveillance audiovisuelle pour piéger ses relations et les soumettre ensuite au chantage. Face à ces accusations, il répond : «Je ne suis pas un homme lettré, ces caméras m'aident dans mon travail, elles me permettent de suivre ce qui se passe (…) toutes les personnes qui entraient à mon siège et mon bureau savaient parfaitement qu'elles étaient filmées, les caméras étaient là, visibles.» Khaled Tebboune : «on m'a inculpé pour deux flacons de parfum» En réponse à des questions relatives aux liens qu'il entretenait avec ses coaccusés, le prévenu répond : «Je n'ai jamais demandé ni reçu d'avantage de ces personnes, si vous avez des preuves amenez-les ici et condamnez-moi.» «Aviez-vous des liens avec Khaled Tebboune», demande encore le juge. Kamel Chikhi nie : «Il ne m'a rien fait, rien donné, je l'ai rencontré à mon retour d'une omra et nous n'avons jamais parlé affaires, c'était une visite de courtoisie à mon bureau, je lui ai remis deux flacons de parfum avant qu'il ne quitte mon bureau. Sans plus ! Je n'ai jamais rencontré son père, il ne m'a jamais rien donné, mais , en fait, c'est à lui qu'ils en voulaient. Nous sommes innocents, ayez de la clémence envers nous.» La parole est donnée à Khaled Tebboune : «Je ne sais pas ce que je fais dans ce dossier. Cela fait deux ans que je suis en prison sans savoir pourquoi je m'y trouve. J'ai rencontré Kamel Chikhi alors que je me trouvais sur la route, il m'a dit qu'il revenait d'une omra et m'a invité à visiter son nouveau siège. Je l'ai suivi, nous avons discuté de tout et de rien et avant de le quitter, il m'a offert deux flacons de parfum, voilà mon histoire. J'ai été entendu cinq fois par le juge d'instruction pour deux flacons de parfum. A la fin de l'instruction, on m'a collé un autre chef d'inculpation : association de malfaiteurs, ils sont où ces malfaiteurs avec lesquels je me suis associé ?» L'ancien maire de Ben Aknoun : «Kamel Chikhi remettait les couffins du Ramadhan» Le juge revient ensuite vers Kamel Chikhi : «Vous aviez des liens avec Kamel Bouraba (le maire de Ben Aknoun) auquel vous remettiez des couffins du Ramadhan, combien mettiez-vous dans cette opération ?» Kamel Chikhi : «On me surnommait le père des pauvres, je fournissais en effet des dons, le couffin du Ramadhan à la mairie de Ben Aknoun, mais je n'ai jamais demandé une quelconque contrepartie.» Le juge : «A combien s'élevait le montant de cette opération ?» Kamel Chikhi : «Cinquante millions.» Nouvelle question du juge : « Dans un enregistrement téléphonique, on entend le maire vous demander de faire une révision à la hausse.» Le prévenu affirme que ces propos entrent dans le cadre de l'opération Ramadhan. Appelé à la barre, l'ancien maire de Ben Aknoun confirme ces propos. «Nous recevions en effet des couffins pour le Ramadhan, mais tout était consigné dans le registre de la mairie (…) durant la conversation téléphonique, j'ai demandé à Kamel Chikhi d'augmenter le nombre de certains produits alimentaires nécessaires durant ce mois.» A une question sur l'autorisation de construction d'une promotion immobilière, il répond : «Il a déposé un dossier réglementaire, légal, au même titre que toute autre personne, je n'ai jamais agi en sa faveur.» Lorsque le juge relève des contradictions existant dans son procès-verbal, l'ancien maire de Ben Aknoun répond : «J'ai subi des violences physiques et psychologiques, j'ai signé sous la contrainte, vous ne pouvez pas vous imaginer ce que j'ai enduré. Les documents médicaux sont contenus dans le dossier.» Le fils de l'ancien wali de Relizane : «j'ai signé des aveux sous la contrainte» Durant ce procès, un autre prévenu fait état comme lui de violences physiques et d'aveux arrachés sous la contrainte. Le fils de l'ancien wali de Relizane raconte : «J'ai été torturé deux jours de suite, il y a des témoins, j'ai signé le procès-verbal alors que je me trouvais à demi-conscient, les certificats médicaux sont dans le dossier.» Le juge lui demande : «Vous avez mal ? Vous souffrez ?» Le prévenu, qui s'exprime d'une voix à peine audible, répond : «Oui je souffre.» Nouvelle question du juge : «Dans une vidéo, on vous voit détenir une enveloppe. Chez le juge d'instruction, vous avez déclaré qu'elle contenait 450 millions.» Réponse du mis en cause : «Cette somme d'argent était une avance destinée à l'achat de matériel, rien d'autre.» Ce dernier confirme aussi avoir remis une somme de deux milliards destinés à l'achat d'une maison. Le juge annonce que la parole va être donnée à un avocat représentant les pouvoirs publics. Me Miloud Brahimi, avocat du fils de l'ancien wali de Relizane, s'emporte à ce moment. «Nous avons déjà honte de voir toutes ces personnes en prison pour rien, il nous faut ensuite subir cela (…) on vous parle de faits graves, de torture, c'est bien plus important que tout ce qui se dit ici, les certificats sont dans le dossier.» Selon les informations recueillies sur place, les faits se sont déroulés durant la période où le colonel Zeghoud, de la Gendarmerie nationale, se trouvait en poste. Ce dernier a été relevé de ses fonctions et arrêté. L'ancien chauffeur de Abdelghani Hamel : «on m'a demandé de citer les noms de Hamel et de ses enfants si je voulais être relâché» Le juge procède par la suite à l'audition de M. Benzahra, ancien chauffeur de Abdelghani Hamel. Interrogé par le juge, Kamel Chikhi avait affirmé que ce dernier était le seul parmi les présents à bien connaître. «C'est un ami de plus de dix-sept ans, dit-il, il venait parfois dîner chez moi pendant le Ramadhan. Il avait besoin de soixante-dix millions, je les lui ai prêtés, il m'a rendu cinquante millions une vingtaine de jours avant mon arrestation (…) on a beaucoup parlé de l'aide qu'il m'aurait fournie durant mes déplacements, à l'aéroport d'Alger, je n'avais pourtant aucun privilège, on me fouillait normalement (…) je l'ai sollicité une seule fois, c'était lors du refus d'un agrément pour mes constructions, je voulais savoir à qui m'adresser.» Le juge interroge Benzahra : «Es-tu intervenu pour Kamel Chikhi ? L'as-tu accompagné pour faciliter ses déplacements ?» Le prévenu nie : «la seule fois où j'ai parlé à un décideur de la police, Nordine Berrachdi, ex-chef de la Sûreté de wilaya d'Alger, c'était lorsque ce dernier m'a appelé pour me dire que j'étais convoqué par la gendarmerie et que je devais venir signer la convocation. Berrachdi était alors en poste depuis sept ans.» Il nie toute aide fournie durant les déplacements de Kamel Chikhi : «Le salon d'honneur est sous la responsabilité de plusieurs secteurs, pas seulement la police», dit-il. Benzahra se livre ensuite à une déclaration fracassante : «Durant mon interrogatoire, on m'a demandé clairement de citer les noms de Hamel et de ses enfants si je voulais être relâché, j'ai refusé.» L'ancien procureur de Boudouaou et son adjoint : «nous n'avons aucun lien avec Kamel Chikhi» S'ensuit l'audition de l'ancien procureur de Boudouaou et de son adjoint. Répondant aux questions du juge, ils nient tous deux être intervenus de quelque manière que ce soit pour avantager Kamel Chikhi. Face au magistrat, ce dernier avait lui aussi nié toute amitié avec les deux prévenus. Selon lui, ces derniers avaient simplement acheté des maisons qu'il avait construites. Des avances de 100 et 120 millions avaient été versées. Il est 14h30. Dans son réquisitoire, le procureur de la République demande une peine de 10 ans fermes contre Kamel Chikhi, elle est assortie d'une amende d'un million de dinars. La même peine, dix ans de prison et un million de dinars, est requise à l'encontre de l'ancien maire de Ben Aknoun, six ans contre l'ancien chauffeur de Hamel, huit ans pour le fils de l'ex-wali de Relizane et deux ans pour le reste des prévenus, dont le fils Tebboune. Dans leurs plaidoiries, les avocats mettent l'accent sur les actes de violence endurés par certains prévenus. Ils évoquent les pressions exercées pour l'obtention de certains aveux. L'un des avocats fait état de pressions pour que soient cités les noms de «Tebboune et d'un ancien ministre de l'Agriculture». Le procès de l'automobile reporté La journée a été mouvementée hier à la cour d'Alger où le tribunal a une nouvelle fois annoncé le report du procès de l'automobile en raison de l'état de santé de Abdelmalek Sellal. L'ex-chef de gouvernement a d'abord refusé d'entrer dans la salle des accusés. Selon les informations en cours à ce moment, il affirmait être très malade et dans l'incapacité de répondre aux questions qui allaient lui être posées. Près de deux heures après, un renvoi a été demandé par le collectif de défense qui s'était au préalable réuni. Le procès a été reporté au 1er mars prochain. Lors de sa dernière comparution au tribunal de Sidi-M'hamed, où devaient être jugés Abdelghani Hamel et ses deux fils, Abdelmalek Sellal était déjà apparu très amaigri et affaibli. Les présents ont également remarqué ses difficultés à marcher en quittant le tribunal. A. C.