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Le chameau, la chauve-souris, le serpent… ce n'est pas une fable !
L'ALERTE AU CORONAVIRUS
Publié dans Le Soir d'Algérie le 03 - 02 - 2020


Par Pr Kamel Sanhadji(*)
«On mange tout ce qui a quatre pattes sauf les tables, tout ce qui vole sauf les avions et tout ce qui nage sauf les bateaux.»
(Proverbe chinois de Canton)
L'étrange marché aux poissons de Wuhan
La découverte des premiers cas de maladie a été faite chez des commerçants du marché aux poissons Huanan, dans la localité de Wuhan, au centre de la Chine. En effet cet étrange marché constitue une ménagerie où sont mêlés aux poissons et fruits de mer toutes sortes d'animaux abattus puis séchés ou congelés et soumis à la vente illégale. On y trouve pêle-mêle des animaux tels que renards, rats, crocodiles, serpents, porcs-épics, chauves-souris… et même de la viande de chameau.
Ce marché a été fermé en décembre dernier, après la découverte des premiers cas. La ville de Wuhan, métropole de plus de 10 millions d'habitants, d'où est partie l'épidémie, est actuellement mise en quarantaine. Ainsi, les autoroutes d'accès à cette métropole sont coupées, les bus, les métros, les trains et les avions ont été suspendus. Une ville «pestiférée», à cause d'un nouvel arrivant ou plutôt intrus. Le nouvel arrivant s'appelle «2019-nCoV». Au jour d'aujourd'hui, 6 000 personnes ont été infectées à travers le monde (dont 5 974 en Chine) et 132 autres sont mortes. Cette nouvelle maladie qui frappe la Chine se présente sous la forme d'un coronavirus jamais identifié auparavant. A défaut d'en savoir plus sur les caractéristiques exactes de «2019-nCoV», que sait-on de cette catégorie de maladies ? Plusieurs pays, parmi lesquels les Etats-Unis, le Japon, la France et également l'Algérie, ont engagé des opérations de rapatriement de leurs ressortissants présents en Chine, en particulier dans les zones endémiques.
Les scientifiques chinois auraient séquencé (décrypté) le génome du virus «2019-nCoV». Pékin et Moscou collaborent activement dans le développement de tests express pour détecter dans l'organisme, en deux heures de temps, la présence du nouveau coronavirus ainsi que le développement d'un vaccin. Les autorités chinoises se sont donné 10 jours pour construire un hôpital et son inauguration est prévue pour aujourd'hui. Un incroyable défi chinois face au nouveau coronavirus.
Un septième virus s'ajoute à la famille des coronavirus. Lesquels se transmettent à l'humain ?
Observée avec un microscope électronique, la famille des coronavirus a l'apparence d'une couronne solaire. Cet agent infectieux présente de petites protubérances en forme de massue et qui se situent sur son enveloppe. Sur le plan génétique, le coronavirus a la particularité d'être un virus de très grande taille, si bien qu'il s'agit du plus long génome ARN (acide ribonucléique) viral jamais découvert.
Avec le nouveau coronavirus, le «2019-nCoV», ce sont maintenant 7 coronavirus qui se transmettent à l'être humain : «HCoV-229E» et «HCoV-0C43», tous deux découverts dans les années 1960 ; le «Sars-CoV» ; le «HCoV-NL63» découvert en 2004, aux Pays-Bas ; le «HCoV-HKU1», découvert en 2005 à Hong-Kong et enfin le «MERS-CoV» découvert en 2012, au Moyen-Orient. Le coronavirus a la particularité de pouvoir muter (se modifier pour s'adapter) très facilement, ce qui inquiète les autorités au sujet du «2019-nCoV». En effet, les coronavirus ne possèdent pas de système de correction d'erreur au moment de la réplication (reproduction) de leur ARN pouvant ainsi engendrer, de façon aléatoire, des mutants plus ou moins virulents.
Chez l'Homme, les coronavirus sont à l'origine de pathologies pulmonaires, plus précisément d'une infection respiratoire plus ou moins grave, qui s'accompagne parfois de gastroentérite. D'autres signes tels qu'un écoulement nasal, des maux de crâne, de la toux, sont rencontrés dans la plupart des infections à coronavirus courants, comme les «229E», «NL63», «OC43» et «HKU1», et n'entraînent que des symptômes bénins selon le Centre de contrôle des maladies et de prévention aux Etats-Unis.
Caractéristiques des coronavirus les plus virulents
En attendant des données plus poussées concernant le nouveau coronavirus, le «2019-nCoV», identifié en décembre 2019, nous évoquerons les deux coronavirus les plus connus pour leur agressivité chez l'Homme. Il s'agit du nouveau coronavirus causant le syndrome respiratoire aigu sévère («SRAS-CoV»), découvert en 2004, et le nouveau coronavirus causant le syndrome respiratoire au Moyen-Orient («MERS-CoV»), découvert en 2012. Ensuite est venu récemment le nouveau coronavirus, en décembre 2019, en Chine, le «2019-nCoV». L'importance d'un rappel historique, à ne pas perdre de vue, est lié au fait que les deux virus «2019-nCoV» et «MERS-CoV» sont «cousins» (80% de similitude génétique).
Des animaux sauvages et domestiques semblent constituer des réservoirs et des vecteurs de ces virus. La chauve-souris et le chameau seraient respectivement un «réservoir» et «transmetteur» du coronavirus associé au syndrome respiratoire au Moyen-Orient («MERS-CoV»). Quant au nouveau coronavirus «2019-nCoV», responsable de l'épidémie ayant éclaté au marché aux poissons de Wuhan, en Chine, il semblerait que le transmetteur soit le serpent. Ce dernier est un des principaux prédateurs de la chauve-souris. En effet, l'analyse génétique des souches de coronavirus isolées à partir de certains serpents montrent un nouveau variant ayant de grandes similitudes avec le coronavirus isolé de la chauve-souris.
Le nouveau mutant coronavirus «2019-nCoV» serait la combinaison virale «chauve-souris-serpent»). Des serpents vendus, bien sûr, sur le marché aux poissons de Wuhan. A noter que l'analyse des poissons de ce marché n'ont montré aucune infection par le coronavirus.
Le syndrome respiratoire aigu sévère lié au coronavirus (SRAS-nCoV)
En ce qui concerne cette pathologie, le nouveau coronavirus (nCoV) est un cousin du virus causant le Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) dont l'épidémie de 2002-2003 avait tué plus de 800 personnes dans une douzaine de pays. Le nCoV appartient à la même famille, mais est relativement différent sur le plan génétique.
La grande famille des coronavirus est reconnaissable grâce à la couronne que portent ses virions. Les membres de cette famille de virus peuvent provoquer aussi bien des maladies bénignes (rhumes, gastro-entérites) que de graves syndromes respiratoires, comme le SRAS. Ils peuvent toucher aussi bien les humains que les animaux.
Le nCoV et le SRAS ont un point commun : ils peuvent provoquer de graves infections des voies respiratoires basses (les poumons) et de la fièvre. Le CoV déclenche, en plus, une insuffisance rénale d'évolution rapide. Le nombre relativement faible de cas confirmés des infections à CoV démontre que sa transmission est lente.
Le syndrome respiratoire du moyen-orient lié au coronavirus (MERS-CoV)
Le syndrome respiratoire du moyen-orient (Middle East Respiratory Syndrome, ou MERS), causé par le coronavirus (CoV), avait fait, en 2012, de nombreux morts dans la péninsule Arabique et la région du Moyen-Orient. Des recherches nous ont orientés vers un animal domestique et compagnon des hommes qu'est le chameau. Certains de ces animaux sont porteurs du coronavirus et semblent constituer le réservoir du virus qui est transmis à l'homme. Aussi notre vaste désert algérien où le chameau constitue un élément important de la vie bédouine doit nous inciter à explorer, sur le plan scientifique, l'état sanitaire de ce cheptel.
Les origines ou réservoirs des coronavirus
La chauve-souris semble être l'animal «réservoir» du virus car le CoV présente de grandes ressemblances avec un virus de ce petit rongeur. Cependant, il est peu probable que le CoV soit passé directement de la chauve-souris à l'homme, car les cas de morsure sont rares. Les scientifiques cherchent un autre transmetteur et n'écartent pas la piste animale.
De fortes suspicions concernent le chameau qui serait impliqué dans la transmission de la maladie. En effet en août 2013, des chercheurs avaient désigné des chameaux saoudiens comme de possibles porteurs de ce virus, qui avait déjà fait à cette époque 53 morts dans le royaume, deux au Qatar et une à Oman. En novembre 2013, le ministère saoudien de la santé annonce qu'un chameau (dromadaire), dans la province de Djeddah, a été testé positif au coronavirus et serait ainsi le premier cas d'animal infecté par ce virus. Il avait été précisé que le chameau appartenait à un habitant porteur du syndrome respiratoire MERS.
Les laboratoires saoudiens tentent d'isoler le virus pour comparer sa structure génétique à celle du patient.
Depuis, 3 dromadaires sur un troupeau d'une grange de 14 camélidés se sont révélés positifs au coronavirus MERS. Les animaux atteints étaient asymptomatiques ou présentaient des symptômes bénins. Ces résultats démontrent bien que le dromadaire peut être infecté par CoV, responsable du MERS, et peut jouer un rôle dans la transmission du virus à l'homme.
On savait peu de choses sur l'origine de ce virus qui provoque principalement des problèmes respiratoires aigus, avec fièvre, toux, essoufflement et s'accompagne souvent de pneumonie, de problèmes gastro-intestinaux, voire d'une insuffisance rénale.
On estime que le virus est extraordinairement commun chez les chameaux depuis au moins une vingtaine d'années. Dans certaines parties de l'Arabie Saoudite, les deux tiers de ces dromadaires ont leurs voies respiratoires touchées par ce virus.
A la fin 2013, les chercheurs ont effectué des prélèvements sanguins au niveau de l'anus et des naseaux de plus de 200 chameaux en Arabie Saoudite et montré la présence d'anticorps spécifiques au MERS chez 74% des animaux ainsi que la présence du virus lui-même, en particulier dans les sécrétions nasales des animaux. Les chameaux porteurs du virus paraissaient en parfaite santé.
Néanmoins, des recherches sont en cours sur d'autres espèces animales pour rechercher d'éventuels autres réservoirs du virus. En ce qui concerne les patients de cette époque (2012-2013), la plupart des malades atteints étaient passés par le Proche-Orient dans les semaines précédant l'infection, ou y vivaient.
Sept d'entre eux sont morts en Arabie Saoudite, sur onze cas détectés dans le pays. D'autres cas d'infections avaient été observés en Jordanie d'où l'appellation baptisée «coronavirus MERS» ou (Middle East Respirtaory Syndrome ou syndrome respiratoire du Moyen-Orient) ou MERS-CoV. Un patient est mort en Allemagne en mars, un Saoudien, transféré à Munich pour y être soigné. Au Royaume-Uni, un homme a été infecté après un passage par l'Arabie Saoudite.
Les symptômes
Moins de vingt-quatre heures après l'infection, les premiers signes cliniques apparaissent. Ils sont caractérisés par une perte de l'appétit, une fièvre, une accélération de la respiration, une toux, la chair de poule et une posture voûtée. Les patients atteints par le coronavirus MERS souffrent d'une grave infection des voies respiratoires basses, c'est-à-dire des poumons, qui peut conduire à une pneumonie.
Les malades toussent énormément et présentent de la fièvre. Sur le plan du mécanisme, le MERS altère les membranes qui tapissent les alvéoles pulmonaires où s'effectuent les échanges respiratoires entre l'air et le sang. Cela provoque des essoufflements et des difficultés à respirer qui conduisent à la pneumonie.
Transmission d'homme à homme
A cette même époque, on ne pouvait pas l'affirmer avec certitude mais certains épidémiologistes rapportaient la transmission de ce coronavirus entre les humains. Les chercheurs ont trouvé leur preuve dans un foyer britannique du virus, où trois membres d'une même famille ont été atteints.
En effet, le père de cette famille, de passage par l'Arabie Saoudite, était déjà malade lorsqu'il avait pris l'avion, mais aucun passager du même avion n'a été atteint. L'homme a été traité en soins intensifs mais, en revanche, aurait contaminé son fils de 39 ans qui est décédé mais probablement à cause de son système immunitaire affaibli suite à un cancer.
Cependant, le risque d'épidémie peut être relativisé car les maladies peuvent circuler plus facilement dans une même famille à cause de la promiscuité et du partage, par certains de ses membres, des gestes de la vie de tous les jours.
Le virus semble, en effet, peu contagieux et non transmissible par l'air.
Le personnel soignant de l'hôpital où le père de cette famille a été traité n'a, par exemple, jamais été infecté. À cette époque, on n'avait constaté aucune transmission interhumaine soutenue.
Diagnostic du laboratoire
Les prélèvements biologiques, au niveau des voies respiratoires inférieures (lavage broncho-alvéolaire, expectoration ou aspirat trachéal) apportent la preuve de l'existence de charges virales élevées en coronavirus et doivent donc être effectués, dans la mesure du possible. Il en est de même concernant des échantillons des voies respiratoires supérieures (écouvillonnage du nasopharynx ou de l'oropharynx). Aux fins d'augmenter la probabilité de détection du virus, il est recommandé de recueillir à la fois des échantillons des voies respiratoires supérieures et inférieures en particulier pour les échantillons multiples provenant de sites divers, ceci tout au long de la maladie.
Même après la détection initiale du virus, un échantillonnage et des tests répétés sont fortement recommandés et permettront d'améliorer les connaissances actuelles quant à la durée de l'élimination du virus. Le virus a été détecté dans l'urine et les matières fécales, mais à des niveaux inférieurs à ceux relevés dans les voies respiratoires inférieures.
En dehors de la recherche des anticorps anti-nCoV (sérologie), on dispose de peu d'informations quant à la valeur du sang entier en tant qu'échantillon pour la détection du MERS-CoV.
Précautions et traitement
Il s'agit d'un virus peu résistant car le coronavirus a une durée de vite très courte en dehors des cellules cibles infectées. Les mains doivent être régulièrement lavées, comme en période d'épidémie de grippe ou de gastro-entérite, ce qui permet d'éloigner efficacement les risques d'infection. Actuellement, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne conseille pas d'éviter certains déplacements et aucune restriction d'échanges n'a été recommandée mais encourage les voyageurs à prendre des précautions de base. Ainsi, le comité d'urgence du règlement sanitaire international de l'OMS a examiné la situation actuelle et décidé, à l'unanimité, que les conditions d'une urgence de santé publique de portée internationale sont réunies. Aussi, on encourage les professionnels de la santé à maintenir la vigilance à l'égard des cas d'infection par le MERS-CoV et à aviser le ministère de la Santé publique lorsqu'une personne fait l'objet d'une enquête diagnostique
Deux importants profils épidémiologiques ont été déterminés dans le cadre de la mission conjointe de l'Arabie Saoudite et de l'OMS. Il existe des grappes de cas d'infections se produisant dans les familles et des grappes d'infections se produisant dans les établissements de soins de santé et il n'y a eu aucune preuve de transmission interhumaine répandue.
La grande majorité des cas avec co-morbidité (existence d'un ou plusieurs troubles associés à une maladie principale) suggèrent qu'une susceptibilité accrue en raison de troubles médicaux sous-jacents (par exemple un déficit immunitaire) peut jouer un rôle dans la transmission.
Tous les cas en grappe signalés à ce jour sont survenus par contact étroit (par exemple famille, travail) ou dans des établissements de soins de santé. Il existe de fortes preuves que le contact direct et indirect avec les chameaux est impliqué dans la transmission de la maladie.
En effet, de récentes études appuient l'idée que les chameaux représentent une source principale du MERS-CoV chez les humains et qu'aucun autre animal d'élevage n'y est associé.
L'éventuelle découverte de la voie de transmission entre les chameaux et les humains demeure essentielle pour arrêter l'introduction initiale dans les populations humaines. Le peu de données disponibles sur la transmission interhumaine des cas primaires suggère que la transmission est souvent indirecte.
Aucun vaccin ni traitement antiviral efficace n'est actuellement offert pour le MERS-CoV Ainsi, aucun vaccin existant n'est conseillé par manque d'efficacité. Des chercheurs américains travaillent sur le singe (macaque rhésus) comme modèle de recherche. Ils ont développé un modèle de l'infection à coronavirus qui aidera les scientifiques du monde entier à mieux comprendre comment est apparu ce virus et comment il affecte les personnes infectées. Des chercheurs de l'Université de Madrid ont créé une souche mutante du MERS-CoV qui pourrait être utilisée comme base pour un vaccin protecteur et efficace contre le MERS-CoV dès que des mesures de protection pourront être conçues. Des travaux supplémentaires sont nécessaires avant que les essais cliniques puissent commencer.
En conclusion, en ce qui concerne ce tout dernier nouveau coronavirus chinois «2019-nCoV», le nombre d'infections a dépassé celui du coronavirus causant le SRAS en 2003. Le «2019-nCoV» est jugé moins «puissant» que le SRAS mais plus contagieux. La Chine constitue donc une «cocotte-minute». En effet, le «2019-nCoV» a une période d'incubation pouvant aller jusqu'à deux semaines et la contagion est possible durant cette période d'incubation, ce qui n'est pas le cas de l'infection par celui du SRAS. Les deux virus «2019-nCov» et SRAS sont «cousins» car ils appartiennent à la même famille et partagent 80% de similitudes sur le plan génétique.
Les principales précautions actuellement se résument à éviter les déplacements dans les régions endémiques, en particulier en Chine. La visite des Lieux-Saints pour l'accomplissement de la Omra et du Hadj ne présente pas, actuellement, d'inquiétude particulière mais le suivi de l'évolution de l'épidémie permettra d'avoir des informations plus précises.
Il faudrait observer des règles d'hygiène de base telles que se laver souvent les mains, éternuer ou se moucher en utilisant du papier jeté dans des poubelles fermées, consulter le médecin en cas de symptômes inexpliqués, en particulier fièvre, maux de tête, fatigue, frissons, sueurs, courbatures et gêne respiratoire.
K. S.
(*) Professeur d'universités, directeur de recherche, hôpital E. Herriot, Lyon, France.


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